Ça se voit dans ses yeux bleus. Ça se voit qu’elle a un cœur grand comme le monde. Ça se devine aussi, à sa silhouette de belle viking, qu’elle porte une large part de notre humanité sur ses épaules et dans son âme. Sinon, comment aurait-elle pu réussir l’impensable en rendant son personnage de Nancy Prévost, l’inquiétante IPL d’Unité 9, si attachante? Et, du coup, entrer dans nos vies sans toutefois rester prisonnière d’un rôle qu’elle a campé pendant six saisons?
Bien sûr, la comédienne a souvent brûlé les planches, que ce soit dans Roméo et Juliette, J’accuse, Sunderland et Chlore, mais il n’en reste pas moins que c’est le petit écran qui l’a révélée au plus grand nombre. Depuis, on l’a vu danser un hip-hop endiablé, parler ouvertement de son physique dit atypique, reprendre un succès d’Adele au piano, fondre en larmes en évoquant le départ prématuré de son père, épouser la femme de sa vie… Pas de doute: à 32 ans à peine, Debbie Lynch-White est arrivée à ce moment rare où une artiste tisse un lien profond et puissant avec le public.
La suite s’annonce tout aussi exaltante, alors qu’elle ressuscite avec une rare justesse Mary Travers, dite La Bolduc, dans le film du même nom réalisé par François Bouvier. La force vitale, la voix, la bonhomie: tout dans le jeu sensible de l’actrice évoque celle qui a redonné l’espoir aux Québécois, plongés dans la crise économique des années trente, grâce à ses chansons entraînantes.
«Dès qu’on m’a parlé du film, je me suis dit que ce rôle-là, il était à moi. C’était moi qui devait incarner La Bolduc!» lance Debbie Lynch-White, alors qu’on s’attable dans un bistro animé du quartier Ahuntsic, où elle a grandi. «À force d’en apprendre un peu plus sur sa vie, je me suis reconnue en elle. Je trouve même qu’on se ressemble… Il y a cette idée de la femme forte, bonne vivante et généreuse. Pour elle, quand il y en avait pour quatre, il y en avait pour six! Je suis pareille. La Bolduc et moi, on vient du même milieu. Un milieu modeste. Elle était boudée par la bourgeoisie de l’époque. Et moi, je ne serai jamais une bourgeoise! L’autre soir, j’ai failli crever l’œil d’une madame avec un cure-dent tellement je suis gaffeuse lorsque je me pointe dans un cocktail-bénéfice!» confesse-t-elle dans un flot de paroles et de rires.
Pour incarner l’icône folklorique, désignée personnage historique du Québec en 2016, Debbie Lynch-White s’est investie corps et âme. Elle a appris à turluter et à jouer de l’harmonica et du violon, en y consacrant tout son temps… et un peu de son sang. Elle a perdu une vingtaine de kilos et plongé avec frénésie dans le parcours de celle à qui l’on doit les vers d’oreille de l’époque, dont J’ai un bouton sur le bout de la langue, Ça va venir, découragez-vous pas et Y a longtemps que je couche par terre. Des chansons qu’elle reprend avec brio dans le film, de même que sur la bande sonore lancée l’automne dernier. «Quand j’interprète ses airs, ça me rappelle ma mère, mes tantes, ma grand-mère. Et les partys de Noël, où le violoneux jouait dans le salon pendant qu’on était 75 ou 100 à entonner des tounes du temps des Fêtes…»
Son goût pour la musique, dit-elle, remonte à sa plus tendre enfance. «Chaque dimanche, je chantais à l’église. J’avais un public et je faisais mon show! J’ai fait ça jusqu’à mes 17 ans. Mais en suivant mes premiers cours de philo, j’ai vite compris que l’idéologie chrétienne, ça ne me parlait pas», précise celle qui, dans la foulée, avoue ne pas savoir faire semblant ni mentir.
