Comment avez-vous réagi quand vous avez appris que l’auteur Luc Dionne pensait à vous pour le rôle de Mélissa Corbeil dans la populaire télésérie District 31?
J’ai été bouleversée. Après plusieurs années sans jouer, ou si peu, j’envisageais un retrait de la vie artistique. J’avais déjà fait un bon bout de chemin dans ce deuil et je ne voulais plus me raconter d’histoires. Alors, cette preuve de confiance de la part de Luc m’a touchée droit au cœur.
Est-ce que ç’a été facile de revenir au jeu?
J’ai été très intimidée au début par l’aura entourant la production, mais mes années de métier m’ont aidée. Je peux dire aujourd’hui que je sens que je fais partie intégrante de District 31 et que j’ai trouvé mes repères. En plus, le rôle est très le fun à jouer, même si je sens parfois la haine du public envers Mélissa Corbeil! Je prends ce rôle comme un cadeau. Un extra, un bonus. Cela dit, je ne me fais plus d’illusions. Ça peut s’arrêter après ou continuer, mais mon bonheur n’en dépend plus.
Je constate avec plaisir, Brigitte, que vous êtes vraie. Vous ne nous servez pas cette sempiternelle cassette qui laisse entendre que le show-business est une sinécure.
Tellement de gens avides de célébrité le croient… à tort. Je n’ai pas honte de le dire: j’ai eu une relation amour-haine avec mon métier d’actrice. Toute ma vie. Il n’y en a pas beaucoup qui vont oser le dire, mais je pense qu’il y en a plein qui vivent difficilement cette impermanence. Je sais maintenant que la seule permanence dans la vie, c’est l’impermanence, justement… Ça m’a fait souffrir et ça m’a fait perdre énormément de temps de qualité. Je ne veux plus jamais retourner dans l’état de dépendance où j’étais par rapport à ce métier-là. Si, demain, on me disait que je ne jouerai plus jamais, je n’aurais plus peur. Je ne vis plus dans l’attente de projets. C’est fini, ce désespoir de ne plus jouer, et c’est un gros deuil de fait.
Que s’est-il passé pour que vous ressentiez le besoin de vous réorienter professionnellement en devenant courtière immobilière?
Quand ce choix de vie est arrivé, c’était parce que ma carrière d’actrice faisait du surplace. J’étais en arrêt, il ne se passait plus rien. Ç’a duré un bon cinq ans avant qu’il se passe quelque chose. Je n’avais ni l’âge ni le temps pour retourner aux études pendant huit ou neuf ans. Et comme j’ai été élevée dans une famille où on faisait un peu d’immobilier, je me suis dit que j’allais me lancer là-dedans.
Ce choix venait-il du cœur?
Bah, j’avoue qu’au début, je l’ai fait un peu par dépit. La vie me poussait dans mes derniers retranchements. J’y suis allée avec un sentiment de deuil incroyable à l’endroit de mon métier d’actrice. Les premières années, je ne vous cacherai donc pas que c’était difficile, je n’étais pas en paix avec ça. Je laissais aller ma passion, vous savez… Avec le temps, ça s’est transformé; j’ai rencontré des gens fantastiques, avec qui je me suis mise à travailler. Quand je regarde ce qui se passe ces temps-ci, je ne regrette pas mon choix. Je me sens plus libre aussi. C’est tellement important.
Je soupçonne qu’avec la pandémie, en constatant le manque de travail généralisé dans le secteur culturel – à la télé et au théâtre, notamment –, ce choix de vie vous rassure, en fin de compte?
L’année 2020 a été fantastique pour moi, malgré tout. J’exerce le métier de courtière immobilière depuis sept ans et, comme vous le savez sans doute, la pandémie a été une période assez exceptionnelle dans ce domaine… Même si, pour devenir courtière, j’ai dû passer à travers ce qui me paraissait insurmontable – retourner à l’école, rencontrer des gens avec lesquels je n’étais pas familière, entrer dans un monde complètement différent –, maintenant, je vois ça comme un acquis incroyable.
Est-ce que le fait d’être une actrice avec une certaine notoriété présente des avantages quand on exerce ce métier?
