Reconnu pour sa verve, son franc-parler et ses colères médiatisées, Christian Bégin ne laisse personne indifférent. Personne. Entretien passionnant avec un homme qui embrasse la vie sans compromis.
C’est sur son désormais célèbre scooter que je l’ai vu passer par la fenêtre du Café Parvis, où je l’attendais pour notre rendez-vous. Cinq minutes plus tard, il était assis devant moi, déjà prêt à entamer une conversation
sans faux-fuyant. Smoothie à la main – l’homme ne buvant plus d’alcool les jours de semaine depuis quelques mois main- tenant –, nous trinquons d’abord à ses 30 ans de carrière. Trente années qui lui sont visiblement précieuses. «Je suis étonné et fier d’être encore là, et surtout heureux d’avoir réussi à être un artiste décloisonné, polyvalent.»
À 53 ans, celui qui n’a jamais eu de plan de carrière affiche tout de même une feuille de route impressionnante. Auteur, animateur, acteur: Christian incarne toutes les facettes de son métier avec justesse, et se sent toujours à sa place dans chacun de ces rôles. Malgré cela, il lui arrive d’envisager la fin de ce boulot qu’il chérit tant. «Si un jour tout ça s’arrête, je ne serai pas pris au dépourvu. Il y a plein d’autres affaires qui m’intéressent dans la vie. Je pourrais ouvrir une auberge ou démarrer une entreprise de chef à domicile. On a plus d’une vie dans une vie, j’en suis convaincu», assure-t-il, serein.
SE METTRE EN SCÈNE
Le Christian doux, attentionné et généreux avec qui j’ai la chance de luncher ne ressemble en rien à l’image de l’homme agité, voire colérique, à laquelle les médias
l’associent parfois. Pourtant, ce sont les deux faces d’une même médaille. Au fait, quelle vision le principal intéressé a-t-il de lui-même sur ce plan-là? «Je n’ai pas la langue de bois et je n’aime pas les cassettes. Il m’arrive de me tromper, mais j’assume ce que je dis et ce que je fais. J’assume mes éclats, mes emportements et mes colères médiatisées.»
Comme bon nombre de personnalités publiques l’ont fait avant lui, Christian ne tarde pas à signifier son rapport amour- haine à l’égard des réseaux sociaux. «À travers toutes les controverses dans lesquelles j’ai baignées, j’ai constaté qu’il y a bien des gens qui ne m’aiment pas. La détestation de l’autre s’exprime si violemment sur les réseaux sociaux! Quand j’ai eu compris qu’il est impossible de faire l’unanimité, je me suis détaché un peu du regard des autres.»
Je suis dubitative. Comment peut-on s’en détacher lorsque le métier nous propulse toujours à l’avant-scène? «J’évolue dans un milieu où on existe beaucoup à travers le regard de l’autre, admet Christian, et ça peut devenir un carburant pour l’ensemble de notre vie. C’est très pernicieux. On finit par être dans le spectacle des choses et non dans l’incarnation des choses. Et si, soudainement, plus personne ne nous regarde, on se demande qui on est et sur quoi on peut s’appuyer. C’est cliché ce que je vais dire, mais le carburant, on doit le chercher en soi.»
SON CÔTÉ CURIEUX
Belle surprise dans sa carrière, s’il en est une, Christian anime l’émission culinaire Curieux Bégin, à l’antenne de Télé-Québec, depuis maintenant neuf ans. Bien que festif et sans prétention, ce rendez-vous hebdomadaire au petit écran a complètement changé le rapport que l’animateur entretient avec la bouffe. «Ça fait neuf ans que j’ai, ni plus ni moins, un masterclass de cuisine. Je suis vraiment un meilleur cuisinier aujourd’hui, car j’ai plus de connaissances, mais je ne suis pas un chef. Je suis incapable de réaliser les trois quarts de ce que les chefs font à l’émission.»
