La recette du succès de Ricardo Larrivée? Humer l’air du temps, vivre le moment présent, opter pour le beau. Ce père dévoué, amoureux fou de sa femme et homme d’affaires avisé arrive à presque tout conjuguer sans que le Presto explose. On l’a cuisiné à feu doux…
Ça fait chic de dire: «Je suis pas fan.» Dans le taxi entre Montréal et Saint-Lambert, je relisais mes notes, et mon baromètre d’excitation était à «normal». Même chose lorsque je me suis trompée de porte et que je suis entrée dans une partie du nouveau building de Ricardo encore en cours de construction. Idem quand je suis arrivée à l’étage où se déploient les bureaux, quand j’ai vu l’impeccable cuisine de développement, la salle à manger avec ses magnifiques tables communales en bois, flanquée d’un bar à une extrémité et d’un foyer à l’autre. J’ai juste cligné des yeux pour savoir si je rêvais, sans plus. Mais au moment où il s’est avancé vers moi avec son fin tricot vert anglais, parfaitement agencé à la couleur de ses yeux, j’ai su que tout ça, ce qu’on dit de lui, c’est vrai: l’histoire de Ricardo, c’est celle d’un véritable «gentil», d’un mec passionné à l’enthousiasme débridé.
En m’offrant ce tour guidé du propriétaire, le cuisinier le plus populaire du pays ne dissimule pas sa fierté, pas plus que le plaisir intense qui l’anime. La vie bourdonne autour de lui. Collègues, rédacteurs en chef des magazines et assistants l’abordent à tout moment. Afin de mener notre entrevue, nous nous isolons donc dans la salle de conférence, où nous sommes pratiquement les premiers à nous asseoir.
Ricardo, boulimique de la vie
Le premier gastrosexuel s’emballe dès que j’évoque l’incroyable parcours qui l’a mené à la tête de cet empire rive-sudois et qui l’a fait entrer dans les foyers d’une cinquantaine de pays. «Ça fait 16 ans que je présente une émission quotidienne, tu imagines! Ça veut dire que tous ceux qui ont 20 ans ou moins ne se souviennent pas d’une vie sans Ricardo à la télé. Aujourd’hui, ils sont en appartement avec leur blonde ou leur chum et ils se font à manger! Il y a des gens qui me disent qu’ils font à leurs enfants des recettes de Ricardo que leur mère cuisinait pour eux.» C’est un fait: les créations gourmandes de l’animateur de Ricardo and Friends et de Ricardo sont maintenant retranscrites aux côtés des recettes de famille, ce qui semble remplir le principal intéressé d’une indicible joie. «C’est la plus belle
chose qui puisse m’arriver!»
Des belles choses, Ricardo en vit à la pelle. Non, à la tonne! Dans l’immédiat, après l’arrivée de ses vins à la SAQ, il y a la sublime boutique sise au rez-de-chaussée de ses bureaux à Saint-Lambert. Dans sa jolie tête de plus en plus poivre et sel, ça foisonne. Il pense déjà à d’autres ouvertures, aux mille et un projets qu’il développera. «C’est tout un travail pour moi de revenir au moment présent.» Il apprend à respirer par le nez, tout comme il a appris autrefois à apprécier le bonheur. «On peut être le petit garçon qui n’est pas sélectionné dans les équipes de sport, mais on peut aussi décider de briser le cercle vicieux. Plus jeune, je n’étais pas populaire. C’était même un désastre complet. Écoute… j’ai pleuré de la maternelle jusqu’en troisième secondaire.» Son regard vire au gris, mais il ne le
détourne pas. Un ange passe.
«À un moment donné, je me suis dit que c’était assez. Que je ne passerais pas ma vie comme ça. J’ai pris conscience de ce qu’était le mot bonheur et j’ai réalisé que j’étais malheureux. Je n’aimais pas la vie. Je n’aimais rien autour de moi.» Dans la pièce vide, blanche, les mots rebondissent, sonnent juste, vrai. Il évoque l’alcoolisme de son père sans toutefois s’étendre sur le sujet et décrit les années qu’il a passées à broyer du noir comme une perte de temps. «Un jour, j’ai compris que je pouvais faire ce que je voulais de cette vie. Je ne suis pas mon père, je ne suis pas obligé de répéter ses erreurs, pas plus que celles de ma mère. Je peux avoir le couple que je veux, la vie que je veux. C’est ça que ça veut dire, être maître de soi.»
Mais il ne prétend pas à la zénitude la plus totale. Le sympathique fond de névrose qui reste en filigrane est aussi réconfortant pour lui que ses mijotés: il a décidé de savourer la vie, certes, mais, comme tout le monde, il n’y parvient pas toujours. «Ce qui me rend triste ces jours-ci, c’est que le temps file et que je m’aperçois que je ne pourrai pas faire tout ce que je veux.» Encore cette foutue incapacité à être ici et maintenant. «Ça fait trois ou quatre jours que je me lève à 4 h du mat’, angoissé. Je fais des choix et je vis donc des deuils.»
