«Mes petits-enfants me manquent ! », lance tout de go Yves Tremblay, 78 ans, de Magog. Grand-père sept fois, il a gardé contact de façon virtuelle avec ses enfants et ses petits-enfants tout au long du confinement. « Mes trois enfants ne voulaient rien savoir que je sorte de chez moi, confie-t-il, penaud. Ça m’a un peu achalé, mais… je les ai écoutés. »
Pour cet ancien travailleur de la construction très en forme, selon ses propres dires, la nouvelle du « déconfinement » le 26 mai (date établie pour les personnes âgées vivant en Estrie), est accueillie avec bonheur. « Je vais enfin pouvoir les voir, en vrai, s’exclame celui qui vit seul depuis dix ans. Et même si on ne se donnera pas de câlins tout de suite, ce sera un grand bonheur, un soulagement ».
M.Tremblay n’est pas le seul à se promettre de belles retrouvailles. Renée Nehma, 74 ans, habite à Anjou avec son mari. Elle a trois petits-fils et les petits moments qu’elle partage avec eux lui manquent. « Une fois par mois, je vais au restaurant avec mon petit-fils aîné, il a 17 ans, dit-elle. On a nos petits secrets… » Elle se promet de reprendre ces sorties dès que possible.
Depuis le début de la pandémie, le manque de « vrais contacts » et de vie sociale est l’aspect le plus difficile à négocier pour les gens en général – c’est encore plus vrai pour les personnes de 60 ans et plus, à qui on a demandé de se « barricader ». Plusieurs vivent seules, de surcroît. « On a besoin d’amour, de tendresse, de passion, de sexe, dit Denis Gagné, 69 ans, de Montréal. C’est donc tabou de parler de ça, hein ? Mais on est encore vivants ! »
Pour la psychologue spécialisée en gérontologie Laurence Villeneuve, l’isolement peut peser lourd sur le moral et la santé psychologique des personnes âgées. « C’est aidant s’ils vivent à deux ou s’ils ont accès à des moyens technologiques pour contacter leurs proches, dit-elle. Mais ils vont retrouver pleinement leurs repères lorsqu’ils auront à nouveau des contacts physiques. »
Bien occupé avec les cours d’espagnol qu’il donne en ligne, ses marches et sa lecture, M. Gagné ne peut recevoir de visiteur : il habite dans une résidence pour personnes âgées autonomes, un terme qui le fait grincer des dents. « Je suis fatigué qu’on nous appelle les personnes âgées ou les aînés, martèle-t-il. J’aime mieux le mot vieux. C’est quoi le contraire de jeune ? Vieux. On n’a pas le droit d’être vieux, c’est mal? »
À 66 ans, Johanne Bordeleau n’est nullement ralentie par le confinement : au contraire ! Cette résidente de Trois-Rivières-Ouest, accompagnée de son mari, a mille et un projets. « On a fait un grand ménage des garde-robes, des tiroirs, des remises, tout y est passé ! annonce-t-elle en riant. On s’attaque maintenant à des rénovations dehors, on construit un gazébo et on aménage notre terrain ».
Elle se dit prudente et vigilante, et respecte les consignes à la lettre. « J’ai peur de ce virus-là », laisse-t-elle tomber. Claudette Friolet, 75 ans, est du même avis : le gros méchant coronavirus n’a pas l’air commode et elle ne le veut pas. « C’est épeurant, tout ça, avoue cette résidente du quartier Saint-Léonard. Je me demande si je vais mourir de ça… » Elle a une pensée pour les gens qui meurent seuls, isolés, sans soutien. Et elle s’inquiète pour sa fille, qui travaille dans les cliniques de dépistage.
Cette inquiétude est partagée par Mme Nehma qui appelle régulièrement ses amis qui sont seuls, pour prendre des nouvelles. « C’est très difficile pour eux », souligne-t-elle. Francine Boisvert, 78 ans, carbure habituellement aux sorties culturelles… avec ses amis. « Ils me manquent, indique celle qui sort marcher tous les jours dans son quartier à l’Ile des Sœurs. Par contre, mes quatre nièces prennent plus de nouvelles que jamais car elles s’inquiètent pour moi. C’est le côté positif du confinement : je leur parle plus souvent ! »
La psychologue Laurence Villeneuve recommande aux proches d’être attentifs aux signes de dépression : augmentation de l’irritabilité, excès de colère, grande tristesse, anxiété… « On doit les écouter et valider ce qu’ils vivent, conseille-t-elle. Ils sont aptes à décider par eux-mêmes alors on les remet au cœur de leurs décisions. Et on leur rappelle qu’il faut garder espoir. La situation est temporaire ! »
Apéros virtuels avec des membres de la famille ou des amis, jeux en ligne, casse-tête, lecture, tricot, visionnement de séries télé, jardinage, travaux ménagers, yoga, promenade à pieds ou à vélo… Les personnes de 60 ans et plus occupent leurs journées tout en demeurant à l’affût des nouvelles. Le point de presse quotidien du gouvernement est un rendez-vous pour plusieurs. « Mais il me semble qu’il ne parle pas souvent de nous ? » se questionne M. Tremblay.
Danielle MacDowell, 65 ans, de Vaudreuil-Dorion, se dit résiliente. « Je prends ça un jour à la fois, confie-t-elle. Ça me sécurise qu’il y ait des règles. J’haïrais ça vivre aux États-Unis, en ce moment… » Elle avoue qu’il n’est pas toujours évident de vivre « vingt-quatre sur vingt-quatre » avec son mari. « Ça va bien, on s’aime, mais on est constamment ensemble, précise-t-elle en riant. Ça prend de la patience ! »
De son côté, Marcelle Cloutier, 65 ans, de L’Assomption, vit seule. « Ça fait vingt ans, je suis habituée », commente-t-elle. Sa situation n’est pas facile pour autant. Elle s’ennuie de sa fille, de ses deux petits-enfants, de ses amis, de son emploi à temps partiel qui lui permettant de voir du monde, de se sentir utile. En attendant de prendre sa revanche, elle remplit son agenda quotidien : ménage, rangement, cours de zumba et de yoga, méditation, cours en ligne de croissance personnelle, couture, tricot, crochet, casse-tête… « Je n’ai presque pas hâte au déconfinement, je n’ai pas eu le temps de tout faire ce qu’il y a sur ma liste ! »
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