La petite histoire de 8 parfums légendaires

08 Jan 2020 par Angélique Martel
Catégories : Beauté / Parfums / Véro-Article
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Parce qu’ils ont cristallisé leur époque, bousculé les règles olfactives ou inventé un nouveau genre, certains parfums sont classés au rang d’icônes. Et plusieurs décennies après leur lancement, ils continuent de créer l’événement.

Opium, le controversé

Il y a, derrière la création de ce parfum, l’idée d’une certaine addiction. Yves Saint Laurent rêvait depuis longtemps d’un sillage intoxiquant, qui ne laisserait personne indifférent et qui ferait planer les sens. D’où son nom et son flacon japonisant, qui rappelle les petites boîtes dans lesquelles les samouraïs gardaient jadis leurs médicaments… et leurs boulettes d’opium. La naissance du jus remonte à 1977, l’année où Saint Laurent présente sa célèbre collection Les Chinoises. Il carbure alors aux substances illicites, au point de scander qu’«il faut prendre de la drogue pour avoir des idées». Inspiré de l’Orient avec ses notes de jasmin, d’ylang-ylang, de vanille, d’ambre et de patchouli, ce parfum de scandale a d’abord réfréné les ardeurs des consommateurs: la Suisse et la Californie apposent une étiquette sur son flacon pour en dissimuler le nom provocateur et quelque 5000 membres de la communauté chinoise appellent au boycott d’Opium dans Central Park, à Manhattan. Intriguées, les femmes du monde entier finissent pourtant par baisser la garde et Opium bondit vite en tête des palmarès, rapportant à la maison de couture plus de 30 millions de dollars en un an. Avec ce jus aussi sensuel que puissant, le couturier souhaitait alors damer le pion au capiteux Youth Dew d’Estée Lauder, qui cartonnait outre-mer. Le nez qu’a mandaté Yves Saint Laurent pour le créer, Jean-Louis Sieuzac, a donc conçu un oriental «surdosé» (concentré à 26 % en version parfum, et à 16 % en eau de toilette). Une dépendance est aussitôt née, partout sur le globe…

Opium, d’Yves Saint Laurent (à partir de 65 $).

Chanel No 5, le précurseur

La couturière Gabrielle «Coco» Chanel n’a que faire des conventions: elle suit son instinct! Celle qui a complètement réformé la garde-robe des femmes en repensant les coupes des vêtements, en s’appropriant le pantalon et en adoptant le jersey a ensuite eu le flash – singulier pour l’époque – de griffer sa propre fragrance. Elle lance l’idée en 1921, alors qu’elle est en vacances avec des amis à Monte-Carlo. Le grand-duc Dimitri de Russie la présente alors à l’ancien parfumeur de la cour des tsars, Ernest Beaux, qui lui compose rapidement quelques jus. Le choix de Coco? La fiole de labo portant le numéro 5! Il s’agit de la première création de l’histoire à combiner extraits naturels et substances synthétiques, mieux connues en parfumerie sous le nom d’aldéhydes. Ses notes florales (ylang- ylang, jasmin de Grasse, rose de mai, muguet, iris), fruitées (bergamote, citron, néroli) et chaudes (vétiver, santal, vanille, ambre) ont tôt fait d’embraser les passions! Marilyn Monroe avoue se glisser sous les draps avec rien d’autre que «quelques gouttes de Chanel No 5», et au terme de la Seconde Guerre mondiale, les G.I. américains font la queue devant la boutique Chanel de la rue Cambon pour se procurer une bouteille à offrir à leur amoureuse. Un siècle plus tard, on dit qu’il se vend un flacon de Chanel No 5 toutes les deux secondes à travers le monde.

No 5, de Chanel (à partir de 91 $).