Très humble, Monsieur Bégin. Cela dit, c’est d’abord la relation qu’il entretient avec les produits eux-mêmes qui s’est transformée. «Curieux Bégin m’a mis en contact avec plusieurs producteurs qui tantôt élèvent de l’agneau, tantôt cultivent des asperges. Maintenant, quand je mange un aliment, je sais presque toujours d’où il vient. Mon rapport à la nourriture est devenu plus holistique, plus entier.» Mais n’allez pas penser que l’homme a une vision élitiste de la nourriture, au contraire! Celui qui ne saurait refuser un bon hamburger cuit sur le barbecue ne se permet de faire la fine bouche qu’à un seul endroit: au restaurant. «Quand je vais au resto, j’avoue, je suis plus difficile. Si c’est mauvais, je vais le dire. Il m’est même arrivé à deux reprises de faire des éclats dont je suis plus ou moins fier. Une fois, j’étais dans un supposé grand établissement français, dans le coin de Nantes. On mangeait du saint-pierre, un pois- son très coûteux, et ce n’était vraiment pas bon. Je suis allé voir le serveur et je lui ai lancé: “Excusez-moi, je suis un chef renommé au Québec, et si ça ne vous dérange pas, je vais aller en cuisine montrer à votre chef comment bien exécuter ce plat.” (rires) Je savais que je donnais un show et c’était plutôt drôle, parce que personne ne me connaissait. En fin de compte, on n’a pas payé et on est partis.»
Si la scène est en soi hilarante, la réaction de Christian n’en demeure pas moins compréhensible. «Quand on paie pour un service qui n’est pas à la hauteur, il faut se faire un devoir d’exprimer notre mécontentement, affirme-t-il. Quand la serveuse vient nous voir pour nous demander si le plat est à notre goût, veut-elle entendre la vraie réponse ou pose-t-elle la question juste pour la forme, présumant que tout le monde répondra que tout va bien? Même si ça nous gêne – surtout au Québec – on se doit de dire les vraies affaires.»
UN CHAOS… ORGANISÉ
Plus les confidences fusent, plus Christian me confirme ce que je savais déjà: l’homme n’a aucun tabou et ose livrer le fond de sa pensée, quel que soit le sujet… et ce, même lorsqu’il s’agit de lever le rideau sur des aspects moins glorieux de sa personne. Son incapacité à s’autogérer en est un bon exemple. «Je suis désorganisé de façon générale dans ma vie, confesse-t-il. À l’agence, il y a quelqu’un qui gère mon horaire, et elle doit me suivre de près car j’ai tendance à planifier plus d’une chose en même temps.»
Pas si mal, dites-vous? C’est lorsqu’on aborde les détails des états financiers de l’acteur que le bât blesse. «J’ai un rapport très immature à l’argent. Je dois travailler là-dessus. Ce n’est pas de la mauvaise foi, c’est de la négligence. En thérapie, j’essaie de comprendre pourquoi j’ai une relation si bizarre avec l’argent et pour- quoi j’ai l’impression que ça ne me concerne pas.»
Christian projette son regard au loin pendant un instant, puis il poursuit: «Ma comptable gère tout. De façon absolue. Sinon, c’est le chaos. Je ne vois passer aucun papier ni aucun chèque.» Mais comment fait-il pour savoir s’il a cumulé assez d’argent pour s’acheter un truc ou pour bien vivre durant ses vieux jours? «Je n’ai pas de coussin financier, avoue-t-il. J’adhère à la philosophie de Die broke (ndlr: mourir fauché). Je ne laisserai d’argent à personne. C’est insécurisant de ne pas avoir de sous de côté. En fait, je suis condamné à travailler longtemps», conclut-il, mi-souriant, mi-résigné.
Tant mieux pour nous, Christian. Égoïstement, on ne peut que se souhaiter un autre 30 ans à savourer ton authenticité et ton professionnalisme au petit comme au grand écran.
Photo: Jocelyn Michel
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