Rencontre avec Magalie Lépine-Blondeau

07 Juin 2017 par Linda Priestley
Catégories : Culture / Oser être soi
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Elle a le métier de comédienne inscrit dans son ADN, mais aussi l'envie d'élargir ses horizons. Parcours d’une exploratrice qui fonce… surtout quand elle a peur.

Magalie Lépine-Blondeau travaille comme une fourmi. Minutieuse et à son affaire. Il faut la voir, comme j’en ai eu l’occasion juste avant notre entrevue, se pencher avec attention sur le texte de District 31. Rien ne semblait échapper à sa vigilance… ni à son surligneur! Profitant de la latitude que lui accorde Luc Dionne, l’auteur de la série, l’interprète de Nadine Legrand s’investit totalement dans son rôle afin de donner la réplique la plus juste possible. «Après 111 épisodes, je commence à maîtriser mon personnage, dit-elle. Et je me sens suffisamment à l’aise pour faire quelques remaniements dans le texte.»

Parmi ses autres qualités d’actrice figure celle d’être une championne du par cœur. Ça tombe bien, car la sergente-détective fait son apparition quatre fois par semaine dans cette série policière diffusée du lundi au jeudi sur les ondes d’ICI Radio-Canada Télé. «C’est un exercice de musculation, un travail, un entraînement», confirme la principale intéressée. Heureusement, Magalie est capable d’écarter rapido toute info inutile ou «les choses qui ne font pas [son] affaire», ce qui lui permet de se concentrer sur la tâche qui l’accapare. Mais comme elle ne laisse rien au hasard, la jeune femme a engagé le comédien Jean-Moïse Martin pour répéter avec elle, tous les dimanches, des pages et des pages de dialogues qu’on lui remet avant chaque weekend. Dévouée, ça oui!

S’inventer un univers

Comble de l’ironie pour celle qui incarne également Évelyne, une femme qui révise ses priorités dans Plan B, la nouvelle série dramatique produite par Louis Morissette, il n’a jamais été question de faire marche arrière dans le but de réorienter sa carrière ou de miser sur un autre plan de match, juste au cas où. «D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours dit que je voulais jouer.» Ce métier est inscrit dans son ADN, assure-t-elle: «Pour moi, il n’y a pas le travail et, à côté, la vie. Ce que je fais est indissociable de la personne que je suis. Je trouve ça difficile et ingrat, mais c’est aussi le plus beau des métiers. Il me fait vibrer, avancer, rêver, pleurer, enrager; il me bouleverse, me déçoit et me comble à la fois.»

Ce métier, donc, qui lui permet de raconter des histoires, passe par les mots. «Avec eux, on se sent moins désarmé. Ils servent à se défendre, à s’exprimer, à faire sa place.» Ils ont également aidé la petite fille «étrange et solitaire» qu’elle était à se faire son propre cinéma. «Je n’ai pas eu beaucoup d’amis en grandissant. Avec ma sœur, de sept ans ma cadette, les premiers vrais échanges ne sont survenus que bien plus tard.» Mais son imagination fertile et son vocabulaire riche – cadeau de son père Marc Blondeau, PDG de la Place des Arts, et de sa mère Manon Lépine, ex-animatrice radio – lui ont tenu compagnie: «Je passais mes journées à inventer des scènes, à dialoguer à voix haute avec des partenaires fictifs, à monter de petits spectacles amateurs. Mes parents disaient que je faisais mes scénarios.»

L’art de grandir

Aujourd’hui, avec le recul, l’artiste apprécie cette jeunesse solitaire. «Elle a participé à définir celle que je suis devenue.» Malgré les obstacles à surmonter, il n’y a pas à ses yeux de plus fascinant périple que celui qu’on entreprend pour aller au bout de ce qu’on est capable de devenir. «Je me souviens d’avoir vu, il y a plusieurs années, un spectacle de Leonard Cohen, dont je suis une fervente admiratrice. L’expérience m’a beaucoup marquée et donné l’envie d’être une version améliorée de moi-même.»

À 34 ans, où en est-elle dans cette réalisation de soi? «Cette peur adolescente de ne servir à rien m’habite encore. C’est un bien petit apport que le mien. Mais j’ose croire qu’il faut au moins essayer de ne pas satisfaire que soi-même, d’avoir une certaine utilité dans le monde. Je m’efforce de choisir des projets en fonction de ça: l’impression de m’inscrire dans quelque chose qui ne va pas à l’encontre de mes valeurs et de pouvoir participer à une réflexion intéressante pour moi, pour la société.»