L’Interdit, le VIP

Voyage dans le temps, en 1954 plus précisément. Audrey Hepburn est alors la muse d’Hubert de Givenchy, qui l’habille depuis le film Sabrina. Pour remercier l’actrice de stimuler sa créativité, le couturier lui offre un parfum sur-mesure, conçu avec le nez grassois Francis Fabron. Rose bulgare, œillet, clou de girofle et fève tonka forment ce floral aldéhydé qui dégage une odeur de propre, poudrée mais somme toute cossue. Un jus espiègle, à l’image d’Audrey qui aime se jouer des carcans trop sages qui briment nombre d’actrices de l’époque. Conquise, la belle l’adopte. Mais quand, trois ans plus tard, son ami parle de commercialiser son parfum, elle s’oppose à l’idée: «Mais je vous l’interdis!» s’exclama-t-elle. Le parfum est dès lors baptisé et Audrey accepte rapidement de partager son sillage avec d’autres femmes. Le couturier en fait d’abord la promotion auprès de ses clientes, écoulant 4000 exemplaires dans la foulée. À l’instar d’Audrey Hepburn, quantité de célébrités défilent dans les salons d’essayage parisiens de Givenchy. Si bien que le flacon sobre de L’Interdit se fraie doucement un chemin jusque chez Jean Seberg, Jackie Kennedy et la duchesse de Windsor… La star s’en réjouit et en devient l’égérie en 1958, immortalisée par le photographe Bert Stern. Elle a flairé la bonne affaire! À noter: la nouvelle mouture, remaniée en 2007 par Olivier Gillotin, met en scène fleur d’oranger, jasmin, tubéreuse, poire et patchouli.

L’Interdit, de Givenchy (à partir de 82 $).

Shalimar, le romantique

La légende veut que l’empereur moghol Sha Jahan ait construit le Taj Mahal afin d’exprimer son chagrin à la suite du décès prématuré de sa dulcinée, la princesse Mumtaz Mahal. Attendri par ce récit, Jacques Guerlain crée en 1925 un parfum nommé Shalimar (qui signifie «temple de l’amour» en sanskrit), un opus féminin aussi romantique que sensuel. Chef de file des orientaux – ces jus aux enivrantes notes ambrées-vanillées –, Shalimar mêle un fond charnel sucré (vanille, fève tonka, civette) à un cœur floral léger (rose, iris, jasmin) et à une envolée hespéridée (composée de 30 % de bergamote). La création a été embouteillée dans un flacon digne des mille et une nuits: en cristal de Baccarat, ses arabesques rappellent les jets d’eau et les vasques des jardins de Shalimar, jouxtant le Taj Mahal. Son capuchon en éventail a d’ailleurs heurté les puristes lors de son lancement, car sa couleur bleutée contrastante brisait les codes de la parfumerie classique. Mais c’est surtout le sillage de Shalimar qui a fait jaser: les Parisiennes ont d’abord levé le nez sur lui, peu habituées à ce genre olfactif. N’eut été de l’épouse de monsieur Guerlain, qui l’a glissé dans ses bagages lors d’une croisière outre-Atlantique et qui en a fait l’apologie auprès des New-Yorkaises à bord du paquebot, ce parfum n’aurait jamais eu le rayonnement qu’on lui connaît. Car ses différentes concentrations, séries limitées et réinterprétations s’envolent aujourd’hui au rythme de plus de 100 unités à l’heure!

Shalimar, de Guerlain (à partir de 101 $).

Angel, le succulent

Puisque les parfums sont intimement liés aux souvenirs, celui qu’a créé Thierry Mugler (de concert avec Olivier Cresp) en 1992 rappelle les sucreries dont le couturier raffolait quand il était petit. Inaugurant un nouveau courant olfactif – celui des fragrances gourmandes –, Angel fait saliver dès la première inhalation tellement ses notes de vanille, de caramel, de cacao et de miel sont appétissantes. À mille lieues de tout ce qu’on trouve alors sur le marché, ce jus nous remémore illico les gâteaux de grand-maman et les confiseries. Avec ce premier parfum (qui a exigé plus de 600 essais!), Thierry Mugler frappe un coup de circuit, car on s’arrache Angel dès sa sortie. Histoire de propulser sa création au firmament, le couturier baptise cette «tentation du démon» Angel, et la présente dans un flacon étoilé (sa signature) en cristal bleuté. A star is born et, pour la faire briller, de nombreuses célébrités lui serviront d’égéries, d’Estelle Lefébure à Jerry Hall, en passant par Naomi Watts et Eva Mendes. Si, au fil des années, la création s’est déclinée en diverses versions florales ou fruitées, l’original ne s’est jamais essoufflé: il se classe, encore à ce jour, dans le top 5 des ventes planétaires. Une performance qui a façonné sa légende et lui a permis d’entrer au temple de la renommée de la Fragrance Foundation, en 2007.

Angel, de Thierry Mugler (à partir de 39 $).

