Ces femmes qui nous inspirent : Lise Roy

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17 Oct 2022 par Claudia Larochelle
Catégories : Culture / MSN / Oser être soi / Véro-Article
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Entretien avec Lise Roy, actrice sexagénaire à la beauté solaire qu’on ne se lasse jamais de voir jouer.

Un nom court et commun pour une femme néanmoins unique, à commencer par sa beauté solaire qui capte la lumière du café montréalais où je lui ai donné rendez-vous. La sexagénaire Lise Roy a l’aura d’une sage qui a galéré et réfléchi. Pas étonnant qu’on ne se lasse jamais de la voir jouer! Pourtant, malgré sa cote de popularité, la comédienne ne s’est jamais hissée au rang des stars. Entretien.

Vous êtes depuis longtemps présente dans notre paysage culturel sans pour autant être devenue une «vedette». En avez-vous déjà été amère?

J’imagine que ce n’est pas si simple d’être une vedette, et que ça vient avec un lot d’attentes et d’obligations. Comme je n’ai jamais été là-dedans, j’ai peut-être eu plus de liberté à exister. Par contre, ce que j’aurais aimé de cette posture-là, c’est la possibilité d’avoir six scénarios de films sur ma table et trois appels de réalisateurs du Danemark… C’est cet accès à plus – aux artistes, aux projets incroyables – qui m’aurait plu. Parce qu’un nom connu attire des producteurs et des diffuseurs… J’ai donc pu être envieuse, mais pas amère ni jalouse.

J’imagine que cette acceptation vient aussi d’une philosophie que vous cultivez. J’oserais même parler de sagesse!

Écoutez, on peut y croire ou pas, mais je pense que de transformer nos envies en désirs plutôt qu’en frustrations, de les nommer en gardant le coeur ouvert, ça aide à rester dans l’enthousiasme et à attirer les choses qu’on espère.

On a souvent dit, avec raison, qu’on offrait moins de rôles aux femmes dès le début de la quarantaine. À force de décrier ce phénomène ingrat, avez-vous l’impression que la situation s’est enfin améliorée?

Effectivement, il y a un flou dans la quarantaine, une sorte de trou noir entre la jeunesse et la maturité. C’est comme si le milieu de la production télévisuelle et cinématographique ne savait pas quoi faire avec ça ou en avait peur. Parce que clairement, il y a quelque chose dans l’image de la vieillesse qui fait tiquer. Mais il faut admettre que cet entre deux âges dérange moins chez les hommes. Je vois de plus en plus de revendications du côté des actrices à ce sujet…

Comme si vous aviez collectivement décidé que ça avait assez duré? Ça se manifeste comment, dans votre cas?

Il y a eu des années où je n’ai pas travaillé. C’est à ce moment-là que je me suis dit: «Regardez-moi bien, je vais y arriver, même avec mes rides et mes cheveux blancs!» C’était une boutade, mais ça s’est avéré. Parce que j’ai commencé à travailler beaucoup plus pour la télé et le cinéma à la fin de la quarantaine. C’est alors que j’ai décidé de parler de cette peur maladive de vieillir, donc de ne plus pouvoir travailler avec mes grandes amies du métier. Ce n’est pas possible qu’on en soit là! Des êtres humains âgés, il y en a plein! Si ce métier-là existe pour refléter l’humanité, je pense qu’on devrait nous aussi être à l’écran. Pour certaines actrices, il y a maintenant une responsabilité sociale à témoigner d’un corps qui vieillit.

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De mon côté, je n’aime pas voir mon physique vieillir… Ce n’est quand même pas si facile pour nous toutes, non?

Attendez, ce n’est pas si simple de s’accepter! Je pense aussi que c’est plus difficile d’accepter de prendre de l’âge à l’écran pour une femme qui a été révélée comme une beauté dans sa jeunesse. Quand j’arrive sur un nouveau plateau de tournage, je clame toujours la même blague – et ce n’est pas innocent – en me présentant aux directeurs photo: «L’actrice se prosterne devant les directeurs photo.» Ce sont eux qui nous éclairent. Avec la lumière, on sait que les visages, au cinéma particulièrement, sont sublimés… ou pas. D’ailleurs, ces dernières années, beaucoup d’actrices répètent que si elles étaient mieux éclairées, ce serait déjà ça de pris!

J’ai l’impression que vous êtes plus en demande que jamais comme comédienne. Ai-je raison?

