Scénario de film encensé, série télé qui cartonne, spectacles d’humour qui raflent tous les prix. Nul doute: Martin Petit est au sommet de son art. Rendez-vous chaleureux.
Il faut franchir trois portes pour arriver jusqu’à lui. Une fois à destination, on ne perçoit plus rien du coeur grouillant de la ville, sinon ce qu’on devine de vivant et de lumineux derrière la grande fenêtre. Havre de paix: c’est l’expression qui me vient à l’esprit alors que Martin me fait faire un rapide tour du proprio de ce loft converti en bureau. Havre ou rempart contre les distractions et les préoccupations du quotidien, c’est selon… «Les artistes peintres ont bien un atelier, non? À un moment donné, je me suis rendu compte que ce n’était plus possible pour moi d’écrire dans des cafés ou, pire, dans mon sous-sol! Tu sais, dans le débarras, à côté de la planche à repasser et du vélo stationnaire qui ne sert plus depuis une éternité… Écrire, c’est déjà assez difficile comme ça. Surtout si je dois fermer la porte à clé pour empêcher mes garçons [qui finissent l’école à 14 h 30] d’entrer dans la pièce. Je veux bien être un artiste, mais ce n’est pas vrai que je vais dire à mes enfants qu’ils ne peuvent pas venir me montrer leurs dessins avant que j’aie fini de travailler. Ça me briserait le coeur.»
Sur un des murs, l’humoriste a fait peindre une grande pieuvre, à la manière d’un graffiti. Les tentacules de la créature sont nimbés d’encre, la matière de prédilection de Martin Petit qui, même lorsqu’il verse dans l’humour plus trivial, fait dans la dentelle avec les mots. Prenez son dernier one man show, Martin Petit et le micro de feu. Les premières six minutes du spectacle sont un feu roulant, une catharsis jouissive pour toutes les jeunes familles.
Et dire qu’il a écrit ce spectacle à peu près en même temps qu’il signait le scénario de Starbuck (avec Ken Scott), qu’il créait le projet télévisé Les pêcheurs et qu’il devenait le papa de son deuxième rejeton… Le mec qui est assis devant moi ne fait pas que tenir le micro de feu… Il EST en feu!
Écrire, c’est du boulot!
Bon, peut-être pas aujourd’hui, puisque Martin est enrhumé (une grippe d’homme, qu’il dit), mais en général, disons. En 2013, le scénario de Starbuck, parce que génialissime, a été adapté par le cinéma américain, puis français (Vince Vaughn, dans Delivery Man, et José Garcia, dans Fonzy, ont repris chacun leur tour le personnage incarné par Patrick Huard). Bientôt, c’est Bollywood qui proposera sa version dansante et chantante du scénario de Petit et Scott. Les pêcheurs ont su hameçonner le coeur des téléspectateurs québécois, et Martin Petit et le micro de feu a permis à l’artiste de remporter plusieurs prix en 2011, dont les Olivier de l’auteur et du spectacle d’humour de l’année. Lorsque je suggère au principal intéressé que tout ce qu’il touche depuis quelques années se change en or, Martin répond du tac au tac que je dis ça parce que je n’ai jamais goûté à sa cuisine.
Mais existe-t-il une recette du succès? «Dans mon cas, ce qui fonctionne, c’est que je me fasse confiance. Je ne connais pas grand-chose au monde des affaires, mais je me connais assez pour savoir dans quelles idées investir mon temps et mon énergie. C’est ma seule recette. Le succès de mes projets n’est pas que le fruit du travail des trois dernières années. Je me rends compte aujourd’hui qu’il est le résultat de tout ce que j’ai fait. Au fond, depuis le début, je travaille sans le savoir sur des projets futurs.»
Pour s’expliquer, il parle du Cabaret des auteurs du dimanche, un groupe d’écriture auquel il a pris part pendant 10 ans et dont les participants devaient rédiger chaque semaine un monologue de sept ou huit minutes sur un sujet imposé. «Je n’ai pas gardé ne serait-ce qu’une ligne de ça. On écrivait et, après les lectures, on jetait nos textes aux poubelles. Mais c’est comme ça que j’ai appris à raconter plus que des jokes.»
Petit à petit…
Bien avant le Cabaret des auteurs du dimanche, il y a eu dans la vie de Petit – et c’est fondateur – l’improvisation. Après avoir terminé ses études secondaires au Collège Laval, il est entré au Collège Montmorency, où il s’est cherché pendant quelque temps. «Je n’étais pas un ado confiant. La vérité, c’est que je savais au fond de moi que je voulais être artiste, mais il y avait tellement d’insécurité dans ma famille par rapport à ce monde-là que ça a pris un temps fou avant que je parvienne à m’assumer.»