Miss Dior, le féminissime

Dans l’univers du créateur français, un sac à main, une paire d’escarpins mais surtout un parfum féminin portent le nom de Miss Dior. Lancée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, en même temps que le New Look, la fragrance verte et chyprée (en référence aux accords de marjolaine, de myrte, de mousse de chêne et de ciste qui s’exhalent sur l’île de Chypre) est chère à Christian Dior. C’est en quelque sorte la mise en bouteille des souvenirs olfactifs de son enfance, alors qu’il passait ses étés dans les jardins de la maison familiale de Granville. Créé par le parfumeur Paul Vacher, ce jus s’articule autour d’un bouquet classique (rose, néroli, narcisse, jasmin), que des notes vertes, boisées et fruitées (patchouli, mousse de chêne, sauge sclarée, mandarine, bergamote) viennent rehausser. Selon les désirs du designer, son flacon est «coupé comme un tailleur», c’est-à-dire finement ciselé. Miss Dior est devenu le premier parfum dit «couture», puisque le créateur en aspergeait les robes de ses mannequins avant les défilés. Quant à son nom, il serait attribuable à Mitzah Bricard, la muse du couturier, qui lançait des «Miss Dior» tonitruants dès qu’elle croisait Catherine, la sœur et protégée de Christian, à l’atelier. Au fil des ans, la famille Miss Dior s’est élargie. Une déclinaison juvénile, appelée Miss Dior Chérie, a vu le jour en 2005. L’actuel nez de la maison, François Demachy, en a repensé la composition quelques années plus tard, la coiffant simplement du nom Miss Dior. Et la version de 1947 s’appelle aujourd’hui Miss Dior Originale.

Miss Dior, de Christian Dior (à partir de 94 $).

CK One, le non genré

Avant-gardiste, Calvin Klein célèbre le mélange des genres dès le début des années 1990. En cherchant à courtiser la génération X, qui qualifie le grunge et l’androgynie de sexy, le designer s’intéresse à l’émergence de la mixité: il remarque que les dortoirs des collèges américains logent désormais les étudiants masculins et féminins sous un même toit, et que les adolescentes façonnent leur style en piquant des vêtements dans la penderie de leurs frères ou de leur père. Plus que jamais, garçons et filles ne font qu’un, ce qui motive le designer américain – célèbre pour ses jeans et caleçons – à créer CK One, un parfum unisexe dont le flacon de verre givré s’apparente à une flasque de rhum. Cet hespéridé aromatique, lancé en 1994, embaume le citron, le thé vert, la papaye, l’ananas et la cardamome. C’est risqué car, pour les Américains, les agrumes servent surtout à parfumer les produits ménagers. Mais le pari du couturier s’avère gagnant… et payant! Tous sont conquis par cette création fraîche qui, en ciblant indistinctement filles et garçons, secoue les codes binaires de la parfumerie. Les ventes explosent et l’engouement ne tarit pas: l’année du lancement, il se vend 15 millions de flacons de CK One. Cette fragrance «for a man or a woman» – comme l’annonce la publicité mettant en vedette la mannequin Kate Moss – réussit un autre exploit digne de mention: elle est intergénérationnelle, plaisant aux parents autant qu’à leurs enfants.

CK One, de Calvin Klein (à partir de 70 $).

Lime Basil & Mandarin, le superposable

Forcée d’abandonner l’école à 15 ans en raison de sa dyslexie et de problèmes familiaux (un père parieur désargenté et une mère affaiblie par un AVC), Jo Malone subvient aux besoins des siens en reprenant la clientèle de sa maman esthéticienne. Chemin faisant, à force d’imaginer différentes crèmes pour répondre aux besoins spécifiques de ses clientes, elle prend goût aux soins de beauté à la carte, aiguisant son odorat et développant même un don pour les associations d’odeurs. Ses premières compositions aromatiques – des huiles de bain – sont élaborées dans sa cuisine et lancées en 1994 sous une étiquette qui porte son nom. S’y greffent ensuite graduellement des eaux et des bougies parfumées que les stars encensent, de Poppy Delevingne à Olivia Palermo, en passant par Oprah Winfrey. Mais de tous les parfums signés Jo Malone, Lime Basil & Mandarin (lancé en 2005) est sans contredit l’emblème de la marque. Contenant peu d’essences (limette, mandarine, thym, basilic), c’est une eau parfumée simple, dont la fraîcheur séduit autant madame que monsieur, peu importe la saison ou l’occasion. Les formules épurées de Jo Malone ont aussi un autre atout: on peut les associer entre elles pour se créer un sillage personnalisé. L’Anglaise fait ainsi naître un nouveau geste beauté: le layering parfumé. Et pour l’exécuter dans les règles de l’art, elle suggère d’asperger notre abdomen d’une odeur et notre dos d’une autre, afin d’épater la galerie quand on entre dans une pièce… et de l’intriguer quand on en sort.

Lime Basil & Mandarin, de Jo Malone (à partir de 92 $).

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Photo principale: Getty

 



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