Discussion : Le clash des générations

Discussion : Le clash des générations
08 Août 2023 par Patrick Marsolais
Catégories : Culture / MSN / Oser être soi / Véro-Article
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Échanges sur les clivages intergénérationnels entre la boomer Nathalie Petrowski, Louis-Olivier Mauffette, issu de la génération X, Vanessa Destiné et Mickaël Gouin, deux millénariaux bien assumés.

«J’ai déjà un titre en tête», m’avait dit Laurie Dupont, ma patronne au magazine, la veille de l’entrevue. «Le clash des générations ?» Elle ne pouvait viser plus juste. Dans cette discussion, il y a eu des répliques qui se sont heurtées, des voix qui ont monté en intensité, certains qui écoutaient, d’autres qui n’entendaient pas. Bienvenue dans les univers de la boomer Nathalie Petrowski, de Louis-Olivier Mauffette, issu de la génération X, de Vanessa Destiné et de Mickaël Gouin, deux millénariaux bien assumés.

Ça faisait déjà un bout de temps qu’on avait envie d’asseoir des invités d’âges différents autour de la même table pour entamer une conversation. Commençons par l’expression «OK Boomer», qui m’a toujours horripilé par ce qu’elle envoyait comme message: une insulte qui n’amène aucune possibilité de discuter. Je me disais qu’on valait mieux que ça. Or, on va se le dire, il n’est pas facile de jaser des clivages intergénérationnels. À cet égard, mes invités auraient pu être d’excellents joueurs de hockey: portés sur l’attaque et capables de replis défensifs très réussis.

«Des conflits de générations, il y en aura toujours, lance Nathalie. Il y a des cons partout, incluant les jeunes, mais il y a probablement plus de vieux cons, parce qu’en vieillissant, on ne s’améliore pas forcément.»

Que ce soit sur le plan du travail, de notre vie personnelle, de notre rapport à l’argent ou de notre tolérance au changement, un grand écart sépare souvent la manière d’envisager les choses d’une personne dans la soixantaine d’une autre au début de la trentaine.

«Notre génération a lutté contre le racisme et a milité pour le féminisme, l’eécologie, le syndicalisme, la révolution sexuelle… Nous avons amorcé tout ça, rappelle Nathalie. Nous sommes une génération qui a été en rupture avec ses parents. En grosse rupture. Parfois, j’ai l’impression qu’on ne se souvient pas de notre apport lorsqu’on parle des gens de notre âge.

– Je suis un peu d’accord avec Nathalie quand elle dit qu’il y a un manque de reconnaissance envers les plus âgés, renchérit Louis-Olivier. S’opposer à la guerre du Vietnam, favoriser l’émancipation des femmes et les droits des homosexuels: les boomers nous ont aidés à faire un méchant bout de chemin ! Parfois, j’ai le feeling que les jeunes ne s’en rendent pas vraiment compte ou qu’ils en sont moyennement reconnaissants.

– Je ne crois pas qu’on manque de reconnaissance, mais je peux comprendre qu’on dérange, avoue Vanessa. D’abord, je pense que ma génération est la plus scolarisée de toutes. Je connais des gens de 25 ans qui ont des doctorats, si bien qu’ils peuvent désormais compétitionner avec les plus vieux pour les mêmes postes. J’admets que ça crée des tensions. Dans certains milieux, on voit des gens de 30 ans obtenir des postes de gestionnaires pendant que l’employé de 47 ans attend encore son tour. T’as le boomer qui s’accroche, le X qui attend l’ouverture du poste… pis finalement, c’est le Y qui décroche l’emploi, parce qu’il est young and fresh et qu’il va présumément amener un vent de changement. Au bout du compte, on est tous montés les uns contre les autres.

– C’est aussi votre rapport à l’emploi qui nous dérange, poursuit Nathalie. À notre époque, toutes les portes étaient ouvertes. Je rêvais d’être journaliste et je le suis devenue. Il y avait beaucoup de jobs, mais nous ne posions pas de conditions pour les obtenir, comme le font aujourd’hui les plus jeunes. Jamais nous n’aurions osé faire ça. Peut-être qu’on avait tort. Peut-être qu’on a exagéré dans notre workaholism et qu’on s’est trop définis par notre job. Les plus jeunes sont plus relax. Ils veulent avoir une vie et ils ont raison.

– En fait, on a compris qu’il ne valait pas la peine d’être loyal à un employeur qui peut nous sacrer là du jour au lendemain, explique Vanessa. On ne veut pas non plus de bullshit jobs qui vont nous abrutir ou nous ennuyer.

– On a aussi vu nos parents ne pas être super épanouis dans leur travail, ajoute Mickaël. Pas pour rien que les miens m’ont conseillé de choisir un boulot qui allait d’abord et avant tout me rendre heureux. Eux ne l’étaient pas. C’est le legs qu’ils m’ont donné.»

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Liberté 55 ?

