Avoir une bonne amie quand on est un gars célibataire, c’est réaliste. À condition d’éliminer toute notion de séduction et de ne laisser planer aucune ambiguïté. Et si on est en couple? On lit ce qui suit…
Est-il pensable d’avoir des amies du sexe opposé lorsqu’on est un gars? La question est simple et, habituellement, la réponse vient rapidement: «Bien sûr, c’est clair…» dit-on naturellement. Et pourtant, quand on prend le temps d’analyser la situation, les nuances s’accumulent. Une chose est certaine, mes invités ont rarement été aussi unanimes: sortir prendre un verre avec une amie… n’est pas aussi simple que ça en a l’air.
Pour discuter de ce sujet délicat (surtout si on est en couple), le comédien David Savard et les animateurs Jean Airoldi et Pierre-Yves Lord se sont donnés rendez-vous au resto Grinder, dans le quartier Griffintown, à Montréal. David et Pierre-Yves sont en couple depuis plusieurs années, alors que la séparation de Jean, alimentée par toutes sortes de rumeurs, a fait la manchette avec fracas l’an dernier.
C’est Pierre-Yves qui brise la glace, en disant assumer pleinement ses amitiés féminines: «Je crois beaucoup en l’amitié gars-fille, avant ou même après le sexe. On a souvent des tensions sexuelles à évacuer et, dans mon cas, je me suis débarrassé de beaucoup de ces tensions avec de bonnes amies… Aujourd’hui, heureusement, je peux les voir comme des amies sans arrière-pensée. Ce sont mes confidentes, et je ne pourrais plus me passer d’elles.»
«Contrairement à toi, je n’ai jamais couché avec mes amies de filles, intervient David. J’en ai plusieurs… mais, en même temps, je me demande à quoi se résume le concept d’amitié avec une fille. Je réalise que je ne les appelle pas comme j’appelle mes chums et que je ne fais pas du tout les mêmes activités avec elles. Dans mon métier, je côtoie beaucoup de femmes et j’ai des sentiments amicaux pour plusieurs d’entre-elles. Il y en a même deux ou trois que je considère comme de très bonnes amies. Mais de là à dire à ma blonde: “Tiens, je vais appeler Isabelle Brouillette pour savoir ce qu’elle fait ce soir…” Non. Ça me semblerait bizarre. Je ne sais pas pourquoi, mais il y a quelque chose là-dedans qui ne se ferait pas naturellement.»
«Moi aussi, j’ai beaucoup d’amies de filles, mais je les ai presque toutes rencontrées il y a 25 ans, précise Jean. Et puis je réalise que c’était à l’époque où j’étais célibataire. Ce ne sont pas des filles avec qui j’ai couché et avec qui je coucherais aujourd’hui. En fait, rester ami avec une fille avec qui j’ai couché ne m’intéresse pas. Je ne sais pas trop pourquoi, d’ailleurs. Alors, comme je tiens à garder mes amies, je m’assure qu’il n’y a aucune ambiguïté.»
Chérie, je me suis fait une nouvelle amie!
Il est donc possible d’avoir des amies mais, en écoutant ce trio, je me dis que c’est visiblement plus simple quand ces amitiés ont commencé avant qu’on soit en couple. C’est une chose d’avoir des Nathalie, Chloé ou Annabelle dans notre carnet de très bons contacts, mais force est d’admettre qu’il s’agit souvent de vieilles amitiés, plus faciles à accepter par notre conjointe. Ces amitiés sont même souvent non négociables. Elles viennent avec le gars… et aucune ambivalence ne subsiste.
Mais un gars peut-il nouer de nouvelles amitiés féminines? Rencontrer une fille sur son lieu de travail et l’inviter à prendre un verre simplement parce qu’il a des affinités avec elle?
«Moi, je ne crois pas que ça se fasse, m’interrompt tout de suite David. C’est un peu courir après le trouble, à moins que ça se fasse au cours d’une sortie de groupe. Je vais être honnête: ma blonde n’apprécierait probablement pas que je sorte un soir avec une fille que je viens de rencontrer. Et je la comprendrais. Alors, la question est: ai-je vraiment besoin d’aller prendre un verre avec une nouvelle connaissance, même si je la trouve bien gentille, compte tenu de la réaction que ça risque de provoquer? La réponse est non.»
«Je suis bien d’accord avec toi, répond Jean. Mais j’apporterais une nuance en disant que tout dépend des circonstances, du moment choisi. Si ta blonde est à la maison en train de préparer un repas pour les enfants et qu’elle t’attend, pendant que toi, tu t’amuses dans un bar avec ta nouvelle amie, je trouve que c’est de mauvais goût.»
«J’approuve tout à fait, assure David. Disons que, pendant une journée de tournage, sur l’heure du midi, par exemple, ça pourrait aller.»
