Rencontre avec Chantal Lacroix

24 Nov 2017 par Jean-Yves Girard
Catégories : Oser être soi
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Aucun doute là-dessus: Chantal Lacroix est une redoutable motivatrice. Après un entretien de 90 minutes avec elle, notre journaliste l’a quittée avec l’envie irrépressible de faire le bien, lui aussi.

Sa compagnie de production s’appelle Kenya, sa fille vient du Vietnam, elle a eu un shitzu prénommé Tokyo et elle travaille à Lachine. Chantal Lacroix a beau être une Québécoise «de souche», un léger parfum d’exotisme émane de sa personne. Est-ce dû à son bel altruisme en cette ère affreusement nombriliste? À sa carrière atypique, un jour notaire sexy dans Lance et compte: la reconquête, le lendemain infatigable tricoteuse de chaînes de bonté? À sa persévérance contre vents et marées, les critiques et les cyniques? Chose certaine, cette passionaria rousse représente un cas d’exception dans notre paysage télévisuel.

Chantal m’a reçu dans son bureau de PDG, au premier étage d’un petit immeuble avec vue sur le lac Saint-Louis. Sur le mur derrière sa table de travail, un «C» imposant a capté mon attention. «Un cadeau de ma décoratrice, explique-t-elle, presque gênée. Je n’ai pas l’habitude de m’afficher comme ça, et il n’y a pas grand monde qui entre ici.» À part, bien sûr, l’un ou l’autre des 28 employés que compte son entreprise. Et à l’occasion, comme ce matin-là, une fillette magnifique, surgissant sans crier gare, un iPad à la main. «Oui, chérie? Faut juste cogner avant d’entrer. Maman donne une entrevue, alors tu ne pourras pas mettre le son, cocotte.» Camly, 7 ans, la cocotte en question, s’est installée sur le canapé après m’avoir jeté un bref regard curieux. «Elle n’a pas d’école aujourd’hui.» Et la maman n’a pas de secret pour sa fille adorée.

La veille, invitée à un talkshow, Chantal avait (gentiment) croisé le fer avec Nathalie Petrowski, enflammant aussitôt Twitter. «Nathalie commente souvent l’aspect négatif des choses, c’est son job et je le respecte. Quand elle dit que les gestes de bonté cessent dès qu’il n’y a plus de caméras et que l’entraide au centre de mes émissions ne fait pas de p’tits en dehors de la télé, je ne suis pas d’accord avec ça, mais pas du tout. Des exemples, je pourrais t’en donner des centaines.»

Chantal est habituée aux esprits sceptiques qui, sourire en coin, regardent aller la «mère Teresa du Québec», comme certains la surnomment. Elle a trop de pain sur sa planche – adapter une maison aux besoins d’une jeune tétraplégique en Estrie, accompagner 200 personnes en République dominicaine pour un camp SOS Beauté, garder la forme en vue de la course à relais de 250 km Montréal-Québec au profit de la Fondation des étoiles – pour tenter de les convaincre. «Au Québec, on est endettés solide et personne ne semble vouloir voir cette dette. Le gouvernement en a plein les bras. Du moment où un groupe a la capacité et la volonté de faire quelque chose, de s’impliquer, pourquoi rester les deux bras croisés, à chialer et à dire que ça ne nous appartient pas de le faire? J’ai pas envie de passer mon temps à chialer. Je suis dans le concret. Oui, il faut se faire entendre. Mais un moment donné, il faut agir. Pour aujourd’hui, pour demain… pour elle», a ajouté Chantal en pointant Camly, occupée à jouer sur sa tablette. «C’est ma philosophie de vie. Tant mieux si des gens pensent la même chose et si des stations de télé comme Canal Vie y croient aussi. La première fois que j’ai proposé Donnez au suivant, il n’y avait pas grand monde qui y croyait, parce que c’est pas ce genre d’émission qui faisait monter les cotes d’écoute. La bonté ne fait pas vendre.»

Peut-être, mais elle fait bien des heureux. Et, n’en déplaise à miss Petrowski, parfois aussi des petits. Dix ans après les débuts télévisuels de Donnez au suivant, ce concept célébrant la générosité et la solidarité a été transposé cet automne en milieu scolaire avec la première «semaine Donnez au suivant». À la mi-septembre, 530 écoles étaient inscrites, ce qui signifie qu’au moins un quart de million de jeunes Québécois ont été «appelés à poser de petits et de grands gestes de bonté», comme l’explique Chantal sur sa page Facebook. (Au moment d’aller sous presse, une controverse éclatait en pleine «semaine Donnez au suivant». Pour certains parents, cette activité était en réalité une publicité déguisée pour l’émission de Chantal qui a répondu aux questions de La Presse: « C’est faux et particulièrement blessant. […] Les cotes d’écoute n’influencent pas les revenus de ma maison de production! ») Et Camly? Évidemment, elle sera de la partie. «Ma fille a beaucoup d’empathie.» Une voix nous parvient du canapé: «C’est quoi de l’empathie, maman?» La coquine nous écoutait. «C’est quand t’es à l’école et que tu vois une petite fille toute seule, et que tu vas la chercher pour qu’elle vienne jouer avec toi.» «Ouais, ouais, c’est arrivé trois fois.» Chantal et moi, on a éclaté de rire. «C’est vrai!» «On te croit, cocotte, mais ce serait bien que ça arrive plus souvent.»