Je touche trois fois du bois parce que, oui, je joue désormais beaucoup et, enfin, je ne joue plus juste le même type de personnage. Il y a ça aussi, en tant que femme: on est souvent utilisée selon certains clichés concernant notre corps. Tenez, on pense souvent à moi pour jouer la juge à l’air bête. Tu me ramasses les cheveux et tu me mets un collier de perles, pis c’est ça! Je suis grande, j’ai la voix grave et les cheveux blancs, c’est sûr que je ne peux pas faire les rôles rock’n’roll de Céline Bonnier, même si c’est ça que je voudrais faire. Un moment donné, il faut faire la paix avec ça. On veut tous sortir des sentiers battus et des clichés, mais on est tous pareils: on voit quelqu’un et on l’identifie à quelque chose… Et le public a aussi besoin de croire tout de suite au personnage.

En plus d’embrasser une carrière d’actrice enviable, vous enseignez. Vous qui n’avez pas eu d’enfant, est-ce, d’une certaine façon, votre manière d’être dans la transmission?

J’ai toujours vu l’enseignement comme un legs. En ce moment, on se trouve dans un contexte social où les rapports entre étudiants et profs ne sont pas si simples, surtout en théâtre, où les étudiants sont très revendicateurs. Ce n’est plus aussi facile que ça l’était, ça bouscule les interactions. Il y a une méfiance envers nous, les plus vieux, qui avons construit ce monde contesté. Je suis vieille, je suis blanche, je suis cisgenre, bref, je ne suis pas très «in» en 2022. En même temps, je pense que c’est enrichissant pour les étudiants d’avoir une prof qui est encore présente dans le milieu. Cela dit, ils m’apprennent aussi plein de choses. Dans le monde dans lequel on vit, je les trouve courageux de se lever le matin et d’embrasser large. Parce qu’on ne sait pas trop à quoi va ressembler le théâtre et les arts au sortir de la pandémie.

Des êtres humains âgés, il y en a plein! Si ce métier-là existe pour refléter l'humanité, je pense qu'on devrait nous aussi être à l'écran.

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Puisque vous cultivez le détachement, qu’est-ce que vous apprenez à vos étudiants pour qu’ils ne s’en fassent pas trop quant à leur avenir?

Je leur dis souvent de ne pas être inquiets, de faire confiance, que les affaires se placent au fil du temps. Et, surtout, je leur dis de nommer leurs désirs. Par exemple, quand j’ai connu un creux financier, plutôt que de me rouler en boule dans mon petit appartement, je me suis acheté un billet pour Paris. J’avais repéré un monastère en Bourgogne, en me disant que j’irais là-bas refaire ma vie. C’est à ce moment-là que j’ai reçu un appel à propos d’une audition que j’avais passée et à laquelle je ne pensais plus. Ça m’a ramenée à Montréal… et c’était reparti! Quand les choses n’arrivent pas, il faut changer le mouvement, faire tourner la roue de la vie. Il faut aussi se souvenir que les rôles – comme les succès – ne sont pas attribués au mérite. Il faut faire la paix avec ça, ça fait du bien. J’encourage aussi les jeunes actrices à participer à plusieurs projets en même temps, comme Sophie Cadieux et Catherine-Anne Toupin, qui ratissent large en jouant, en écrivant, en mettant en scène, etc. C’est tout un atout dans une carrière!

Vos propres enseignements vous ont réussi, parce qu’on peut vous voir notamment dans les téléséries Une affaire criminelle et Bête noire, et qu’on vous verra au cinéma, d’ici quelques mois, dans La meute, un film pour lequel vous êtes en tournage…

La salle de répétition et les plateaux de tournage sont deux lieux où j’exulte! Je ne m’en lasse pas. Il y a là quelque chose que je trouve beau, à voir tout le monde qui travaille en même temps pour trouver sa place, sa justesse. Pourtant, je n’avais pas prévu devenir comédienne. Je me voyais plus comme sociologue ou photographe, voire journaliste. Or, j’étais une suiveuse, donc je suis allée passer des auditions comme mes amies le faisaient… et j’ai été acceptée au Conservatoire d’art dramatique de Montréal! Comme vous pouvez le constater en voyant mon sourire, je ne regrette absolument pas d’avoir été suiveuse. (rires) Elle peut être surprenante, cette vie-là!

 

Photos : Andréanne Gauthier
Assistante-photographe : Vanessa Brossard
Stylisme : Vanessa Giroux
Mise en beauté : Alper Sisters
Coordonnatrice : Claudia Guy

 

 

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