Contrairement à ce que certains pourraient penser, le fait d’être comédienne ne m’aide pas particulièrement. Mes clients sont mes clients, je ne suis pas là pour leur jouer la comédie. Je suis très transparente avec eux. Je rencontre des gens trippants avec qui j’ai des atomes crochus. Néanmoins, le métier de courtier est mentalement exigeant; ça vient avec de grosses responsabilités légales et beaucoup de choses auxquelles penser.
Le rôle le plus merveilleux que vous avez eu, c’est peut-être celui d’être la mère de Charlotte Le Bon, votre fille? Elle connaît d’ailleurs une épatante carrière en France, comme actrice notamment.
Ma fille, ma fille, ma fille! C’est mon soleil, mon amour! On a une relation symbiotique. Elle est à Paris, mais elle s’en vient bientôt… Elle s’est acheté une maison près de chez nous. Plus elle vieillit, moins elle est dans le feu de la réussite et plus elle veut se rapprocher de nous.
Parmi les conseils que vous lui avez donnés, y a-t-il eu des mises en garde concernant le métier d’actrice?
Charlotte voit tout. Elle est une véritable artiste: elle peint, elle écrit, elle expose, elle va bientôt réaliser pour le cinéma… D’ailleurs, je rêverais de jouer à ses côtés ou d’être dirigée par elle. Contrairement à moi, le jeu, pour elle, n’est pas une passion. Elle est plus dégagée de son désir de jouer que moi je l’étais. Par contre, je lui ai appris à toujours dire ce qu’elle pense, même les choses que nous, sa famille, on n’avait pas nécessairement envie d’entendre. Il n’y a pas de non-dit dans notre petite famille de trois.
Le troisième membre de votre «petite famille de trois», est-ce bien votre conjoint, l’acteur Frank Schorpion, qui a élevé votre fille après le décès de son père biologique?
Oui, et ils sont très près l’un de l’autre. Ça fait 31 ans que nous sommes en couple, Frank et moi…
D’un point de vue extérieur, vous donnez l’impression d’être très complices. Vous irradiez, comme couple. Bon… C’est quoi la recette?
Frank est très drôle et je ris facilement de toutes ses jokes. Ça ne veut pas dire que ç’a été facile tout le temps. On a dû faire beaucoup de mises au point. L’amour, le rire et je dirais même un peu de dépendance affective: tout ça forme un cocktail qui semble avoir marché pour nous.
C’est beau de voir cette admiration que vous avez pour votre fille et votre amoureux. Y a-t-il d’autres personnes pour qui vous éprouvez ce sentiment?
Il y a ma très bonne amie, la comédienne et autrice Sophie Faucher, qui me fait tellement rire! On a partagé tellement de choses, on a fait du théâtre ensemble. Aussi, je ne peux pas oublier ma mère, qui a 90 ans. Elle a été élevée sur une petite ferme au fond des bois et elle marchait je ne sais pas combien de kilomètres pour aller à l’école. Vous imaginez? Là, elle voit sa petite-fille devenir une vedette en France. C’est fou ce décalage, c’est vraiment flyé!
Est-ce que vieillir vous fait peur?
Je vais avoir 61 ans. Je fais très attention à la peau de mon visage; je tripe sur les petits pots de crème, les huiles. Vieillir, l’actrice trouve ça difficile, ben oui, il faut l’avouer. Vous savez, nous ne sommes pas toujours bien éclairées, et ça, c’est traître quand on se regarde ensuite à l’écran. Cela dit, vieillir a aussi de bons côtés. J’apprécie davantage les choses. Par exemple quand ma fille est ici, à nos côtés, quand je me lève le matin, que je regarde dehors et que je vois les arbres, la nature. Je ne vous aurais pas dit ça avant… Ça nous apporte aussi ça, le fait de vieillir. Je me sens tellement chanceuse d’avoir la vie que j’ai!
Son actu
Brigitte incarne Mélissa Corbeil dans District 31, du lundi au jeudi, à 19 heures, à ICI Radio-Canada Télé.
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Photographe Andréanne Gauthier
Stylisme Claude Laframboise