Arnaud Soly: humoriste et flûtiste nasal

06 Juil 2020 par Jean-Yves Girard
Catégories : Culture / Véro-Article
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Arnaud est beaucoup plus qu’un gars drôle qui fait de la musique avec ses narines. Il est aussi une star du Web, un homme bien élevé, issu d’une famille de musiciens, en plus d’être un grand sensible, un amoureux fou et un tout jeune père.

On s’est donné rendez-vous à 17 h au Bordel Comédie Club, rue Ontario Est. Ce vieux bâtiment abritait, à l’époque du fameux Red Light, la plus célèbre maison close de Montréal, dont la réputation dépassait nos frontières. Reconverti il y a cinq ans en Comédie Club par Martin Petit, François Bellefeuille, Louis-José Houde, Mike Ward, Laurent Paquin et Charles Deschamps, ce local où les clients jouissaient dans l’illégalité est devenu un temple dédié à l’hilarité…et réservé aux 18 ans et plus.

Dans trois heures, sur les planches du Bordel et devant une centaine de spectateurs, Arnaud Soly et quatre compères humoristes se relaieront. Chacun aura son quart d’heure sous les projecteurs. «Ici, c’est un bon laboratoire qui te donne l’heure juste, avec un public relativement varié, des jeunes travailleurs aux retraités, explique Arnaud en buvant sa Rolling Rock. En rodage depuis l’automne un peu partout avec son premier spectacle, il ajuste constamment le tir. «Ce soir, je viens travailler un truc très précis qui marche moins bien. Hier, avec un ami auteur, j’ai écrit une nouvelle fin au sketch que je vais faire devant public pour la première fois ce soir.»

Arnaud Soly

Attablé devant un burger de luxe avec frites et salade, Arnaud ne montre aucun signe de nervosité avant de monter sur scène et d’y tester une finale toute fraîche. Même l’évocation de sa prochaine rentrée montréalaise, le 7 avril au Club Soda, jumelée à sa première médiatique, ne semble pas lui couper l’appétit. «Je vais demander à quelqu’un de lire les critiques, mais je sais qu’elles vont être bonnes. C’est un bon show: une heure vingt minutes sans entracte avec des jokes en ouverture qui fonctionnent – et qui provoquent les premiers rires – et des numéros que je roule depuis longtemps.» Pas fanfaron pour deux sous, il dit ça simplement, avec assurance. Celle qui vient avec le temps, l’âge (30 ans), le travail acharné et la validation qu’on a du talent.

Créateur autodidacte

Arnaud est un comique très sérieux. «Il y a cinq ans, j’ai décidé que je me lançais dans l’humour, et je m’y suis consacré complètement. Quand je fais les choses, je les fais bien, je suis un peu obsessif.»

Il venait de terminer un bac en arts visuels à Concordia. Le jour, il peignait des toiles, le soir, il était barman sur le Plateau, un métier qu’il a longtemps exercé et un milieu où il a vécu à fond. «Ç’a été des belles années…», dit-il, avec un demi-sourire rêveur. «Mais ce n’était pas ça. Je n’étais pas heureux.» Quittant son boulot sans autre source de revenus, il s’est inscrit à l’École nationale de l’humour… pour un seul cours du soir. «Je suis impatient. Je me sentais trop vieux pour y passer deux ans, et je n’avais pas les 14 000 $ que ça coûte.»

Autodidacte, son alma mater a été la scène des bars, et l’Internet, son sésame pour ouvrir des portes. «Grâce au Web, j’ai fait un peu de radio et je me suis trouvé une gérante. Je gagnais à peine ma vie, mais je faisais ce que j’aime. La création me fait ca-po-ter. Si jamais l’humour marche moins bien un jour, je sais qu’il y a une place pour moi en publicité, même si j’ai pas très envie de vendre des gadgets.»

Le moins qu’on puisse dire, c’est que son cerveau foisonne d’idées saugrenues et de concepts accrocheurs. Au printemps 2017, Arnaud crée le buzz en publiant sur Facebook une vidéo où il reprend Despacito, le hit du moment, une flûte dans la narine droite. «Je faisais ça au secondaire pour faire rire mes amis. Et ça m’est resté en tête que ça marchait avec eux.»

Lui-même ne trouvait pas cette prouesse nasale si drôle et, encore aujourd’hui, il s’avoue étonné des retombées. «C’est devenu mon branding. C’est bon de se distinguer des autres humoristes, mais je ne veux pas que le public pense que je ne fais que ça.» Sans rien dévoiler, rassurons ses fans de la première heure: dans son one man show, à un moment donné, il sort son instrument. «Je n’ai pas le choix. Les gens s’y attendent, c’est ce qui m’a fait connaître.»

Heureusement, Arnaud a plus qu’une flûte dans sa besace. Il faut le voir et l’entendre, en duo avec Virginie Fortin, entonner a capella des rengaines de blagues plates, du genre: «Savez-vous ce que ça sent un pet de clown? Ça sent drôle.» Ou interpréter des jingles publicitaires (Le Clan Panneton, Marineland) avec le quatuor QW4RTZ. Ou encore faire le doublage de La poule aux œufs d’or à la sauce Soly. «Dans mon humour, j’essaie d’aller chercher des référents que tout le monde connaît mais qui ne sont pas exploités, et les jingles en sont un exemple parfait.» L’an dernier, pour l’ensemble de son œuvre et ses millions de vues sur Internet, Arnaud a reçu des mains de Dominique Arpin, l’animateur de VLOG, à TVA, le VLOG d’or platine. En attendant un prochain Olivier…

Sauf que cette présence assidue et multiforme sur les réseaux sociaux brouille les cartes, croit l’humoriste. «Les gens me demandent souvent ce que je fais en show: de la flûte? des blagues? des chansons? Ben non, c’est du stand up.» Après plusieurs séances de remue-méninges, le titre de son spectacle est apparu comme une évidence. «On cherchait quelque chose de flyé, mais finalement on a choisi Stand up.» Pas très original, mais ça a l’avantage d’être clair. «Je parle de sujets de notre temps, sans m’engager dans des prises de position trop radicales. Je n’aime pas la confrontation, ça m’épuise. Je suis un gars fragile et émotif. Si tu m’aimes sur le Web, tu vas m’aimer sur scène. Je suis la même personne, avec le même côté déjanté, niaiseux et musical.»

