Ces femmes qui nous inspirent : Dominique Pétin

dominique-petin
08 Juil 2022 par Claudia Larochelle
Catégories : Culture / MSN / Oser être soi / Véro-Article
Icon

«Avoir 60 ans, ça peut aussi vouloir dire qu’on s’en fiche d’avoir 60 ans», écrivait récemment Dominique Pétin sous une épatante photo d’elle publiée sur son compte Instagram.

Auréolée d’un naturel désarmant à l’aube d’une décennie honnie par plusieurs, l’actrice, elle, s’est plutôt sentie libérée d’un paquet d’artifices et d’angoisses. Réflexions salvatrices.

Sur ta publication, Dominique, tu as un air paisible que je trouve très inspirant. Dans quel contexte s’inscrivait-elle?

Sept ans s’étaient écoulés depuis ma dernière séance photo professionnelle. Et dans notre métier, il faut renouveler nos photos à un rythme soutenu. J’avais exprimé au photographe Maxyme G. Delisle mon envie de ne pas «utiliser», à 60 ans, ce qui m’avait servi dans le passé, soit le fait d’avoir l’air plus jeune. J’avais envie de faire ressortir autre chose, comme l’intelligence et la sérénité. Je ne peux pas dire que je me fiche complètement de ce dont j’ai l’air. Par contre, je ne ressens plus le même besoin qu’avant d’être validée sur mon apparence, mais désormais plutôt sur ma pertinence. Il faut mentionner aussi que je ne viens pas du monde de la beauté ; je veux dire par là que je n’ai jamais joué les jeunes premières, que ma carrière n’a jamais été établie sur ce critère.

Tu es allée jusqu’à assumer la couleur naturelle de tes cheveux, ce grisonnement que plusieurs camouflent avec des teintures en prenant de l’âge.

Je ne teignais pas mes cheveux depuis longtemps. En fait, j’avais dû le faire pour un personnage. En blond. Ensuite, quand j’ai voulu revenir à ma couleur foncée, j’ai détesté le résultat. Et puis la pandémie est arrivée, alors j’ai décidé d’arrêter la teinture. J’avais lu Une apparition, de Sophie Fontanel – quel bon livre! – et j’étais prête. J’aime ce que ça donne au final. Si on me redemandait de teindre mes cheveux pour un rôle, ouf… Il faudrait que le rôle en question me tente beaucoup beaucoup!

Ça fait du bien de t’entendre et de te voir si épanouie. Il y a encore tellement de tabous liés au vieillissement, aux changements physiques qui viennent avec…

Ma mère est morte à 48 ans, alors chaque année que je gagne de plus qu’elle depuis son départ est pour moi une sorte de victoire sur la mort. Et puis, je savoure le fait d’être en santé. Ce corps que je n’ai pas toujours apprécié est devenu mon meilleur ami; il fait ce que je veux qu’il fasse à 61 ans.

As-tu des trucs, des conseils ou des mantras d’acceptation pour les femmes dans la quarantaine comme moi?

J’ai de saines habitudes de vie et je ne bois pas tellement, mais rassure-toi, j’ai bu beaucoup plus dans ma quarantaine! [rires] Il y a aussi une part de génétique dans tout ça. En gros, je suis en paix avec les choix que j’ai faits. Je voulais être une actrice jusqu’à la fin de mes jours. Ça venait avec des angoisses, j’ai eu des passages à vide. J’étais obsédée par l’idée de gagner ma vie pour que mes garçons ne manquent de rien. Comme ils ont maintenant 35 et 30 ans, je suis libérée de cette pression et ça change beaucoup de choses. J’apprécie d’avoir tout mon temps à moi. C’est une vie de millionnaire!

dominique-petin-1

Puisqu’on parle d’argent – un autre tabou -, ai-je tort de penser qu’il y a encore des inégalités salariales entre les femmes et les hommes dans ton métier?

C’est un tabou que j’essaie de briser. L’autre jour, en répétition, j’ai dit haut et fort combien je gagnais et j’ai demandé aux gars de se mouiller. Ç’a créé une petite commotion, mais certains me l’ont dit… Je pense que c’est important de partager ces infos pour éviter les inégalités. Je me souviens d’une production, il y a 20 ans, où j’avais demandé à une agente de me négocier le même salaire que mon partenaire masculin. Ç’avait été difficile. Le gens disent parfois qu’ils sont tannés d’entendre parler d’inégalités. S’ils sont tannés, c’est peut-être parce que ça n’a pas tellement changé depuis le temps…

Il me semble qu’il y a encore plus de pression sur les épaules des comédiennes que sur celles de leurs collègues masculins. As-tu la même impression?

