François Bellefeuille: l’humoriste qui s’inspire de ses parts d’ombre

Rencontre Francois Bellefeuille
10 Sep 2018 par Laurie Dupont
Catégories : Culture
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Rencontre aussi surprenante qu’attendrissante avec un homme qui puise ses plus grandes richesses dans ses parts d’ombre.

Le volcan tranquille

Il y a quelques mois déjà, François Bellefeuille lançait Le plus fort du monde, son deuxième one man show, qui a ravi – le mot est faible! – tant la critique que le public. Même s’il fait partie des artistes chouchous des Québécois, l’humoriste ne tient rien pour acquis et se révèle extrêmement exigeant avec lui-même. Entretien avec celui qui conjugue doute et succès au plus-que-parfait.

C’est au Soupesoup de l’avenue du Mont-Royal, restaurant qu’il affectionne particulièrement, que l’humoriste m’a donné rendez-vous pour notre entretien. Pile à l’heure, il passe la porte de l’établissement. Cheveux hirsutes («Ils sont fraîchement lavés», dit-il comme pour s’excuser), barbe forte et lunettes à monture de type aviateur, il n’y a pas d’erreur sur la personne: François Bellefeuille est bel et bien dans la place.

Bien qu’il ressemble physiquement en tout point à son drôle de personnage, le jeu des comparaisons s’arrête ici. En jasant de banalités pour briser la glace, je remarque d’emblée la douceur et la réserve qui émanent de l’homme… à mille lieues de sa bête de scène criarde et colérique. Tout en sirotant son café noir, il répond à mes questions en ayant l’air d’analyser chaque mot qui sort de sa bouche, comme s’il cherchait toujours à formuler la réponse parfaite. Et ses propos concernant sa propre réalité vont exactement dans le même sens. «Je me sens très bien avec ma gang d’humoristes, car on est tous des gens de contenu – en mode suranalyse –, des maîtres pour identifier les petits défauts des autres, des enquêteurs et des analystes de tout ce qui se passe. C’est d’ailleurs un de mes problèmes au quotidien, mais au moins, je gagne ma vie grâce à ça! [rires] Ça énerve vraiment ma blonde, parce que je suis souvent dans ma tête.»

En plus d’avoir le cerveau en constante ébullition, notre mec s’impose des standards très élevés – dans toutes les sphères de sa vie – pour constamment tenter d’atteindre la perfection. «Quand j’ai une idée en tête, j’ai l’impression de ne pas être arrêtable. Dès que j’ai une petite chance de faire changer les choses, même si c’est juste 1 % de chance, je vais tout essayer pour me rendre là où je veux. J’ai compris assez vite que le succès vient en travaillant.»

 

Vingt fois sur le métier, remettez votre ouvrage

François croit fermement à la «règle des 10 000 heures» élaborée au début des années 90 par le psychologue suédois K. Anders Ericsson, une théorie selon laquelle on ne peut atteindre l’excellence dans une discipline qu’après avoir passé 10 000 heures à la pratiquer. Cette façon de penser montre bien à quel point l’humoriste ne s’assoit pas sur ses lauriers… bien au contraire. «Je me mets toujours beaucoup de pression. Par exemple, quand je suis sorti de scène à la première médiatique de mon deuxième one man show, je n’étais pas satisfait. J’étais stressé et j’avais l’impression d’avoir bafouillé à quelques reprises, de ne pas avoir été à mon meilleur. Mais quand tu performes à 95 % au lieu de 100 %, je doute que les gens voient la différence.»

Pourtant, la journaliste que je suis était bien assise dans la salle de spectacle, ce fameux soir de janvier dernier, et je peux vous assurer que j’ai rarement assisté à une première médiatique d’humoriste où presque chaque blague déclenche l’hilarité générale. «J’ai été surpris des bonnes critiques que j’ai reçues le lendemain, poursuit-il. Tellement bonnes, en fait, que je me suis dit qu’il y en aurait une mauvaise bientôt. Et quand on me parle de ça, j’ai le réflexe de dire que je n’en aurai probablement plus jamais, des bonnes critiques du genre, que ça n’arrive qu’une fois dans une vie… Je me protège tellement! C’est clair que je souhaite que mon troisième show soit encore meilleur, mais je garde ça pour moi. Faut pas le dire à personne, OK?» (rires)

Rencontre Francois Bellefeuille

Un monde de dualités

En entrevue à Tout le monde en parle, le 14 janvier, François a affirmé qu’il se donnait les 10 prochaines années – sa quarantaine, donc – pour pratiquer son métier, être régulièrement sur scène et ainsi s’améliorer. Or, cette décennie correspond aussi à celle de la petite enfance de sa progéniture. En sera-t-il déchiré? «Oui, vraiment, et c’est la raison pour laquelle nous n’aurons pas un troisième bébé, ma blonde et moi. Cela dit, j’adore les enfants. Et si j’avais une job dont je ne serais pas aussi passionné, j’en voudrais probablement un troisième. Mon fils Milo, qui a deux ans et demi, me fait maintenant sentir qu’il s’ennuie quand je quitte la maison. C’est tough. Alors dès que je peux revenir dormir chez nous après un spectacle, je le fais pour être là le matin, quand Milo et Dali se réveillent.»