Arnaud Soly

Enfant de la balle

La musique fait partie de l’ADN d’Arnaud, né au sein de ce qui est probablement «l’une des plus grandes familles de musiciens au Canada», dixit La Presse. Parents, grands-parents, oncles, tantes, frère, cousins et cousines: tous et toutes font brillamment carrière dans l’univers musical, classique surtout. «Ma mère, claveciniste, est une sommité», précise son fils. Le CV de Geneviève Soly donne en effet le vertige: tournées internationales, conférences en Europe, enregistrements célébrés dans le New York Times… «Ma mère adore rire, j’ai hérité ça d’elle. Quand je joue de la flûte avec mon nez, elle écoute ma musicalité et mon phrasé pour me donner ses notes.»

Arnaud était haut comme trois pommes lorsqu’il a appris à en tirer un son (par la bouche). «Quand t’es un enfant d’artistes, dans ce milieu, il y a une pression de performance, même si tes parents ne le verbalisent pas.» Arnaud, lui, n’avait pas la passion requise pour affronter cette pression. Son avenir était ailleurs… mais où? Il a eu un début de réponse à 14 ans, dès ses premiers matchs d’impro. «Je pense qu’on construit son personnage humoristique dans l’enfance, comme mécanisme social de défense.» Très jeune, il préférait dessiner dans son coin plutôt que de jouer au hockey. Plus vieux, Arnaud s’est aperçu qu’il possédait un don capable de le rendre populaire. Auprès des filles aussi? «Au secondaire, quand t’as autant d’acné que j’en ai eu et que tu pèses 88 livres… avoir de le sens de l’humour, c’est pas assez. Ç’a été long avant que je me fasse une blonde.»

Il en a une maintenant, et depuis plusieurs années déjà. Elle surgit dans la conversation en même temps que le café et l’addition. «Ma blonde a 35 ans mais elle a l’air d’en avoir 22. On se fait beaucoup rire dans la vie, et elle est plus hilarante que moi.» Sa blonde, une jolie brune, a un prénom, Laurence, et une profession – traductrice – qui lui a valu d’être finaliste aux Prix littéraires du gouverneur général. Elle a aussi écrit un roman, En région arctique et ailleurs, en 2011. «On est dans des milieux très différents, mais entre nous, il n’y a aucune compétition ni jalousie. Je gagne plus d’argent qu’elle, je suis dans la lumière, alors qu’elle est dans l’ombre…»

Laurence quitte l’ombre de temps à autre, quand son chum fait la manchette de sites à potins: «Arnaud s’est marié… Arnaud va être papa pour la première fois.» C’est ce qui arrive dans un couple quand un des deux vit dans la lumière. «Ma blonde est plus pudique que moi, et c’est important de respecter ses limites.»

Arnaud Soly

Alors, en janvier dernier, quand l’humoriste a parlé en connaissance de cause de procréation assistée à Véro et les Fantastiques, une émission à laquelle il collabore, la décision a été prise en tandem, et les mots pour le dire choisis de concert. «Ç’a été une grosse partie de notre vie pendant des années. On n’osait pas en discuter avec nos amis; c’est triste comme sujet. Avec le temps, l’espoir vacille, on s’imagine qu’il y a quelque chose qu’on ne fait pas comme il faut, on commence à se blâmer, Laurence pensait qu’elle était trop stressée…» Parmi les détails livrés en ondes ce jour-là: Arnaud se dépêchait d’apporter son sperme à Sainte-Justine. «Le moment magique de la conception, le côté sexuel, romantique, prennent le bord assez rapidement.»

Mais tout ça, c’est le passé. Le présent s’appelle Romane, née en novembre 2019, en parfaite santé et belle comme un cœur (le papa ne peut s’empêcher de montrer une photo au journaliste, mais pas question de diffuser l’image sur Instagram). «Ce bébé est 100 % naturel, même s’il est le fruit d’un savoir médical moderne. Il n’y a aucune honte à ça. Et la réponse [des auditeurs] a été phénoménale. Je peux faire rire? D’accord. Mais si je peux donner un peu d’espoir aussi, c’est encore mieux.»

Son amour incommensurable pour Romane lui a inspiré une lettre touchante, qu’il lui a adressée et qu’il a lue à l’intention des auditeurs de Véro. Arnaud y suggère à sa fille, «sans lui mettre de pression», une liste de résolutions pour les années à venir, de son entrée à l’école jusqu’à la planète à sauver, en passant par sa première peine d’amour… «J’ai trouvé l’exercice intéressant. Romane a deux mois [NDLR: au moment de l’entrevue], je lui parle beaucoup, mais elle ne comprend pas. Je vais garder l’archive de cette émission de radio. On pourra l’écouter ensemble quand elle sera plus vieille. Ce sera un témoignage du temps qui passe trop vite.»

Le temps passe vite, en effet, et Arnaud a filé vers les loges, moins d’une heure avant le début du spectacle. Dernier des cinq humoristes à monter sur scène, il a recueilli la plus grosse ovation de la soirée. Son charisme est indéniable, et sa répartie, impeccable. On en aurait pris bien plus que 15 minutes. Flûte, alors!

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Photos: Félix Renaud



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