«Mon Dieu! Que la vieillesse est donc un meuble inconfortable!» Ces mots qui font sourire sont ceux de Colette, mais ils auraient très bien pu être prononcés par Francine Ruel, une de ses plus ferventes admiratrices, qui n’aime pas être freinée par les effets du temps qui passe. L’écrivaine et actrice a encore tant à raconter, à incarner. Dans sa campagne estrienne, les aiguilles tournent heureusement moins vite qu’ailleurs; douce consolation pour entamer une décennie qui la terrasse de stupeur. Par chance, les écrits restent encore et encore. Les siens connaissent même un grand retentissement.
Francine, avec Anna et l’enfant-vieillard, votre 16e ouvrage en carrière, qui raconte l’impuissance d’une mère face à l’itinérance de son fils, vous sortez du «bonheur» de vos histoires précédentes. Votre lectorat a suivi, il a même augmenté. Mais n’était-ce pas un pari un peu risqué?
J’avais préparé les lecteurs, ce qui ne m’a pas empêchée de ressentir une certaine inquiétude à l’idée de les perdre. Je ne sais pas combien de livres je vais écrire encore… je ne suis pas nécessairement Janette Bertrand. J’ai encore quelques sujets, quelque chose à dire, mais cette fois, j’ai eu envie d’aller ailleurs, de me mettre un peu en danger personnellement, de changer ma façon d’écrire, d’aborder une histoire et de la raconter.
C’était «risqué» aussi parce que cette histoire est très inspirée de la vôtre, avec votre fils…
Je suis contente de ne pas en avoir fait un récit. J’avais besoin de la distance de la fiction. Je voulais aussi protéger mon fils. Ça faisait six mois que je n’avais pas de ses nouvelles, je me demandais comment il allait prendre ça. Il a d’abord été étonné. Il ne l’a pas lu entièrement, je peux comprendre, il se sent fragile… Je voulais lui montrer que j’avais écrit ce roman-là pour parler de lui, lui dire à quel point il est un être formidable, ce qu’il ne sait pas assez, montrer aussi que tout le monde peut perdre pied et s’en sortir.
Étiez-vous étonnée que ça rejoigne autant de gens?
Je ne savais pas que j’avais ouvert une boîte de Pandore. C’est le premier constat. Depuis le Salon du livre du Saguenay–Lac-Saint-Jean, l’automne dernier, l’impact est grand. Les gens m’en parlent, je reçois beaucoup de témoignages et ça n’arrête pas. C’est comme si tout le monde s’était reconnu dans la fragilité de ses enfants…
Or, Francine, ce roman, vous n’auriez certainement pas pu l’écrire avant aujourd’hui?
Je suis allée travailler sur moi pendant deux ans. Il y a plus de six mois, j’ai pris le risque de perdre mon fils en cessant de prendre des décisions pour lui. J’espère le mieux pour lui, tout le temps, sauf que je ne me laisse plus dévorer comme avant. Ça fait partie des raisons pour lesquelles je suis partie vivre à la campagne – ne plus être toujours prête à intervenir… C’était aussi pour retrouver une fille que je connaissais, que j’aimais beaucoup et qui s’appelle Francine Ruel.
Une «fille» qui a 71 ans. Déjà. C’est allé vite, non?
Je n’ai pas eu peur à 40, 50, 60… mais à 70 ans, j’ai fait une crise de nerfs et j’ai averti le monde autour de moi que s’il y en avait un qui me faisait un surprise, je ne lui adresserais plus la parole pour le restant de mes jours. Et j’étais sérieuse. Je ne voulais pas le souligner, en même temps, je n’ai pas le choix. En fait, le hic, c’est que j’ai commencé à avoir peur, alors que j’étais fonceuse, moi! Il n’y a rien que je n’ai pas fait; j’ai presque passé mon brevet de pilote de montgolfière! En vieillissant, je ressens des peurs niaiseuses et j’ai de la misère à conduire le soir, ça me fait ch***… Mais en autant qu’on ne m’enlève pas mes yeux pour lire et mes jambes pour marcher, je peux quand même vivre avec ça.
Un avantage à vieillir, j’imagine, c’est qu’avec le temps, on doute moins de soi, non?
Le doute est toujours présent. Il y a des réalités terribles; les femmes, en vieillissant, ne jouent plus, on le les voit plus à l’écran ou alors ce sont les mêmes qui font tout. Simone Signoret disait: «Au petit et au grand écran, les hommes mûrissent, les femmes vieillissent.» Mais j’ai la chance d’avoir trois métiers: je joue, j’écris et j’enseigne. J’ai fait tout ce dont j’avais envie, j’ai été dans la création tout le temps et ça, c’est formidable!
Le doute s’insinue-t-il aussi parfois dans le rapport que vous entretenez avec votre corps?
