C’est le festival du vide et du small talk.
– Heille, c’est quelque chose, hein?! Euh… oui, c’est quelque chose. Je dirais
même que c’est une pandémie.
– C’est pas croyable.
Euh… oui, c’est croyable. Y a même des centaines de milliers de morts pour rendre ça plus concret.
– J’pensais pas qu’on pourrait vivre ça ici, au Québec.
Eh… oui, on peut vivre ça. On est sur la terre, on n’est pas supérieurs, on n’est pas différents… la maladie peut venir au Québec. Pis on peut avoir la vraie maladie, pas une copie beigette. On n’a pas reçu la version musée Grévin du coronavirus.
Je comprends qu’on meuble les conversations de façon anodine pour extérioriser notre incrédulité, pour pallier notre manque de savoir réservé aux scientifiques, pour s’encourager collectivement. Même si c’est parfois plein d’ironie, comme quand on se lance un «ça va bien aller» en chemin vers le bureau de chômage. Mais il y en a une de ces phrases que je ne peux pas supporter. La plus mielleuse et faussement bienveillante de toutes les maximes de Hallmark:
– Ce sera pu jamais pareil!
Quelle ânerie! Ma fille de 10 ans a la décence de ne pas s’aventurer à faire ce genre de prédiction aussi loufoque qu’hypocrite. Au contraire, elle ne rêve qu’à retrouver sa routine d’avant. Comme nous tous, dans le fond.
Je déteste cette phrase digne des plus mauvais coachs de vie (pléonasme) avec une vigueur comparable à ce que je pense de ces millénariaux qui ont lancé un podcast le 13 mars en disant que c’était la fin du capitalisme comme on l’a connu. Oui, oui, c’est ça… Tu diras ça à ton propriétaire quand il va augmenter ton loyer le 1 juillet. Sa sympathie pour ta cause aura fondu comme son REER le 25 mars 2020.
L’après-pandémie sera pareille, tout redeviendra PA-REIL. OK, certaines choses seront potentiellement modifiées. Nous dépendrons peut-être moins de la Chine en matière d’approvisionnement de matériel médical, mais ça risque d’être tout. L’achat local? Je souhaite que la tendance reste. Et qu’elle devienne encore plus forte. Mais j’ai peu d’espoir.
Malgré toutes les bonnes intentions du monde, les ennuis financiers d’une majorité de Québécois vont les propulser vers des achats bon marché et non pas vers les entreprises régionales. Le commerce équitable sera le luxe des bien nantis. Quand viendra le temps de payer leurs impôts pour compenser l’orgie de subventions gouvernementales, la bonne volonté des gens va pourrir aussi vite qu’un avocat laissé20 minutes de trop sur le comptoir. Les magasins comme Walmart seront peut-être les grands gagnants de ce merdier. Sweet irony…
Souvenez-vous du 11 septembre 2001. On ne voulait plus aller à New-York ni prendre l’avion. Avez-vous essayé de vous acheter un billet d’avion lors du dernier week-end de l’Action de grâce? J’étais loin d’être le seul à avoir envie de passer trois jours dans la Grosse Pomme.
Souvenez-vous de Charlie Hebdo. Du jour au lendemain, nous étions tous devenus des apôtres de la liberté d’expression. Pourtant, si je me fie à mon fil Twitter, les gens n’en ont plus rien à foutre de la liberté d’expression. Non, pas vrai. On respecte la liberté d’expression… des gens qui pensent comme nous.
Plus récemment, pendant le confinement, j’ai pris l’habitude de faire un Zoom quotidien avec les gens de ma famille que je ne pouvais plus voir. Le confinement nous permettait de rétablir un contact qui s’était étiolé à cause d’un rythme de vie effréné. Ben… neuf semaines plus tard, j’avais ramené nos fréquentations à la normale. Une fois par semaine. Je les aime beaucoup mais… j’avais autre chose à faire. J’étais revenu à la programmation régulière.
Le confort individuel finit toujours par prendre le dessus sur une forme de rationalité collective. J’ai bien hâte de voir les gens dire merci à leurs «anges gardiens» quand ils seront assis à l’urgence pendant 12 heures. J’ai déjà hâte à 2021 pour voir les files de gens qui attendront pour visiter leurs vieux dans un CHSLD.
Pensez-vous que la Covid-19 réinventera un monde qui favorise les agriculteurs du Québec, les médias locaux, les détaillants régionaux? Pensez- vous que la Covid-19 va faire bondir le nombre d’aidants naturels? Oui? OK… j’espère que vous avez raison. Mais je dois vous rappeler qu’au mois de mars dernier, nos compatriotes voulaient se battre à mains nues dans les allées du Costco pour acheter 174 rouleaux de papier cul. Tout est dans cette image. Le message de l’Amérique moderne est sans équivoque: m’a commencer par torcher mon derrière, je verrai pour celui des autres après.
Ce texte est paru dans le numéro d’été du magazine VÉRO.