Entrevue avec Patrice Bélanger

23 Août 2016 par Laurie Dupont
Catégories : Culture
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Entrevue touchante et quelque peu essoufflante avec un gars qui ne se repose jamais.

Qu’il soit au petit écran, à la radio ou juste devant moi, Patrice Bélanger demeure égal à lui-même. Débordant d’énergie, verbomoteur, rigoureux: autant de qualificatifs qui font de lui l’animateur qu’on apprécie. Mais l’homme a-t-il des failles? Pour le savoir, j’ai rencontré son pire juge: lui-même.

Le p’tit gars d’à côté

Excuse-moi tellement!» sont les premiers mots qu’il m’adresse en arrivant dans la salle de réunion où je l’attendais. Habituellement ultraponctuel, c’est avec 30 minutes de décalage qu’il se pointe à notre rendez-vous, visiblement mal à l’aise, après avoir viraillé dans tout le Mile-End pour trouver du stationnement. «C’est mon plus grand retard professionnel à vie», confesse-t-il, en me regardant droit dans les yeux. Je suis tout de suite happée par la vérité et l’intensité de ce regard qui témoigne d’un réel intérêt pour l’autre. Nous échangeons quelques blagues concernant son arrivée tardive et, en moins de deux, nous voilà déjà passés en mode confidences. Car, je l’apprendrai assez vite, avec Patrice Bélanger, chaque nanoseconde compte.

HOMMAGE À SA DOUCE

Il se lève aux aurores (que dis-je, bien avant l’aurore!) cinq jours par semaine depuis déjà sept ans pour nous faire rire à l’antenne de CKOI et il revient à la barre de Sucré Salé pour une deuxième saison cet été. Se qualifiant lui-même de «gâté pourri» côté boulot, il attribue une grande partie de sa réussite à sa femme, Marie-Claude. «Ma blonde m’inspire, elle est mon pilier, mon phare. Si les gens voient un gars pétillant et heureux à l’écran, c’est grâce à elle et à ce qui se passe loin des caméras.»

En couple depuis 14 ans, Marie-Claude et Patrice se côtoient toutefois depuis qu’ils sont gamins. «Elle se faisait garder chez moi quand nous étions petits. Récemment, en faisant un mégaménage du sous- sol, j’ai retrouvé mon album souvenir d’enfance. En 1984, ma mère y avait noté ceci: “Aujourd’hui, je me suis fait une nouvelle amie. Elle s’appelle Marie-Claude Trottier et elle habite sur la même rue que moi. Ma maman la garde à l’occasion.” En lisant ça, ma blonde et moi nous sommes regardés; c’était à la fois weird et romantique. On est tous les deux conscients que bien peu de couples ont eu ce genre de parcours.»

Quand il fait allusion à sa douce, le visage de Patrice s’illumine comme celui d’un ado qui s’amourache pour la première fois… mais il n’en demeure pas moins un peu hésitant à s’épancher sur sa vie personnelle dans les médias. «Je pourrais éviter d’aborder le sujet en entrevue, mais en même temps, je suis tellement fier de ma blonde et de mes p’tits bonshommes que j’aurais l’impression de cacher quelque chose si je ne parlais pas d’eux. Je ne le fais pas pour exposer mon bien-être et mon bonheur familial. Pour moi, c’est une façon de leur rendre hommage.»

DU TEMPS DE QUALITÉ

Ses «p’tits bonhommes», ce sont Samuel et Olivier, 5 ans. Longuement espérés par le couple, les jumeaux semblent être tombés sur un papa aimant et dévoué. Mais comment le principal intéressé se perçoit-il dans ce rôle de père? «Eh boy, je fais de mon mieux! Je me mentirais à moi-même si j’affirmais être le papa le plus présent du monde. Simplement pour mon boulot à la radio, je dois m’absenter de la maison tous les matins de semaine à partir du mois d’août jusqu’au mois de juin. Je suis donc un papa engagé auprès de mes enfants, avec qui je passe du temps de qualité… mais pas en quantité.»

Devant mes yeux admiratifs, on dirait que Patrice ressent le besoin de mettre cartes sur table. «Là, je t’énumère mes qualités de père, mais j’ai plein de défauts aussi. D’abord, je suis impatient. Et après le souper, par exemple, il m’arrive de cogner des clous juste au moment où mes gars veulent me faire un spectacle de danse. Je te raconte ça, pis je m’écœure… mais il faut dire aussi que je suis debout depuis 3 h 45 le matin! Ce court moment de repos me fait perdre 8 des 120 minutes que je peux leur consacrer dans la journée, et je n’aime vraiment pas ça!»