Qu’il s’agisse de la femme ou de l’artiste, l’aspiration est la même: grandir. «Je ne veux surtout pas qu’au bout de ma vie, il n’ait été question que d’une accumulation de contrats. Je voudrais avoir des histoires à raconter. Quand Monique Miller parle de son métier, c’est l’histoire du Québec qu’elle raconte; c’est bouleversant, beau et drôle à la fois.»

Une pluie de rôles

Cela dit, comment cette fougueuse comédienne apprivoise-t-elle ses rôles? Ressent-elle le besoin de s’y plonger? «Ou est-ce l’inverse qui se produit? Je l’ignore, répond-elle. Mais ce mariage dans lequel on donne beaucoup de soi et où le personnage nous pousse à explorer des profondeurs dont on ne soupçonnait même pas l’existence, ces moments-là sont précieux pour un acteur. C’est comme si, tout à coup, on se retrouvait face à une version sublimée de soi-même, sans pour autant perdre contact avec la réalité. Disons que mes personnages m’habitent, mais qu’on est capable de se séparer!» (rires)

Magalie reconnaît qu’Évelyne, dans Plan B – une violoncelliste qui a délaissé ses ambitions artistiques pour se consacrer à l’homme qu’elle aime – est survenue à point nommé dans son parcours. «Cette jeune épouse traverse une étape cruciale où elle désire renouer avec sa passion pour la musique, peut-être au détriment de sa relation amoureuse. Au cours des six épisodes, elle connaîtra de très grands bouleversements. Ce rôle m’a demandé beaucoup d’abandon, m’a poussée à explorer des zones de désarroi. Je ne sais pas si j’aurais été assez solide pour le porter plus tôt dans ma vie.»

Et comment envisage-t-elle ses rôles futurs? «Ceux pour les jeunes femmes sont beaucoup axés sur la séduction. Mais en vieillissant, on dirait que, tranquillement, on a accès à des rôles de femmes plus complexes: des mères, des âmes désillusionnées, des reines plutôt que des princesses, des femmes amères ou déchues. Je sens que c’est ce qui s’ouvre devant moi. Enfin, je l’espère… Cela dit, il faut que les femmes aussi prennent la plume, qu’elles occupent leur place.»

Aux quatre coins du monde

En plus d’être transportée par son métier, Magalie aime se laisser entraîner par la découverte de nouveaux horizons. À 14 ans, elle entreprend son premier voyage solo à Caracas, au Venezuela. «Je me suis perdue à l’aéroport de Miami, se souvient-elle. Complètement affolée, j’ai appelé ma mère.»

Depuis, le désir d’explorer le monde ne l’a pas quittée. Et elle part souvent non accompagnée. «Comme je suis une fille très peureuse, l’idée est de braver mes peurs. Quand je voyage dans des endroits instables ou inconnus – par exemple, lorsque j’ai visité seule un coin reculé du Cambodge où aucun étranger n’avait mis les pieds depuis 40 ans – j’ai la responsabilité de protéger mon intégrité physique. J’essaie de me renseigner au mieux sur les lieux où je me rends et de faire des choix judicieux, de ne pas m’exposer aux dangers.»

Ce qui la fascine des voyages en solitaire, dit-elle, c’est leur fonction de «reset, comme si la page devenait blanche tout à coup. Les gens posent un regard neuf sur nous parce qu’on part de zéro. On apprend aussi à devenir notre propre meilleur allié en cas d’adversité.»

Histoire de pimenter l’expérience, elle y ajoute parfois un défi, comme celui de s’astreindre à vivre avec un très petit budget à Hong Kong ou encore de nager avec des requins-baleines. Par contre, le bungee ou le saut en hauteur dans une cascade de 20 mètres, très peu pour elle, qui affirme ne posséder aucun talent sportif. «Parfois, le défi, c’est juste de se rendre où on veut aller.» Comme dans la vie.

Leçon futée pour choix éclairés

Comment une actrice de la trempe de Magalie fait-elle pour dire oui ou non à un scénario? «Le premier jour de notre formation à l’École nationale de théâtre, Marcel Sabourin nous avait dit que notre motivation devait tenir à au moins deux des trois critères suivants: 1. l’aspect économique (il faut que le projet soit payant); 2. l’aspect humain (il doit occasionner de belles rencontres); et 3. l’aspect artistique (que ça nous permette de grandir sur ce plan-là).» Une méthode de sélection qui, à son avis, peut s’appliquer à tous les métiers: «En suivant cette ligne de pensée, on ne regrette jamais ensuite les raisons pour lesquelles on a accepté un projet, peu importe les résultats obtenus.»


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Photo: Andréanne Gauthier

L’entrevue complète avec Magalie Lépine-Blondeau est parue dans le magazine VÉRO de printemps.

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