Telle mère, telle fille

On ne nait pas humaniste ni philanthrope, on le devient. Chantal, fille unique, a grandi «entourée d’amour» dans un terreau fertile au don de soi et au souci des autres. «Mon père était chef syndicaliste, et j’ai vu ben des travailleurs pleurer chez nous parce qu’ils avaient perdu leur emploi et se demandaient comment ils allaient nourrir leurs enfants. J’ai aussi vu la force du groupe: s’unir peut faire changer les choses.»

Quant à sa mère – «ma meilleure amie», partie il y a déjà 5 ans –, elle revient souvent dans la conversation. «J’avais 8 ans et j’étais avec elle au restaurant à manger mon plat préféré, une poutine, quand j’ai vu un homme qui passait souvent près de la cour de récréation et de qui on nous disait qu’il était un malade mental saoûl et dangereux. «Maman, c’est le fou de l’école!» Ma mère m’a alors expliqué: «Chantal, c’est un itinérant, pas un fou. Le panier qu’il pousse, c’est sa maison, et s’il boit, c’est peut-être pour oublier ses problèmes.» Elle a acheté un hot-dog et une frite, et, même si j’avais peur, je suis allée les lui donner. Les yeux de cet homme se sont remplis d’eau. «Comment tu t’es sentie?» m’a demandé maman. «Fière, heureuse.» «Alors, imagine si tu poses un geste comme ça chaque jour de ta vie…» Première leçon.

Deuxième leçon: nous avons tous entre les mains un pouvoir extraordinaire, celui des mots. En une phrase, on peut motiver et inspirer… ou démolir et anéantir. «À l’école secondaire, l’orienteur m’a dit que jamais je ne serais animatrice à la télé. Si je lui avais donné raison, si ma mère n’avait pas cru en moi, je ne serais pas ici aujourd’hui.» Plus jeune encore, Chantal voulait être comédienne. «C’était mon rêve de petite fille, mais les portes ne se sont pas ouvertes. Et quand elles se sont entrouvertes, je ne suis pas allée aux auditions parce que j’étais occupée à faire autre chose, et ce que je faisais me comblait.»

Sa participation étonnante (et remarquée) à Lance et compte, il y a 10 ans, n’a pas eu de suite. Chantal n’est pas peinée pour autant. «J’en garde le souvenir de beaux moments d’échange avec Marc Messier et Denis Bouchard. Ce que je fais au quotidien, ici avec mon équipe et dans tout le Québec avec les gens formidables que je rencontre, ça me comble encore et ça me comblera toujours. Quand je me lève le matin, je me dis que je m’en vais procurer du bonheur. C’est le plus beau métier du monde.» Et toi, Camly, est-ce que tu sais ce que ta maman fait dans la vie? «Oui, elle aide des gens.»

C’était l’heure du lunch et Camly est sortie rejoindre une copine – «sa BFF», a précisé Chantal – qui allait manger chez McDo avec sa maman. «Je me suis beaucoup questionnée sur le fait d’avoir un enfant, parce que je suis devenue mère très tard, à 45 ans. Je regardais l’état du monde et je n’étais pas certaine que c’était une bonne idée d’élever un enfant dans la société actuelle. En même temps, je crois en l’être humain. Au fond de moi, quelque chose me disait qu’au lieu de donner la vie, je pouvais sauver une vie. D’après mon chum, c’est sans doute pour ça que je n’ai pas pu tomber enceinte. Et pourtant, j’avais tout essayé,
y compris la fécondation in vitro… La vie fait bien les choses.»

Bien dans sa peau

Même si on lui a maintes fois conseillé de taire son âge, Chantal me le révèle spontanément. «J’ai 52 ans. Mais on est tellement plus qu’un chiffre ou qu’une enveloppe corporelle! Moi, je suis sourde d’une oreille, je chuinte et je fais du vitiligo. Je ne pratique pas le bon métier, qui consiste à paraître.»

Elle aborde d’elle-même le sujet de cette maladie qui dépigmente sa peau graduellement, inexorablement. «Ça se propage. Un moment donné, je serai toute blanche, comme mon visage qui est très atteint. J’aimerais que ça arrive avant que j’aie 80 ans.» Son ton est léger, mais on la sent sérieuse. «Beaucoup de jeunes viennent me voir ou m’écrivent. Ils ont le vitiligo et sont traumatisés. Il y a 18 ans, quand mon chum, devenu mon mari, m’a connue, je n’avais presque pas de taches, peut-être deux ou trois. Maintenant, j’en ai partout. Ma maladie, il l’a vue se propager et notre relation a cheminé avec elle. Si je me retrouvais célibataire demain, est-ce que je rencon­trerais quelqu’un qui passerait par-dessus mon vitiligo? Comme je ne suis pas une fille qui déborde de confiance en elle, j’en doute.» Cela dit, Chantal – qui adore la plage – ne boude pas son plaisir et porte même un bikini. «Au Québec, comme je suis un peu connue, le regard est différent, mais aux États-Unis, c’est épouvantable! Je ne suis pas au-dessus de ces regards-là, mais je sais qui je suis et je l’assume. C’est ma façon de revendiquer. On cherche tous à être unique.» Et unique, Chantal Lacroix l’est, absolument.

Photo: Andréanne Gauthier
Stylisme: Isabelle Gauvin

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  1. Lina Barbieri Champagne dit :

    Oui Elle est vraiment unique Chantal .Une femme de cœur qui voudrait faire plaisir à tout monde . Je l’aime beaucoup et je la remercie d’être dans ma vie ????

  2. Lina Champagne dit :

    Tellement vrai ell

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