À part de ça, vous autres, 2020? C’est vraiment l’année du ménage, non? D’abord, un confinement; ça te permet de te ramasser, de rénover et de faire les 1000 travaux que tu remettais à plus tard. Ensuite, la deuxième vague de dénonciations d’abus a permis de faire un ménage parmi les gens qui ont eu des comportements répréhensibles. Un autre gros ménage s’est pointé le nez quand le gouvernement Legault a obligé le port du couvre-visage dans les lieux publics. Moi qui croyais que nous n’aurions pas de festival cet été, juillet nous a offert le festival du tapon qui pense que le virus est une invention d’un gouvernement secret dirigé par Bill Gates et que le 5G va nous détruire.
J’ai toujours su qu’il y avait des «coucous» parmi nous, mais ce qui glace le sang, c’est la surprise de constater qu’un ami, un collègue ou un voisin est un complotiste qui accorde plus de poids à l’opinion des Lucie Laurier de ce monde qu’à des chercheurs qui ont passé des dizaines d’années sur les bancs d’école. Ce moment où tu discutes avec quelqu’un que tu estimes et que, tout à coup, tu réalises que cette personne est ce «wézo» qui nous traite de moutons parce qu’on prend des moyens pour ne pas retourner en confinement.
Phase 4 du grand ménage de 2020: l’épouvantable histoire de George Floyd. La planète entière s’indigne, puis certaines voix se font entendre. Du genre «Va falloir en revenir», «Les Noirs aussi sont racistes», «C’est pas cool, ce qui lui est arrivé, mais t’sais, les Noirs»… Woup, woup, woup! Me voilà entouré de gens que je pourrais engager dans un docuréalité pour Canal D intitulé Un tata près de chez vous. C’est une minorité de gens, sans doute, mais un, c’est un de trop.
Le mouvement Black Lives Matter s’est intensifié pour dénoncer haut et fort les injustices envers les personnes noires. George Floyd, Breonna Taylor, Ahmaud Arbery, Michael Brown et des centaines d’autres, morts et mortes dans l’anonymat aux mains des forces de l’ordre.
Des gens de divers horizons vont marcher, manifester, protester contre ce type de racisme systémique. Parce que oui, il s’agit de racisme systémique. La preuve? Le suave président Trump – avant même de reconnaître la souffrance d’un important pourcentage de la population étatsunienne, avant même d’essayer d’analyser la gangrène qui gruge les différents corps policiers du plus beau pays du monde (!), avant même d’écouter –, a menacé d’envoyer l’armée pour faire respecter la loi et l’ordre. Tout ça pour mater un mouvement qui réclame que «les vies des Noirs comptent». Comptent. Juste ça.
Je vous invite d’ailleurs à regarder sur YouTube le numéro du standup américain Michael Che sur les critiques envers le mouvement BLM. C’est une pièce d’anthologie. Pour le citer: «Les Noirs demandent que leurs vies comptent.» Pas qu’elles comptent PLUS que les autres. Juste qu’elles «comptent». Pas mal la base, non?
Les débordements dans les manifestations? Ouin… OK. Je suis triste pour les commerçants qui voient leurs vitrines voler en éclats. Mais en 2016, Colin Kaepernick, le quart-arrière étoile des 49ers de San Francisco, a calmement mis un genou au sol pendant l’hymne national américain pour protester contre un pays qui ne traite pas ses citoyens de façon égalitaire. Il a perdu son emploi et rien n’a changé. George Floyd est mort quatre ans plus tard. La manifestation pacifique n’avait clairement pas atteint sa cible.
«Et toi, Louis? Te souviens-tu de ton texte dans ce magazine il y a quatre ans? Tu demandais aux Noirs d’arrêter de chialer.» Si je m’en souviens? Tu parles, que je m’en souviens! J’ai encore mal quand j’y pense. Comment un homme qui ne se considère pas une miette comme un raciste et qui traite les personnes noires comme ses égales peut-il se faire taxer d’être raciste? Moi, raciste? Arrêtez! Je méprise les racistes!
La vérité qui fait mal, c’est que dans ce numéro de janvier 2016, je l’ai été. Peuton ne pas être raciste et poser un geste raciste? Réagir comme un homme blanc qui vit dans un système où le racisme systémique est tellement implanté qu’on ne le voit même plus? Ma réponse est oui. Par mon manque de sensibilité, j’ai nourri le racisme. Je voulais bien faire, je voulais lancer un message d’inclusion, mais je le considérais avec mes yeux d’homme blanc de 42 ans né à Drummondville, ville blanche de chez Blanche. J’avais oublié de regarder la situation avec les yeux des principaux concernés.
Quand on commence à écouter, à lire et à se renseigner, quand on regarde les événements du point de vue de la personne bafouée, la photo change. Et si on peut mettre de côté son égo et sa peur de se faire traiter de raciste, le constat est troublant: le racisme systémique est bien présent. Et le reconnaître est probablement la base nécessaire pour l’anéantir. Travaillons ensemble, soyons des alliés.
Ce texte provient du numéro automne 2020 du magazine VÉRO en kiosque le 20 août.