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Garder la tête haute
On le sait, Debbie Lynch-White assume tout ce qu’elle est, sans peur, sans reproche et sans complexe. En revanche, on connaît moins son exigence vertigineuse en ce qui concerne son métier et elle-même. «Quand j’ai vu les toutes premières images de La Bolduc, je me suis dit “Je l’ai fait! J’ai réussi!” J’y repense et j’ai le motton… voyons!» dit-elle, la voix étranglée par les sanglots. «J’ai revu la petite fille de huit ans qui disait à tout le monde qu’elle voulait être actrice. Puis, j’ai réalisé que tous les choix que j’ai faits dans ma vie pointaient vers ça. Mais en même temps – et c’est rare que j’en parle –, cette reconnaissance-là, je ne me l’accorde pas souvent… Je ne suis pas tout le temps en train de me donner une “bine”!» confie-t-elle en marquant une pause. «Je suis dure envers moi-même… comme je le suis parfois aussi avec mes amis. Je les écoute, je les console. C’est correct d’avoir de la peine. Mais je les pousse assez vite à se prendre en main et à se relever. Il ne faut pas se laisser abattre!» On croirait entendre Madame Édouard Bolduc.
Pas si étonnant, quand on sait qu’elle s’en est imprégnée pendant trois ans avant de la camper enfin au grand écran. Quand je lui demande ce qui lui reste de La Bolduc, Debbie répond sans hésiter: «C’est l’importance de garder la tête haute, quoi qu’il arrive!» Puis, elle enchaîne: «Quand on réalise tout ce par quoi la musicienne est passée, ça aide à relativiser. On est bien, nous, aujourd’hui! Et c’est un peu grâce à des femmes comme elle. Prends le féminisme. Oui, il y a encore beaucoup de progrès à faire, mais il ne faut pas oublier le chemin parcouru. Et en être reconnaissante. Aujourd’hui, je peux être mariée avec ma blonde. C’est pas comme ça partout dans le monde…» Mon regard se pose sur sa main ornée d’un anneau d’or et d’une bague solitaire au diamant très discret. «C’est pas dans mes valeurs d’investir 4000 $ dans une bague! J’aime mieux claquer mon argent dans un souper avec mes amis!» tranche-t-elle en se calant dans la banquette de cuir, sans se douter qu’on reviendra sur le sujet…
Oser être soi… à deux
L’été dernier, Debbie Lynch-White a uni son destin à Marina Gallant, une brune au regard de braise, gestionnaire dans le milieu de la restauration, avec qui elle compte vivre heureuse longtemps. Et pour cause: la comédienne avoue avoir mis du temps à accepter pleinement son homosexualité en raison de la pression sociale ambiante. Oui, elle fréquentait des garçons, mais sans jamais former un couple. Et l’idée de vivre avec un homme? «Ça ne me tentait pas pantoute! Ça devait être un signe… J’avais beau savoir que j’aimais les femmes, quelque chose en moi n’était pas aligné», laisse-t-elle tomber devant son thé refroidi. «Puis un soir, à 29 ans, paf! Ça m’a frappée! Je me suis dit: “J’arrête de niaiser. C’est ça que je veux vivre!” Vingt-quatre heures plus tard, j’ai rencontré Marina. J’étais prête!»
Ce qui l’a fait craquer pour elle? «Un, elle est belle comme un cœur. Et deux, elle a une tête sur les épaules, de belles valeurs, et elle est fucking intègre. Elle m’apprend à m’assumer, à parler des choses qui me contrarient sans m’excuser. Et moi, je l’incite à devenir plus douce, plus patiente. On est vraiment complémentaires.»
D’ailleurs, son amoureuse l’appelle affectueusement Mère Teresa. «Que veux-tu: si je vois quelqu’un en peine dans la rue, je cours l’aider. Ma nouvelle voisine pellette toute seule, à 10 heures et demie le soir? Je lui donne un coup de main et on en profite pour faire connaissance. J’suis de même. Et j’ai pas envie de changer ça. Mais, tempère Debbie, j’apprends à mettre mes limites.»
Alors qu’on lui demandait, lors de son passage à l’émission Face à soi (à Véro.tv sur ICI Tout.tv Extra) en 2016, si elle était douée pour le bonheur, Debbie Lynch-White en avait ému plusieurs en répondant candidement: «Mon bonheur passe énormément par le bonheur des autres. Des fois, trop», ajoutait-elle en se promettant de «travailler là-dessus». Deux ans plus tard, je brûle de savoir si elle affirmerait la même chose aujourd’hui. «Oui, mais je dirais que je me soucie un peu plus du mien. Grâce à ma blonde, j’évolue!»
