Ils ne sont pas en colère contre la vie et ne crient pas à l’injustice, mais ils ne jouent pas à l’autruche non plus. La vie avec des enfants nés avec un handicap, une maladie ou un trouble particulier n’a souvent rien à voir avec celle qu’on imaginait avant leur venue au monde. Et pour mieux comprendre ce que ça implique au quotidien, j’ai demandé à mes trois invités de nous décrire les spécificités de leur enfant.
«Mon gars s’appelle Malik et il a 10 ans, dit Emmanuel. Il a un TDAH, un trouble d’impulsivité grave, un syndrome de la Tourette, et il est dyslexique par-dessus le marché! Ce n’est donc pas facile à l’école.
– Romy, ma petite dernière, est âgée de 4 ans, renchérit Jean-Nicolas. Elle a le syndrome de Nager, qui entraîne des malformations craniofaciales et de la surdité aussi. La sienne est de moyenne à sévère et elle fonctionne avec des appareils. Elle a aussi été opérée au palais, mais elle a les mandibules un peu courts… Romy a une belle petite face, mais on voit qu’elle est différente. Un de ses avant-bras est un peu plus court et elle est née avec seulement quatre doigts d’un côté. Il n’y a rien de dégénératif dans son cas; c’est juste comme si la pâte du petit biscuit avait levé différemment.
– Moi, mon gars, il est juste autiste finalement, lance Mathieu, déclenchant aussitôt l’hilarité. Il n’est pas autiste lourd, et il est hyperactif non-diagnostiqué. Il s’’appelle Benjamin, il a 17 ans et il a conduit un char pour la première fois, la semaine passée, à l’autodrome St-Eustache…»
Avaler la pilule
En 10 minutes, le ton était donné. Je réalisais qu’on allait parler de choses sérieuses, mais que les éclats de rire seraient nombreux. Car l’être humain est capable, en faisant preuve de résilience, de prendre un peu de recul et de rire de sa propre situation, surtout quand celle-ci amène son lot d’anecdotes invraisemblables. Arriver à sourire demande toutefois un certain temps, dont celui de digérer la pilule à l’annonce du diagnostic.
«Pour être franc, je n’ai pas beaucoup de souvenirs de ce moment-là, raconte Mathieu. C’est Patricia [ndlr: Paquin, son ex-conjointe et mère de Benjamin] qui a tout pris en charge. J’avais 25 ans, j’étais sur la brosse et souvent en tournée. C’est elle qui s’est documentée et qui a trouvé des services appropriés. Moi, les trois premières années, je n’ai rien fait, à part déprimer et l’aimer. Je n’étais pas là… C’est ma séparation qui m’a donné un électrochoc. Au début, je ne voulais pas avoir la garde partagée, mais deux mois plus tard, j’étais prêt. C’est comme une bibitte que j’apprenais à connaître.»
– Nous, on s’en est rendu compte à la naissance, mais sans trop savoir ce qu’elle avait, se souvient Jean-Nicolas. On est vite devenus les cobayes des généticiens et ç’a été très difficile. On a été sur les nerfs pendant près d’un an, à redouter le pire. Je me souviens qu’un soir, durant toutes ces recherches, je me suis assis avec un verre en me demandant si ça allait être comme ça pour le reste de mes jours. Parce que je te jure qu’à ce moment-là, ma vie était devenue un peu comme de la marde. Avec beaucoup de tristesse et d’inconnu. Ç’a duré des mois et des mois, pendant lesquels ma blonde et moi étions en mode survie.
– Étais-tu enragé contre la vie?, que je lui demande.
– Non, j’étais surtout épuisé et découragé. Je n’étais pas en maudit, ni contre ma fille ni contre la vie. Et je n’avais pas le temps de crier à l’injustice parce que j’avais deux autres enfants qui attendaient qu’on s’en occupe. C’est drôle, parce que plusieurs personnes m’ont demandé si je trouvais ça dur, à ce moment-là, d’interpréter des personnages. Au contraire, c’était une libération de m’évader en devenant quelqu’un d’autre.
– Nous, on s’est rendu compte de la situation dès que Malik est entré à l’école, précise Emmanuel. Le trouble d’opposition est vite devenu évident. Il pétait des coches comme tu ne peux même pas l’imaginer. Avec Malik, tout va bien et, en l’espace d’une nanoseconde, si la moindre niaiserie arrive, son univers s’écroule. Il peut frapper, donner des coups de pieds dans les portes… C’est très intense.»
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Zone de turbulence
On aspire tous à un portrait de famille parfaite avec des enfants angéliques, aux vacances idylliques avec eux, aux fous rires et aux câlins sans fin. En espérant que notre progéniture sera forte et autonome dans le futur. On leur souhaite aussi d’être en excellente santé, ça va de soi. Mais quand ces rêves se brisent, comment fait-on pour traverser cette nouvelle réalité à deux?
