Elle est née à Montréal en 1944. Déjà, j’étais fascinée par ce fait. J’ai rencontré virtuellement cette formidable actrice et enseignante – qui m’a autorisée à la tutoyer – par un après-midi tout gris.
Es-tu vraiment née dans la métropole, Louise?
Oui, et ils sont rares, les comédiens et les comédiennes qui sont réellement Montréalais. Quand on pose cette question lors d’une production, il n’y a pas beaucoup de monde qui lève la main.
Dans quel quartier as-tu grandi?
Dans un quartier ouvrier très populaire, qui s’est beaucoup transformé depuis: c’est ce qu’on appelle maintenant le Village. Je suis née au coin des rues De Montigny – qui est aujourd’hui le boulevard De Maisonneuve – et Plessis. Donc en plein Faubourg à m’lasse.
Tu as donc vu ton quartier se faire raser…
Oui, effectivement. Mais à ce moment-là, ma mère avait décidé qu’on déménageait au coin de Beaubien et de Christophe-Colomb. Mais je n’ai pas habité là longtemps, parce que j’ai été acceptée au Conservatoire [d’art dramatique de Montréal] à 17 ans. À partir de ce moment-là, j’ai commencé à vivre chez mon père, puis j’ai volé de mes propres ailes en colocation.
C’était au début des années 1960, non? Comment as-tu vu la ville changer depuis?
C’était en 1962. J’étais bien sûr attachée à mon quartier d’enfance. Pour ma génération, la transformation du quartier de Radio-Canada, ç’a été un énorme changement. Parce que quand je suis sortie du Conservatoire et que j’ai commencé à travailler à Radio-Canada, c’était dans l’ouest de la ville à l’époque, au coin de Saint-Mathieu et Dorchester! Alors nos premières fréquentations de bars et de restaurants ont eu lieu dans l’ouest de la ville. Mais quand Radio-Canada a déménagé dans le fameux Faubourg à m’lasse, des endroits où sortir et où manger se sont développés dans les environs. Avant, il n’y avait rien de tout ça! C’était un quartier très simple, avec une épicerie, un cordonnier, etc.
Est-ce au nom de la modernisation qu’on a métamorphosé ce quartier? Une sorte de rêve américain, avec de grands boulevards, beaucoup d’autos?
Oui, exactement. On se disait: «C’est terrible qu’ils aient tout rasé», parce qu’on connaissait les gens qui habitaient là. Alors on était tous un peu secoués par ces changements… Il y a des gens qui ont subitement perdu leur logis. La ville a ouvert des espèces de logements sociaux qui sont devenus comme des ghettos. Personne ne voulait aller y habiter. Ma mère ne serait jamais allée vivre dans ce genre d’appartements-là. Ma mère, c’était une fille de la campagne qui voulait que la vie soit belle. La métamorphose de son quartier ne lui a pas plu du tout. C’est pour ça qu’on a déménagé plus au nord de la ville.
Est-ce que tu avais l’impression d’être plus loin de tout, après ce déménagement?
Tout à fait. Je me rappelle qu’on prenait le tramway pour aller au magasin Morgan [depuis devenu La Baie]… Eille, c’était loin, ça! On sortait vraiment de notre coin. D’abord, on se rendait dans un quartier qui était complètement anglophone et ma mère parlait très peu anglais. Et moi, j’avais mal au cœur dans les transports publics, alors c’était affreux. Quand ma mère annonçait qu’on s’en allait là-bas, c’était un supplice! (rires)

«Quand la religion m’a empêchée de faire ce dont j’avais envie, j’ai tout envoyé promener. J’ai dit à ma mère que je n’irais plus à l’église ni à la messe, que je quittais mes études de couventine pour aller au Conservatoire.»
Tu as donc aussi été témoin de toute l’évolution de la langue française dans les commerces, les publicités…
Quand la télé est arrivée chez nous, tout était en anglais. Radio-Canada en français n’existait pas encore. Alors, c’est comme ça que j’ai appris à parler anglais. Parce que je regardais toutes les émissions jeunesse et qu’il n’y en avait pas encore une en français. C’était étrange, quand même. La culture qui entrait dans notre salon n’était jamais dans notre langue.
Et que trouves-tu qui a le plus changé quant à la place de la femme dans notre société?
J’ai un peu de difficulté à parler de ça, parce que moi, il faut que tu comprennes que j’ai baigné dans la religion durant toute mon enfance. Un moment donné, quand la religion m’a empêchée de faire ce dont j’avais envie, j’ai tout envoyé promener. J’ai dit à ma mère que je n’irais plus à l’église ni à la messe, que je quittais mes études de couventine pour aller au Conservatoire.
Étais-tu un peu rebelle? Ce tempérament te venait-il de ta mère?
Non, de mon père. C’était lui, le rebelle. C’est lui qui m’a initiée aux mots et aux arts. C’est pour ça qu’à mon entrée au Conservatoire, je suis allée vivre chez lui. Il me laissait vivre comme je le voulais. Il ne me posait jamais de questions. J’ai compris par la suite que c’était parce qu’il n’était pas fondamentalement paternel qu’il me laissait aussi libre.
Est-ce que cette bulle très progressiste t’a fait évoluer plus vite?
On dirait que la révolution féministe n’a pas été un choc pour toi. Tu as raison. J’étais déjà libre depuis longtemps et je travaillais pas mal. Ça plaisait aux gens, parce que j’avais l’air d’une couventine, mais au fond, j’étais une femme libre.

Parle-nous de l’enseignement de ton art. Qu’est-ce que tu découvres dans les nouvelles cohortes d’acteurs et d’actrices?
Bien que j’adore enseigner, je dois avouer que je suis un peu inquiète pour certains jeunes de la nouvelle génération à cause du degré très élevé de narcissisme qui découle de l’omniprésence des médias sociaux. Ce sont les premiers jeunes adultes à avoir grandi en accordant une importance aussi cruciale à leur image. Le paraître est devenu primordial et ça leur donne une carence de profondeur. Ce n’est pas forcément leur faute. On leur a mis ces outils entre les mains. Mais ça m’inquiète parce qu’être acteur ou actrice, c’est aussi savoir écouter l’autre. Quand tu n’es pas en train de dire une réplique, tu dois être très présent dans ton silence. Si tu veux devenir bon dans ce métier et surtout durer, tu dois creuser loin en toi. Ce ne sont pas des choses qui se passent en surface. Ce qui se passe en surface, c’est éphémère. Personne ne peut faire une grande carrière avec ça. Si tu veux durer, il faut que ça bouge à l’intérieur.
Oh que si j’étais à la place de ces jeunes, j’écouterais madame la professeure, moi. Parce que, pour durer comme actrice, la grande Louise Turcot en connaît tout un rayon! Je ne niaiserais pas avec une fille qui se tient debout depuis l’époque du Faubourg à m’lasse.
SON ACTU
Louise sera bientôt en tournage du long métrage Notre-Dame-de-Moncton, dans lequel elle tiendra l’un des rôles principaux.
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Photos : Andréanne Gauthier
Assistante-photographe : Vanessa Brossard
Stylisme : Craig Major
Mise en beauté : Geneviève Sauvé
Coordonnatrice : Claudia Guy