Certes, il y a eu sa prise de conscience professionnelle, à laquelle son amoureuse a contribué. «Après avoir fini l’année 2015 en braillant à force d’avoir trop travaillé, Marina m’a fait comprendre que je n’avais pas besoin d’en faire autant pour être bien.» Et ça a tout changé pour Debbie: pendant les mois qui ont suivi, la comédienne a refusé plein de propositions qui ne la faisaient pas vibrer. «Oui, j’ai fait la moitié moins d’argent, mais j’ai gagné le double en qualité de vie! Toutes les femmes passent par là, on dirait. Comme s’il fallait frapper un mur avant de prendre de meilleures décisions pour soi sans se sentir mal d’enfin dire non…»
À sa quête d’équilibre dans sa vie professionnelle s’est ajoutée une dimension inattendue: une soif de partage en amitié. Il faut dire que Debbie – une fille unique qui a «toujours cherché à s’entourer» – n’a jamais compté. Ni les bouteilles de champagne, ni les factures d’épicerie, ni les cadeaux aux amis, ni les invitations au resto ou à la maison, où semaine après semaine, vin et bonne bouffe étaient servis en abondance. «Quand tu viens chez nous, tu n’apportes rien! Tu arrives et je te reçois! Mes paies servent à ça!» C’était jusqu’à ce que son amoureuse, qu’elle surnomme «la voix de la raison», lui fasse remarquer que personne ne les recevait à souper. «J’avais jamais pensé à ça. Ça m’a fait de la peine sur le coup, mais Marina disait vrai. Je n’ai jamais invité mes amis pour être invitée à mon tour, mais quand la balle revient, c’est le fun…»
Debbie l’avoue: ce constat a été un sujet chaud entre elle et sa conjointe. «Tout le monde est mon ami! Ma porte est toujours ouverte. De son côté, Marina est plus sélective. Elle m’a appris la vraie valeur de l’amitié. Je me suis demandé qui, parmi mes amies, se lèverait à trois heures du matin si j’avais besoin d’elle? Y en a pas beaucoup. C’est normal. Le problème, c’est que moi, je me lèverais pour secourir tout le monde.» Résultat: la comédienne admet avoir fait le tri de ses amitiés. «J’apprends à recevoir et à donner aux bonnes personnes…»
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Au cœur de l’humain
L’entrevue tire à sa fin et on s’aperçoit qu’on n’a pas encore parlé de son fameux physique. Elle hausse les épaules. «On a fait le tour du jardin. Le sujet a beau rester important, les gens connaissent mon point de vue sur la question.» De quoi laisser place à son projet de livre – oui, un livre! –, qui rassemblera ses réflexions sur la vie. «On m’a approchée [aux éditions Libre Expression] parce qu’on appréciait ma façon de voir les choses. Je ne me trouve pas plus intelligente qu’une autre, mais j’ai envie d’aborder des thàmes délicats et de lancer le dialogue. On ne pense pas pareil? Eh bien, parlons-en et tentons de trouver des réponses ensemble!»
C’est cette même curiosité qui l’a poussée à entreprendre une maîtrise en théâtre à l’UQAM. «Je le fais par plaisir, mais aussi pour m’ouvrir des portes. J’en suis consciente: dans mon métier, tout peut s’arrêter demain.» Or, ses études pourraient lui permettre d’enseigner ou, qui sait, de diriger un théâtre. «C’est un rêve dont je ne parle jamais, jamais!» dit-elle en rougissant. «Je ne suis pas encore prête, mais à un moment donné, oui, j’adorerais ça!»
D’ici là, on la retrouvera un peu plus tard cette année dans Happy Face, un film canadien-anglais réalisé par Alexandre Franchi, qui traite d’un sujet qu’on a du mal à regarder en face: la difformité. «C’est un film très déstabilisant, qui montre notre dark side. Celui qu’on a tous. Ma mère m’a toujours dit: “Debbie, rien ne passe avant la valeur humaine.” Ça fait que j’aime l’humain. J’aime le représenter le plus fidèlement possible, même dans tous ses travers», dit-elle en regardant au loin. «On m’a déjà dit que j’en faisais trop. Que je faisais peur au monde. Que je parlais fort, que je riais fort. Mais ma joie de vivre, c’est ma force. Et moi, ça me tente pas d’être plate dans la vie!»
La Bolduc peut turluter en paix.
Cette entrevue figure dans le magazine VÉRO du printemps!
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Photos: Andréanne Gauthier