L’expression «saveur du mois» n’a jamais été aussi réelle qu’aujourd’hui. Il y a une vingtaine d’années, on pouvait avoir une carrière étalée sur plusieurs décennies, ce n’était pas rare. Aujourd’hui, tout va plus vite et, malheureusement, c’est une affaire qui touche davantage les femmes. On s’est aussi rendu compte que, très souvent, ce qu’on demande aux actrices est beaucoup plus difficile en matière de profondeur, d’intensité, de nuances. Et tout ça, dans bien des cas, pour un salaire moindre.

Le mouvement #MoiAussi a-t-il fait une différence dans la pratique de ton métier?

Oui, je le sens, ne serait-ce que parce qu’on a maintenant une coordonnatrice d’intimité à l’Union des artistes. Je fais moi-même de la conscientisation quand je coache des artistes. Et je vois des agences de casting qui protègent davantage leurs actrices… et leurs acteurs aussi. Et puis, beaucoup plus qu’avant, on confie à des femmes des mandats d’écriture, de scénarisation et de réalisation. J’imagine que ça change la perspective pour le mieux. Et je dois le dire : ces femmes-là sont hot et elles travaillent bien!

Dominique-petin-2

Tout ce qui ostracise les minorités ou la diversité, qu’elle soit autochtone ou autre, m’indigne. Si je peux être un porte-voix, tant mieux.

Parmi elles, il y a Sonia Bonspille Boileau, la scénariste et réalisatrice d’origine mohawk avec qui tu as travaillé dans la nouvelle télésérie Pour toi Flora, où tu tiens le rôle-titre, rien de moins!

Ouiiiiii! Je dirais que c’est le rôle de ma vie, en tout cas, certainement le rôle que j’attendais sans l’attendre vraiment. C’est le projet dont je suis le plus fière, compte tenu de là où j’étais rendue dans mon travail d’actrice, enfin libérée des diktats de beauté, d’égo, de performance. Je peux enfin être juste au service d’une histoire.

Qui est cette Flora que tu incarnes?

C’est une femme de 60 ans, mariée, pieuse et discrète, qui mène en apparence une vie paisible en banlieue. Elle a deux enfants [interprétés par Virginie Fortin et Antoine Pilon] qui ignorent tout de son passé. C’est une écorchée vive. Sonia, la réalisatrice, en parlait comme d’une «coquille de douleur». Elle me disait que quand elle écrivait, parfois, elle devait tout arrêter parce que c’était trop douloureux. Il s’agit de l’histoire de deux enfants survivants des pensionnats autochtones. On les suit à partir du moment où ils ont été arrachés à leur famille jusqu’à aujourd’hui.

Toi-même née d’une mère autochtone, comment t’es-tu préparée à endosser ce rôle qui a une résonance particulière dans ta vie?

J’ai dû me demander ce que représente cette douleur, comment résonnent ces traumatismes non résolus, de quelle manière ça touche les autres autour… parce que, oui, il y a des impacts collatéraux. J’ai aussi rencontré des survivants des pensionnats. Ma mère est née sur la réserve de Wendake. Elle est allée dans un pensionnat de Blancs, mais en tant qu’Autochtone, avec certains traitements différents. C’est désolant. On n’est pas souvent revenues là-dessus, elle et moi, mais je sais que ç’a été un passage douloureux dans sa vie.

As-tu toujours bien assumé ta mixité?

Je l’ai mentionnée toute ma vie, mais ça ne m’intéressait pas particulièrement. En fait, j’ai hésité longtemps avant d’explorer cette partie-là de moi parce que c’était très douloureux. J’étais jeune quand ma mère est morte. Et comme j’ai habité à Montréal, je me sentais loin de la communauté, même si je suis souvent allée à Wendake, où ma mère est enterrée. L’arrivée des réseaux sociaux a changé bien des choses. J’y ai rencontré beaucoup de gens issus des communautés autochtones. Depuis 2017, je fais des démarches pour avoir ma carte de statut.

Cette télésérie est produite par des Autochtones, racontée et filmée par une Autochtone, et jouée par bon nombre d’acteurs autochtones. Il était à peu près temps, non?

À cet égard, on est 10 ans en retard par rapport au reste du Canada. La relève doit absolument se faire découvrir. Il faut donner des occasions aux jeunes, les sortir des réserves et de l’anonymat. Tout ce qui ostracise les minorités ou la diversité, qu’elle soit autochtone ou autre, m’indigne. Si je peux être un porte-voix, tant mieux.

 

Ses actus

  • Dominique joue le personnage principal de la télésérie Pour toi Flora, diffusée à Tou.tv Extra.
  • Elle fera aussi la lecture publique du livre Kukum, de Michel Jean, à divers endroits au Québec cet été.

Photos : Andréanne Gauthier
Assistante-photographe : Vanessa Brossard
Stylisme : Craig Major
Mise en beauté : Alexia Baillargeon
Coordonnatrice : Claudia Guy

 

À lire aussi : 



Catégories : Culture / MSN / Oser être soi / Véro-Article
0 Masquer les commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse de courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ajouter un commentaire

Magazine Véro

S'abonner au magazine