«On avait le choix entre deux possibilités, ma blonde et moi, témoigne Jean-Nicolas. La première, c’était d’être en colère. Mais c’est dangereux. Dans un couple, tu renvoies toujours à l’autre la détresse que tu portes. Et ça peut devenir lourd. Il m’arrivait d’avoir envie de fuir, mais la peine de ma blonde me ramenait sur terre. Tu veux t’occuper de ton enfant, mais tu n’as pas forcément envie de voir la face de ta blonde qui te rappelle tous les matins qu’elle aussi trouve ça dur. C’est là que ça peut péter, des fois…
– C’est vrai que c’est très difficile de voir ta blonde rusher, renchérit Mathieu. C’est comme si ça te faisait mal à toi, de la voir comme ça. À la limite, tu voudrais t’occuper de tout pour qu’elle puisse respirer.
– Exactement, acquiesce Jean-Nicolas. Mais je reviens à mon affaire de choix. La deuxième option, c’est de prendre tous les moyens pour s’en sortir ensemble. Ça exige des efforts et beaucoup d’investissement. Mais à travers tout ça, on arrivait à avoir du plaisir, même durant le trajet entre Mont-Saint-Hilaire et l’Hôpital Sainte-Justine. On en profitait pour discuter, ma blonde et moi. Je me souviens aussi qu’on avait hâte d’aller à la cafétéria de l’hôpital parce qu’on en profitait pour manger en tête-à-tête,.
– Moi, je me rappelle très bien qu’avant même de savoir que Benjamin était autiste, sa naissance avait bouleversé ma vie, raconte Mathieu. Cet enfant était voulu, mais j’ai rapidement été dans la fuite totale. Je me cherchais des projets, je rénovais une maison, juste pour ne pas être là. J’imagine que j’allais chercher une sorte de défoulement dans ces travaux. Et surtout, j’étais écœuré de montrer ma face de gars déprimé, alors que ma blonde, elle, était toujours de bonne humeur.»
Nouvelles priorités
On entend souvent dire que des épreuves les plus exigeantes naissent les plus grandes fiertés. D’où ma question: ce parcours truffé d’obstacles, aussi épuisant soit-il, doit forcément apporter du bon à tout être humain, non?
«Enlève Benjamin de ma vie et jamais je n’aurais développé cette conscience sociale, répond Mathieu. Je n’étais pas quelqu’un qui aimait particulièrement les enfants, mais depuis qu’il est là, je m’y intéresse davantage, surtout quand ils ont des particularités. Ç’a tout changé dans ma carrière aussi. Pendant longtemps, j’ai refusé de travailler lorsque je l’avais avec moi – au détriment de ma santé financière, d’ailleurs. Et jamais je n’ai eu envie de reprendre mon ancien rythme effréné. C’est donc un peu grâce à lui si je me suis mis à travailler moins et à choisir les projets dont j’avais vraiment envie.
– Avant, je ne me questionnais pas trop sur qui j’étais, enchaîne Jean-Nicolas. Les responsabilités me faisaient peur. Être en couple et avoir des enfants – certains aux besoins exigeants – sont des choses qui t’obligent à embarquer dans la parade. Je regardais ma blonde, si proactive, et je n’avais plus d’autre choix que de la suivre.
– Moi, j’ai été un enfant excessivement turbulent, avoue Emmanuel. Ma mère me disait souvent qu’un jour j’allais payer pour toute l’inquiétude que je lui avais causée. En vieillissant, je la comprends. Et elle avait raison: je paye non-stop. Comme parent, je m’oublie complètement, je donne ma vie à mes enfants.
– Même si c’est un cliché de dire ça, avoir un enfant différent te force à revoir tes priorités, estime Jean-Nicolas. Tu peux penser que ce que tu vis c’est de la marde ou tu peux essayer de te concentrer sur les affaires tripantes.
– T’as raison, ajoute Emmanuel. Parlant de priorités, je pense à certains amis qui ont ben de l’argent, mais qui sont malheureux. Des fois, je me dis qu’avoir plus d’argent me rassurerait pour mes enfants, mais ma façon de vivre pourrait changer et je pourrais devenir aussi triste que ces amis-là.
– Le côté financier me fait un peu freaker, avoue Mathieu. Ce n’est un secret pour personne que Patricia et son mari Louis-François gagnent plus d’argent que moi… Benjamin voyage en avion avec sa mère, alors que moi, tout ce que je peux lui offrir, c’est du temps de qualité avec lui.
– Arrête de vivre dans la culpabilité, réplique Jean-Nicolas. Ce que tu lui offres, c’est extraordinaire.»
Difficile de le contredire là-dessus, parce que côté empathie, dévouement et générosité, Jean-Nicolas, Emmanuel et Mathieu sont assez durs à battre. Et c’est tout à leur honneur!
NOUS TENONS À REMERCIER LE RESTAURANT JATOBA POUR SON ACCUEIL CHALEUREUX. (jatobamontreal.com)
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Cet article est tiré du magazine Véro d’automne 2018. Abonnez-vous maintenant!
Photo: Martin Girard