En écoutant ses confidences teintées d’humour, je crois néanmoins percevoir une pointe de culpabilité dans la voix de Patrice. Est-ce bien le cas? «Forcément qu’il m’arrive de me sentir coupable. Je ne pense pas qu’un père c’est fait en téflon et que ça se fout de tout. En tous cas, pas moi. Quand j’ai une journée de congé et que c’est le “papaaaa” à l’unisson de mes fils qui me réveille, j’ai un petit pincement au cœur parce que je réalise que je pourrais vivre ça tous les matins… Cela dit, la culpabilité ne mène pas ma vie ni mes choix.»

SAVOIR ACCEPTER L’INACCEPTABLE

Bien que son énergie manifeste et sa bouille juvénile lui confèrent 10 ans de moins, Patrice approche de la quarantaine. S’il est vrai que ce changement de décennie le chicote, ce n’est toutefois pas lié au nombre de bougies sur son gâteau d’anniversaire. «Le chiffre 40 ne me fait pas peur. Depuis que je suis tout petit, je n’ai qu’une seule phobie, et c’est la mort. Plus je vieillis, plus je me rapproche de la mienne. J’ai beaucoup de difficulté à accepter ce concept-là.»

L’homme confiant et très loquace depuis le début de notre entretien cède soudaine- ment la place à un p’tit gars vulnérable qui fuit mon regard. «Je ne sais pas ce que c’est, moi, la mort, enchaîne-t-il. Peut-être que c’est fabuleux, mais j’aime beaucoup la vie. Et tant qu’à aller quelque part que je ne connais pas, j’aime mieux rester ici. On va d’ailleurs arrêter d’en parler parce que je ne me sens pas bien», m’explique-t- il en appuyant son poing sur sa poitrine. Comme s’il était prisonnier d’un tourbillon d’émotions un peu trop intenses pour lui, Patrice tente de renchérir avec une blague, mais la profondeur de ses propos ne tarde pas à le rattraper. «Si c’est comme dans le film Ghost [rires] et que j’ai encore conscience de la vie sur la Terre, je peux commencer à accepter l’idée de mourir. Mais si tout est juste fini, je ne comprends pas. C’est impossible que tout ça arrête quand je ne le veux pas…»

Force est d’admettre qu’il est frustrant de ne pas être maître de notre destin jusqu’à la fin. À moins qu’on ait recours à un peu de magie? Pourquoi pas. «J’ai toujours dit que si un génie de la lampe existait réelle ment, et que je puisse la frotter pour avoir droit à trois vœux, je n’en voudrais qu’un seul: je choisis quand je pars… Et ce sera à 197 ans, quand je ne verrai et n’entendrai plus rien, et que je serai vraiment tanné. Parce que même si je meurs à 112 ans, je ne serai pas content, tu comprends? La seule affaire que ça me fait, vieillir, c’est de me rappeler qu’il faut que je profite de la vie parce qu’un jour, tout va breaker sec même si je ne le veux pas», conclut-il en soupirant.

UN DERNIER SOUHAIT?

Impossible d’en douter: Patrice a tout du bon vivant qui savoure la vie à cent à l’heure. Parce qu’il a été très choyé – personnellement et professionnellement – au cours des dernières années, il est légitime de se demander si quelque chose manque à son bonheur. Je le prends un peu de court en lui lançant sans détour: «Espères-tu un prochain rôle digne de celui d’Yve Lavigueur?» [NDLR: personnage qu’il a interprété de façon magistrale dans Les Lavigueur: la vraie histoire et pour lequel il a été en nomination aux prix Gémeaux.] Il réfléchit longuement avant de me répondre: «Je ne suis pas qu’un acteur ou qu’un animateur. Plus j’anime, plus je m’ennuie de jouer. Présentement, l’animateur est très sollicité, mais l’acteur bouillonne un peu. Je ne serais pas honnête de dire que je ne me souhaite pas un prochain rôle comme celui-là. En même temps, si je ne devais plus jamais jouer, je pourrai au moins me dire que j’ai eu le privilège de m’amuser avec cette partition d’acteur.»

Réalisant que ce qu’il vient d’affirmer dépassait peut-être un peu sa pensée, Patrice ajoute aussitôt: «Avis à tous les producteurs ou réalisateurs qui lisent ces lignes: je suis TRÈS ouvert aux offres, dit-il en s’esclaffant comme lui seul en est capable. Mais je ne pense pas pour autant que Xavier Dolan soit en train d’écrire son prochain long métrage en pensant à moi, mettons. Cela dit, je ne suis pas un éternel insatisfait, au contraire! Je le répète: je suis immensément gâté pourri par la vie.»

Photo: Jocelyn Michel

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