Il y a quelques décennies, l’idée de la retraite à 55 ans était un objectif de vie, appuyé par une pub qui avait fait beaucoup de bruit. On planifiait d’arrêter de travailler assez tôt pour profiter de la vie et couler des jours heureux. Aujourd’hui, j’ai parfois l’impression qu’à force de rêver à des conditions de travail idylliques, les jeunes générations, incapables d’épargner, devront bosser jusqu’à 80 ans pour subvenir à leurs besoins.

«Miser sur le bonheur au travail peut parfois nous entraîner dans des voies moins payantes et c’est un risque qu’on assume, affirme Mickaël. Il ne faudrait pas se surprendre qu’en valorisant une vie de liberté, on ait à en subir certaines conséquences, dont celle de travailler pas mal plus longtemps.

– Ça dépend, réagit Vanessa. J’ai des amis qui sont très pressés de prendre leur retraite. Ils veulent faire le tour du monde à 45 ans et font des choix en conséquence. Ils sont super économes. Notre génération ne s’accroche plus au rêve américain. On ne veut plus de cette maison unifamiliale en banlieue avec deux voitures et seulement deux semaines de vacances par année. On mise plutôt sur le nomadisme, la flexibilité, des emplois moins prestigieux, mais qu’on pourra exercer un peu partout dans le monde.» 

Bouillon de culture

Assises l’une à cêté de l’autre, Nathalie et Vanessa animent le débat, qui prend parfois des allures de lutte verbale. Aux deux extrémités, Mickaël et Louis-Olivier agissent en observateurs, tentant de marquer le coup avec un calme qui tranche sur le ton enflammé des échanges. Si on devait étiqueter Louis-Olivier, seul représentant (à 46 ans) de la génération «sacrifiée», on le qualifierait de sage du groupe. Et lui, comment décrirait-il les X, qui ont aujourd’hui entre 43 et 62 ans ?

«On est probablement la dernière génération au Québec à avoir été influencée par la religion, dit-il. Je le perçois dans notre vision de l’amour, où on a longtemps pensé qu’il fallait trouver LA bonne personne. Je me souviens aussi que les enfants du divorce étaient pointés du doigt. Je réalise qu’on a eu beaucoup de difficultés avec les échecs amoureux, alors que ma fille de 14 ans n’a aucun problème à vivre ce genre d’expériences. Elle est jeune, mais déjà, je constate qu’elle vit mieux avec les ruptures. Par ailleurs, la culture générale était très importante pour notre génération. Moi, je voulais savoir qui était René Lévesque, qui était Pierre Bourgault. Je trouve que la jeune génération ne s’intéresse pas assez à la culture québécoise. C’est quelque chose de primordial pour moi, et là-dessus, ma fille, je l’ai échappée. Elle s’en fout. Moi, mes parents m’ont transmis cette culture. La musique de Beau Dommage et des autres auteurs-compositeurs de cette époque jouait continuellement dans notre voiture. Et je n’avais pas d’écouteurs, contrairement à ma fille, pour écouter autre chose.» 

En évoquant la culture québécoise, Louis-Olivier vient de mettre le doigt sur un point très sensible. Les boomers et leurs enfants qui ont manifesté dans les rues pour protéger le français, qui ont mis en valeur le talent des artistes en chérissant leur langue – tant au théâtre qu’en musique ou sur grand écran –, sont souvent déçus de l’engouement de la jeune génération pour le franglais des Dead Obies ou de FouKi, par exemple. Les combats d’hier intéressent moins la jeunesse. Et se faire dire «OK Boomer» ou «vieux maudit intolérant» dès qu’on ose exprimer cette déception est également très représentatif du fossé générationnel. Sans compter que ça manque drôlement d’empathie.

«Je comprends ça et je suis d’accord pour dire qu’on doit être prudent en ce qui concerne la protection du français, réagit Mickaël. Cela dit, les ardents défenseurs de la langue ont décidé de mordre dans le hip-hop franglais pour tenter de démontrer que les jeunes se foutaient de la langue française, alors que ce n’est pas le cas, je pense. On omet souvent de mentionner que cette même jeunesse tripe fort sur des rappeurs qui manient le français comme des orfèvres.

– Ce sont des critiques rébarbatives et moralisatrices qui n’incitent pas les jeunes à aimer le français, estime Vanessa. L’approche coercitive est sans doute la pire pour inciter les gens à triper sur une langue. Il faut que ce soit organique et que ça vienne des jeunes eux-mêmes.» 

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No future ?

Si les baby-boomers sont souvent la cible de plusieurs attaques, Vanessa insiste pour dire qu’ils ne sont pas les seuls à passer dans le tordeur. Et que sa génération, celle des gens ayant entre 27 et 42 ans, est aussi victime d’un paquet de préjugés.

«L’âgisme, ça va dans les deux sens, souligne-t-elle. On nous accuse d’être superficiels, de manquer de rigueur intellectuelle, de curiosité. On croit que nous méprisons ceux qui nous ont précédés. J’ai beaucoup de difficulté avec le paternalisme des plus vieux, envers lesquels nous devrions supposément avoir plein de gratitude. Le “OK Boomer” exprimait un ras-le-bol de ma génération face à ce paternalisme. Au bout du compte, on nous laisse quand même une planète en ruine et je peux comprendre les plus jeunes que moi de ne pas avoir envie de faire des enfants dans ce contexte. Ils sont en colère.