Je vois des photos de moi jeune et je me rappelle que je me trouvais énorme... Je n’étais pas maigre, mais mince. J’ai perdu ces années-là. Sauf que je présume que si ce corps-là n’avait pas fait mon affaire, je l’aurais changé… Je suis une gourmande de tout, une pulpeuse, et j’assume tout à fait ce rôle-là. En temps normal, je suis même à l’aise avec ce corps-là. C’est moi. Je ne me cache pas.
Et vous êtes élégante…
J’ai trouvé une façon de m’habiller pour me sentir belle, c’est ma formule à moi. C’est correct, je ne serai jamais maigre ni grande… Je ne peux pas me plaindre; je n’ai presque pas de rides, parce que je suis ronde. C’est un des seuls avantages qu’on a! (rires) Et vous savez quoi? Si je recourais à la chirurgie, j’aurais l’impression de demander à quelqu’un d’effacer toutes ces années vécues. Effacer mon passé… Non. J’assume. Je fais attention, je me maquille encore. J’adore la mode aussi. Il y a eu des designers importants dans ma vie, comme Christiane Tessier, Muse par Christian Chenail, Marie Saint Pierre. L’important dans tout ça, au-delà de toutes les considérations esthétiques, c’est de ne pas être malade.
Votre mère, elle, est tombée malade jeune. De quelle manière vous a-t-elle inspirée?
Ma mère est décédée à 52 ans. Elle a trop travaillé toute sa vie. J’ai tellement d’admiration pour elle qui a élevé, seule, ses cinq filles. Elle nous a envoyées dans les collèges les plus réputés pour qu’on reçoive le meilleur. Elle était féministe avant que le mot existe et m’a montré à me tenir debout.
Quelles autres femmes ont été inspirantes pour vous?
Andrée Lachapelle, une femme magnifique qui riait tellement! Aussi, Rita Lafontaine, pour son intériorité. Je la regardais travailler et c’était beau à voir. Il y a aussi eu Simone Signoret, Colette, ma marraine Lucette, que j’appelais tante Tucette… Bref, toutes les femmes qui ont lutté.
On a trop peu parlé d’amour et de conjugalité. Quelle place ont-ils pris dans votre vie?
J’ai vécu 32 ans seule. Avec des amants! Mais personne pour partager mon quotidien. Je ne voulais pas revivre les erreurs que j’avais faites. J’avais mon fils aussi, et ce n’était pas simple… Peu d’hommes veulent vivre avec une femme qui a un enfant «à problèmes», avec une femme qui gagnent plus d’argent qu’eux... Ça en dérange plusieurs. Ça et les filles rondes en général. Un jour, j’ai lu une petite annonce qui allait comme suit: «Grand couteau cherche sa fourchette, grosse cuillère s’abstenir!» C’est tout dire.
Aujourd’hui, est-ce différent?
Disons que j’ai la chance d’être avec une personne qui a un sens artistique. Ce n’est pas toujours simple parce, que j’ai si longtemps vécu seule avec mes habitudes. C’est peut-être ça, mon dernier apprentissage, et ce sera sans doute mon dernier amour.
SES ACTUS
Son roman Anna et l’enfant-vieillard est en librairie.
Chemisier en polyester (Laura, 108 $). Boucles d’oreilles (wellDunn, 43 $).
Tunique en polyester (Le Château 60 $). Collier et boucles d’oreilles (Axelle, 40 $ et 25 $).
Blouson et haut en polyester et élasthanne (Addition Elle, 99 $ et 69 $).
Les conseils de Claude Laframboise, styliste
1. Il n’y a rien de mal à construire sa garde-robe autour d’une seule teinte. Francine adore le bleu et en a fait sa couleur vedette, celle qui donne de l’éclat à ses classiques noirs et blancs. L’avantage de cette approche? On peut investir un peu plus dans des basiques de qualité et ajouter des pièces colorées pour mettre sa garde-robe au goût du jour.
2. Côté couleurs, vous aurez l’embarras du choix ce printemps. Mais sachez que malgré la présence de teintes pastel (particulièrement le rose, le bleu et le lavande) dans les magasins, les couleurs vives donnent le ton. Les musts? Le jaune vif, le vert lumineux, le bleu électrique et le fuchsia. Effet bonne mine assuré!
3. Si vous n’êtes pas fan d’imprimés voyants, il y a bien des chances que, comme Francine, vous ayez tout de même un faible pour les pois et les rayures. Bonne nouvelle: ces motifs sont de retour ce printemps. Faciles à agencer, ils ajoutent une belle touche graphique à vos tenues monochromes.
4. Quels que soient votre âge et votre silhouette, il est toujours possible d’oser les tendances de l’heure. Si vous rêvez d’un blouson de type Perfecto, choisissez-le en tissu ou en similisuède, d’aspect moins rebelle qu’un modèle en cuir noir. Et si vous aimez les détails inspirés du vestiaire sportif, sachez qu’on les trouve dorénavant sur des vêtements plus habillés, comme les poignets élastiques à rayures du chemisier satiné que porte Francine.
Photos: Andréanne Gauthier
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