Ricardo, à l’amour, à la mort!
Sur le mur derrière lui, il y a un immense autocollant représentant une assiette vide (qui, de mon point de vue, dessine une auréole autour de la tête du chef), une fourchette et un couteau: «C’est une idée de Brigitte. C’est beau, non?» Comme si j’avais à approuver les choix déco d’un homme au goût exquis, j’acquiesce. «Brigitte, je le dis toujours, c’est la René Angélil de l’histoire.»
Brigitte Coutu, c’est l’amour de sa vie, celle qui a accouché de leurs trois merveilleuses filles et a fait aboutir tous leurs rêves. «On a vite réalisé qu’ensemble, on pouvait faire les choses qu’on n’arrivait pas à accomplir séparément.» La rencontre avec sa moitié (le fameux blind date organisé par l’amie Soeur Angèle), il la décrit comme un coup de chance. «Dans ce temps-là, je ne cherchais pas de blonde. Je voulais DES blondes. Et Brigitte, de son côté, n’était pas si pressée que ça de se caser.» Ç’a pourtant été le début d’une grande histoire. «Ça fait 20 ans. On a eu des années difficiles, entre autres à cause de la maladie, mais je suis heureux avec elle.» Encore une fois, il n’entre pas dans les détails: nul besoin de revenir sur le cancer du sein qui a ébranlé le clan. Comme toujours, Ricardo regarde en avant.
Même que ces jours-ci, en plus de fantasmer sur l’ouverture d’autres boutiques, Ricardo s’amuse à se projeter dans l’avenir. Loin. Très loin. «Je me prépare tranquillement à la prochaine phase, celle d’avoir des petits-enfants!» Je lève un sourcil dubitatif en entendant le séduisant quarantenaire s’imaginer grand-papa. «Ce n’est pas si loin que ça! Ma plus vieille a 17 ans! Je pense à la mort, aussi, parfois…» Sourcil gauche arqué de nouveau. «Quoi! Il ne faut pas avoir peur de ces choses-là. J’ai déjà acheté le terrain. Je trouve qu’il n’y a rien d’effrayant là-dedans, au contraire. Je prépare même l’inscription sur la pierre tombale.» Ah oui? «Oui! L’arbre généalogique de Brigitte et le mien seront gravés côte à côte. Nos ancêtres sont arrivés sur des bateaux différents en 1665 et en 1666… Ça a pris 11 générations avant qu’on s’aime.»
Avant de quitter la Rive-Sud, j’entre dans la boutique de Ricardo et je goûte un nouveau caramel aux fruits de la passion. Soyeux. Divin. Dans le taxi, sur le pont, plus de baromètre, plus de notes, ni de questions. Juste un sourire béat et l’envie irrépressible de retourner acheter le fameux caramel pour le déguster lentement, ici et maintenant, à la petite cuillère.
Avec des «SI», on en apprend aussi sur Ricardo Larrivée
Si tu étais un accessoire de cuisine, tu serais… Une casserole, parce que j’ai tous les ingrédients en moi.
Si tu étais un paysage, tu serais… La mer, pour la lumière, le renouveau constant, le plaisir infini.
Si tu étais un architecte ou un designer, tu serais… Je crois que je préférerais être urbaniste pour pouvoir concevoir l’ensemble d’un lieu, y compris son environnement.
Si tu étais une saison, tu serais… L’hiver, parce que, pour moi, c’est la saison des amours… Comme le printemps, l’été et l’automne!
Si tu étais milliardaire, tu serais… Un grand philanthrope.
Si tu étais un cocktail, tu serais… Un Cosmopolitan. D’ailleurs, ce ne serait pas l’heure de trinquer, par hasard?
Si tu étais un village, tu serais… Chambly. C’est un milieu de vie fantastique. C’est l’endroit qu’on a choisi pour élever nos filles.
Si tu étais un joueur de hockey, tu serais… Dale Weise. Il est moins flashy que P.K. Subban, mais ça reste un très bon joueur. J’aime les underdogs.
Si tu étais un parfum, tu serais… Eau fraîche, de Versace.
Si tu étais un chanteur, tu serais… Il y a des moments où je serais Jimmy Hendrix et d’autres où je serais Michael Bublé.
Photos: John Londono (Consulat); Assistante-photographe: Andrea Cloutier / Stylisme: Florence O. Durand / Direction artistique: Chantal Arès / Mise en beauté: Amélie Ducharme, avec les produits Covergirl.
Vous pouvez consulter la version intégrale de cet article dans le septième numéro de Véro magazine, à la page 133, avec le titre « Au bonheur de l’ogre ». Le magazine est disponible en kiosque et en version iPad.