– C’est là où je débarque, réplique Nathalie. Je comprends qu’on s’inquiète pour la planète, mais j’ai un problème avec cette idée de ne pas vouloir faire d’enfants dans le futur. C’est une idéologie qui relève de la victimologie. J’y suis allergique. C’est ce qui me désole de votre génération que je trouve trop douillette…» Avant même que Nathalie ait le temps de finir sa phrase, un tsunami de voix s’élèvent contre sa dernière affirmation.

«Je pense que tu ne comprends pas ce que c’est que d’avoir des enfants à notre époque, s’exclame Mickaël.

– Nous avons eu des parents hélicoptères qui nous ont surprotégés, renchérit Vanessa. Ça explique peut-être certains de nos comportements.

– Je peux vous confirmer que je surprotège mes enfants 1000 fois plus que je l’ai été, révèle Louis-Olivier. Mes parents m’envoyaient au parc non-stop. Aujourd’hui, quand ma fille veut y aller, je me demande s’il y a un agresseur pas loin… J’ai presque envie de la suivre à vélo!»

Un brin fatigué de ce ping-pong verbal et des accusations qui fusent, Mickaël signale son ras-le-bol: «Je trouve que notre conversation n’est pas dans l’échange ni dans l’écoute. On est juste dans la colère. Nathalie raconte qu’on est douillets, qu’on est ci ou ça. Est-ce que c’est ça, être un boomer ? Se plaindre qu’on ne peut plus rien dire ? On peut-tu juste jaser ?»

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Devant la caméra

Alors oui, jasons. Je suis peut-être naïf, mais j’ai l’impression que le conflit générationnel qu’on vit à cette table est moins présent sur un plateau de tournage. J’imagine le vieux sage donner quelques conseils au jeune premier…

«C’est parce que chaque personne joue son rôle, affirme Louis-Olivier. On ne choisira pas un gars de 23 ans pour jouer un personnage de grand-père. Chacun se respecte, parce qu’on a besoin de chaque génération pour faire un spectacle.

– J’ai des sentiments partagés là-dessus, réplique Mickaël. Il y a une génération qui est un peu plus conservatrice dans son approche du jeu et de la création. D’un autre côté, il y a effectivement un échange entre les acteurs qui est très salutaire. 

Je travaille avec Guy Nadon en ce moment et c’est fou comme on parle de nos réalités et de nos approches des personnages.

– De mon côté, j’ai travaillé avec Albert Millaire et Jean-Louis Roux et j’aurais pu les rentrer dans le mur à plusieurs reprises tellement ils étaient fermés, affirme Louis-Olivier. Ils n’avaient aucune ouverture d’esprit. Je me souviens qu’Albert Millaire était très insulté lorsqu’on lui demandait de passer une audition, lui, le grand Albert Millaire. Il ne comprenait pas qu’un metteur en scène avait peut-être juste envie de voir opérer la chimie entre lui et une autre actrice. C’était toujours un non catégorique.

– C’est difficile de perdre du pouvoir, n’importe qui vous le dira, renchérit Nathalie. C’est un des mauvais côtés des boomers. Plusieurs s’accrochent à leur boulot. Je ne devrais peut-être pas dire ça, parce que j’occupe encore pas mal d’espace, mais j’ai quand même décidé de quitter mon poste à La Presse alors que j’aurais pu rester. Viendra un temps où je devrai cependant lever les pattes.»

À l’entendre argumenter de la sorte, avec autant de verve, m’est avis qu’il lui reste encore assez d’énergie pour continuer sa carrière médiatique un bon bout de temps…

LEURS ACTUS

Vanessa Destiné coanime la série documentaire Décoloniser l’histoire, à Télé-Québec. Elle collabore aussi aux émissions Copilote, à Rouge, La journée (est encore jeune), à ICI Première, et à Dans les médias, à Télé-Québec.

Mickaël Gouin est en tournage tout l’été pour différents projets qui verront le jour en 2023-2024.

Louis-Olivier Mauffette joue dans la pièce Silence, on tourne ! au Théâtre Gilles-Vigneault de Saint-Jérôme, du 23 juin au 12 août, et il sera en tournée partout au Québec cet automne avec la pièce Je suis un produit.

Nathalie Petrowski poursuit sa collaboration à l’émission C’est juste de la TV, à ICI ARTV. Elle participe aussi aux émissions La journée (est encore jeune) et Pénélope, à ICI Première. À l’automne, elle lancera un récit autobiographique intitulé La vie de ma mère, aux Éditions La Presse.

Nous tenons à remercier le bar Baby Far West pour son accueil chaleureux. 

Photos : Martin Girard ;
Assistant-photographe : Raoul Fortier-Mercier ;
Mise en beauté : Mayillah Ezekiel 

 

 

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