«Et si on inversait les rôles? poursuit Jean. Serait-on à l’aise si notre blonde allait prendre un verre avec un gars qu’elle vient de rencontrer? La réponse est non, dans mon cas. J’essaie de ne pas faire aux autres ce que je n’aimerais pas qu’on me fasse… Tout est une question de respect. Et là, je vais aussi être très honnête et amener un point délicat: si la fille que tu vas voir est vraiment pétard, il se peut que ça passe moins bien. Mais si elle n’est pas très belle et pas très sexy, elle n’est pas menaçante, et c’est bien possible que ta blonde ne dise pas grand-chose. C’est plate à dire, mais c’est ça…»
«Il y a un autre point dont on n’a pas parlé et qui me semble important, intervient David. À nos âges, recherche-t-on vraiment de nouveaux amis? On a déjà de la difficulté à voir ceux qu’on a depuis toujours. Je veux bien faire de nouvelles connaissances, par exemple quand on va souper en couple chez des amis, etc. Mais de vrais amis, je n’en cherche pas. J’en ai assez. Donc, si je disais à ma blonde: “Eille, cette fille-là a l’air intéressante, je vais aller prendre un verre avec elle ce soir, parce que ça me ferait une bonne nouvelle amie”, je comprendrais tout à fait qu’elle trouve ça weird, parce qu’au fond, moi aussi, je trouverais ça étrange…»
Pierre-Yves, qui est resté en retrait jusqu’à maintenant, intervient finalement: «Moi, je vous écoute et je me demande pourquoi je me priverais. Si j’ai envie de passer un bon moment avec une fille avec qui je partage des affinités, avec qui je m’entends bien, pourquoi je ne pourrais pas le faire? Ça m’est souvent arrivé de prendre un verre ou un repas avec une amie sans arrière-pensée, sans qu’il soit question de drague, ou d’aller voir un match du Canadien avec une fille juste parce qu’on tripait tous les deux sur le hockey…»
«Vraiment? demande Jean. Avec des filles que tu venais de rencontrer?»
Pierre-Yves réfléchit un peu plus longuement… et se range finalement du côté des deux autres: «Bon, non, c’est vrai… Ça ne marche pas», conclut-il.
Le constat est donc clair: lorsqu’on est en couple, il est assez ardu de se faire de nouvelles amies. Que ce soit pour prévenir des conflits, pour ne pas tenter le diable ou pour éviter toute ambiguïté, la moitié des humains qui vivent sur cette planète ne pourra pas devenir amie avec l’autre. Et, bien que je comprenne tout cela, je ne peux pas m’empêcher de trouver que cette réalité est tout de même un peu triste.
L’amitié homme-femme, une question de génération?
Selon certaines études, le concept d’amitié homme-femme tend à évoluer au fil des générations. Presque inexistant au milieu du dernier siècle, il serait aujourd’hui beaucoup plus courant. L’explosion des réseaux sociaux favorise évidemment les rapprochements et
contribue sans doute au changement des mentalités.
Les hommes des nouvelles générations ont-ils plus de facilité à se faire des amis parmi le sexe opposé que nous?
«Probablement, risque Pierre-Yves. Mon père n’a jamais eu d’amie de fille. Ça n’existait pas dans ce temps-là. Il est né en 1938. Il a des amis de couple, mais c’est tout.»
«Peut-être que les gars des nouvelles générations hésitent effectivement moins à baiser avec une fille qui restera leur amie par la suite, s’interroge Jean. C’est plus acceptable pour eux, peut-être?»
«Possible, mais je crois que les relations avec une maîtresse-amie ou un amant-ami, ça ne date pas d’hier, réplique Pierre-Yves. C’est une hypothèse, mais je pense qu’avec le mouvement hippie et la libéralisation sexuelle des années 1970, l’amitié homme-femme a pris plus de place. C’est durant cette période-là que l’idée de faire l’amour avec quelqu’un dont on ne partagera pas automatiquement la vie est apparue. Cette liberté d’action a probablement fait en sorte que les amitiés gars-filles sont devenues un peu plus acceptables.»
Elles sont peut-être mieux acceptées, mais elles peuvent aussi mener à quelque chose de plus passionnel et de plus destructeur. L’an dernier, la relation amoureuse de Jean Airoldi a explosé. Et disons que la notion d’amitié homme- femme était en cause. Ce genre d’expérience rend une rupture doublement difficile à digérer et empêcherait n’importe qui de faire confiance à des amis proches par la suite. Génération ou pas, la pilule est plutôt dure à avaler.
«Tu sais, la vie, c’est un peu ça et, malheureusement, ce sont des choses qui peuvent arriver, dit Jean. Je suis plus heureux qu’il y a un an et je suis convaincu que je vais être encore plus heureux dans un an. Quand je suis en couple, je ne suis pas un chasseur, je suis un lover. Peu importe l’amie qui est dans ma vie, il n’y a aucun danger pour ma conjointe. Mais je travaille à changer ça», lance-t-il avec un sourire malicieux… Par esprit de vengeance, que je lui demande? «Je ne le sais pas, je n’ai pas encore analysé ce bout-là», dit-il en rigolant…
J’ai beaucoup réfléchi à cette discussion et, bien que je me sois totalement identifié aux propos de David, de Pierre-Yves et de Jean, je cherche depuis lors une manière de mieux intégrer la gent féminine dans mes nouveaux rapports amicaux. Y a-t-il une solution?
L’homme est-il trop homme pour y parvenir sans arrière-pensée? Les conjoints sont-ils trop méfiants? Discutons-nous vraiment assez dans un couple? J’ai comme l’impression que je n’ai pas fini de me creuser la tête. Et vous, qu’en pensez-vous?
Photos : Martin Girard
Vous pouvez consulter la version intégrale de cet article dans le cinquième numéro de Véro magazine, à la page 137, avec le titre « L’amitié entre homme et femme est-elle possible? ». Le magazine est disponible en kiosque et en version iPad.