Oui, il aurait pu passer à côté de sa vie mais, heureusement, le métier l’a trouvé. «Un jour, à l’école, je te jure, la foule s’est ouverte devant moi et un gars qui faisait du recrutement pour la ligue locale [Stanley Hilaire, la moitié du duo Laymen Twaist, qui a fait fureur au milieu des années 1980] m’a pointé du doigt. Il m’a dit: “Toi, oui, toi, viens avec nous! Sois là demain.” Moi, le misfit, le nerd, j’ai eu l’impression d’être une fille qui se fait choisir par le prince charmant.» C’était en effet le début d’un conte. Par la suite, il s’est éclaté au cégep et a fait la rencontre de Claude Legault et de Michel Courtemanche, entre autres, qui sont devenus de grands amis.
«Je pense que je sais me raccrocher à ce qui compte. Je ne suis pas le genre à avoir besoin que la terre entière me “valide” avant que j’avance d’un pas. Ce genre d’attitude-là peut miner toute une vie.»
Ce qui compte beaucoup pour Martin Petit, c’est aussi la famille. «Avoir des enfants m’a profondément transformé. J’ai accepté, sans résister une seconde, qu’on m’ouvre les tripes et qu’on vienne jouer dedans. J’adore ça!» confie-t-il tout sourire. En dépit de son agenda qu’on imagine surbooké, celui qui planche ces jours-ci sur un nouveau scénario de film carbure à l’amour de ses proches. «Le fait que ma blonde s’occupe de mes affaires nous permet de passer le plus de temps possible ensemble. Être parent, c’est vivre une foule de moments précieux… Une surcharge presque. On voudrait ne jamais rien rater, mais c’est comme une piñata, cette affaire-là: à la fin, il te reste deux ou trois bonbons dans les mains. Les autres sont tombés par terre et tout le monde est parti avec…» L’image est assez juste. Il n’y a pas d’amertume dans son propos. Il constate, voilà tout. «Moi, pendant que ma blonde continue à tisser des liens de complicité avec les petits, je suis parfois dans un restaurant au bord de la route avec mes techniciens.» Il adore ces derniers, tient-il à préciser. Mais il aimerait mieux savourer des bonbons en famille.
Et si – soyons fous –, il lâchait tout pour un temps? «J’entretiens effectivement le fantasme de prendre une longue pause. Je pense d’ailleurs que c’est un fantasme nécessaire. Je n’ai pas de plan concret, mais ça me fait parfois du bien de contempler l’idée. C’est comme avoir une piscine…»
Décidément, Petit se plaît au jeu des comparaisons. «Je ne me baigne presque jamais, mais ça me fait du bien de savoir que je pourrais sauter dedans si j’en avais envie.»
En passant la dernière porte qui me ramène à la rue, je repense à cette piñata qu’est la vie et dont il faut savoir saisir les friandises au vol, à la piscine comme une promesse qui fait avancer. Et je me dis qu’il y a dans ces images tout le génie de Martin Petit.
Avec des «SI», on en apprend aussi sur Martin Petit
Si tu étais un poisson, tu serais… Si on parle d’animal marin, je dirais la pieuvre, parce qu’elle fait mille choses en même temps, ce qui me représente bien.
Si tu étais peintre, tu serais… J’ignore qui, mais je ferais des grands formats en tout cas!
Si tu étais un génie… Je serais capable de faire autre chose que de l’humour et je mettrais mon talent au service du bien commun.
Si tu étais un athlète, tu serais… Un danseur de danse moderne. Ce sont, parmi les athlètes, ceux qui m’impressionnent le plus.
Si tu étais une femme, tu serais… Je ne sais pas, mais j’aurais encore plus de souliers que j’en possède déjà!
Si tu étais du vin, tu serais… Un vin qui se boit maintenant… Un beaujolais.
Si tu étais un tueur en série, tu serais… J’aurais une très petite série. Je me serais déjà fait arrêter!
Si tu étais un extraterrestre, tu serais… Chewbacca, parce j’aime porter la barbe… C’est un grand doux aussi, et je l’envie parce qu’il n’a pas besoin de s’habiller, lui.
Si tu étais un meuble, tu serais… Une chaise, parce que je serais là, toujours disponible; je rendrais service à tout le monde, une personne à la fois.
Photo: Jocelyn Michel / Assistante-photographe: Andrea Cloutier / Direction artistique: Chantal Arès / Stylisme: Florence O. Durand / Mise en beauté: Amélie Bruneau-Longpré, avec les produits Lancôme.
Vous pouvez consulter la version intégrale de cet article dans le sixième numéro de Véro magazine, à la page 98, avec le titre « Martin Petit, un grand talent! ». Le magazine est disponible en kiosque et en version iPad.