Pour François, ce rôle de père est porteur d’une charge émotive liée à sa propre enfance. C’est en consultant un psychologue pour autre chose que tout a remonté à la surface. «Comme je suis anxieux et hypocondriaque par périodes, j’ai décidé d’aller voir un psy. Par exemple, quand mon fils était bébé, je croyais avoir le cancer de la prostate parce que je ressentais quelque chose de bizarre quand je m’assoyais. J’ai perdu trois ou quatre jours à ne penser qu’à ça. Je m’en voulais de gâcher autant de temps de qualité que j’aurais pu passer à écrire un numéro ou à jouer avec mon fils.»

Son regard se pose sur sa tasse de café et s’y attarde, comme pour lui permettre de reprendre son souffle avant de poursuivre le récit pas banal de sa vie. «C’est donc en consultant ce psy que j’ai fait face à mon passé. Avant, quand on me demandait si j’avais eu une enfance heureuse, je répondais oui tout de suite. Pourtant, la relation que j’entretenais avec mon père à l’époque n’avait aucun sens. Ce n’était pas de sa faute, c’était à cause de sa maladie mentale. Mais on ne m’avait jamais expliqué ça quand j’étais petit. Mon père quittait parfois la maison pour se rendre à l’hôpital, mais moi, je ne savais pas pourquoi il n’était plus là. Puis, quand je le revoyais, il était weird, sûrement sous l’effet de sa médication. Ma mère, qui avait ses raisons bien à elle de ne pas me parler de sa maladie, a fait tout ce qu’elle pouvait pour que je sois bien.»

Autre silence. Le passé houleux de François le renvoie bien évidemment à sa réalité de papa. «Je me rends compte qu’on ne peut malheureusement pas tout contrôler, admet-il, que je ne peux pas élever mes enfants dans la ouate, parce que ça ne leur rendrait aucunement service, de toute façon. J’apprivoise peu à peu mes défis intérieurs, mais c’est clair que je fais une fixation sur la relation père-fils. Je veux être le meilleur papa possible pour mon gars afin de réparer la relation difficile que j’ai eue avec le mien. C’est comme si j’essayais d’être un père pour l’enfant que j’étais… J’aurais dû consulter bien avant pour tenter de remettre de l’ordre dans tout ça!» conclut-il, avec un rire gêné.

 

Être sa meilleure cible

S’il y a une forme d’humour que l’homme maîtrise à la perfection, c’est bien celle de l’autodérision. Sans vouloir dévoiler de punchs, je peux simplement mentionner qu’un numéro de son plus récent spectacle, où François commente certaines photos – plus ou moins avantageuses – de sa jeunesse, a littéralement fait pleurer de rire la foule. «C’est fort, l’autodérision en humour, dit-il avec conviction. C’est le seul moyen de communication qui permet de transformer n’importe quelle faiblesse en force. Tout comme moi quand j’étais jeune, beaucoup d’humoristes ont utilisé l’humour pour se protéger ou se faire des amis. Je ne pense pas qu’on développe nécessairement son sens de l’humour parce qu’on souffre, mais plutôt parce qu’on veut attirer l’attention et être un peu plus aimé.»

Si le numéro où François se moque de lui-même en utilisant quelques vieilles photos vaut le détour, il est malheureusement issu de complexes profonds dont l’homme peine à se défaire. «Physiquement, j’ai toujours été sévère envers moi-même. Je n’ai jamais aimé mon corps. Je ne me souviens pas d’une fois où je me suis regardé dans le miroir et que j’ai apprécié ce que j’y voyais. C’est à la préadolescence que j’ai commencé à faire des régimes. Je me souviens d’une photo où je tiens dans mes mains une date inscrite sur une feuille, parce que je voulais que ce moment précis marque le début de mon changement physique. Finalement, ça n’a jamais vraiment marché. Je me suis mis au régime beaucoup trop jeune et j’ai sûrement déréglé mon système. Toute ma vie, j’ai fait le yoyo avec mon poids.»

Se rendant soudainement compte de la tournure plutôt sérieuse de la conversation, François me lance: «Comme t’as dû le constater, je ne suis pas un boutentrain ni celui qui essaie de toujours faire rire les gens. Alors que certains humoristes sont tout le temps en train de pousser des jokes, moi, je m’en sers quand j’en ai besoin. Dans un souper entre amis, je ne suis pas celui qui va prendre le plancher et faire le plus de blagues possible, mais quand j’ai un élan, je me laisse aller et c’est ben rare que je rate la cible. Je suis comme un joueur de hockey qui ne joue pas tant que ça, mais quand je pogne la rondelle, elle part loin, pis je score.» (rires)

Photos: Jocelyn Michel

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  1. Pierrette B. dit :

    Bravo Laurie pour ton article. Très intéressant!!

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