La journée de Yanic Truesdale est encore jeune

24 Mar 2021 par Dominic Tardif
Catégories : Culture / MSN / Oser être soi
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Ne vous fiez pas à sa gueule d’éternel jeune homme: le comédien Yanic Truesdale a déjà derrière lui plusieurs vies. Et il est enfin venu, le temps de réellement faire connaissance avec cet acteur qu’on connaît trop peu.

Son visage nous est familier, mais que sait-on au sujet de Yanic Truesdale? Avec la télésérie Les mecs, le comédien entend rappeler que, même s’il partage sa vie entre Montréal et Los Angeles depuis plus de 20 ans, le Québec n’a jamais quitté son cœur. À 50 ans, l’heure des bilans aurait-elle sonné? Chose certaine, depuis son enfance auprès d’une mère hippie jusqu’à son triomphe au sein de la distribution de Gilmore Girls, l’acteur était heureux de se raconter.

Tous les soirs de son adolescence, Yanic Truesdale s’assoyait aux côtés de sa grand-mère maternelle, devant la télé, pour regarder Dynasty, Dallas ou Knots Landing. Bien que francophone, grand-maman préférait «regarder ses programmes» dans la langue de Bobby et de Pamela, même si pareil choix supposait de traduire en simultané l’action à l’écran pour son petit-fils, qui ne maîtrisait pas l’anglais.

«C’est pour ça que j’ai toujours pensé que je travaillerais aux États-Unis», explique le comédien via Zoom, depuis son lumineux appartement montréalais. À sa sortie de l’École de théâtre du cégep de Saint-Hyacinthe, en 1989, le diplômé emboîte néanmoins le pas aux camarades de sa cohorte (dont sa coloc de l’époque et indéfectible amie, Isabelle Brouillette) et tente de se tailler une place au petit écran québécois. Il enfilera d’ailleurs les rôles, majeurs ou mineurs, dans plusieurs téléséries importantes, dont Jamais deux sans toi, Lance et compte (un des téléfilms) et L’amour avec un grand A. «Mais tu vois, dans L’amour avec un grand A, je jouais un cliché, il fallait que je prenne l’accent haïtien», s’empresse-t-il de préciser, comme pour souligner que ce succès relativement rapide était lesté de sérieux bémols. «J’ai joué beaucoup d’Haïtiens et j’ai toujours eu l’impression d’en faire une caricature, parce que je ne suis pas Haïtien.»

Fils d’une femme blanche québécoise et d’un homme noir américain, qui se sont rencontrés à Montréal dans des circonstances dont le fils ne s’est jamais enquis, Yanic Truesdale décide de poser sa candidature à l’École de théâtre parce qu’une amie lui demande de lui donner la réplique pour ses propres auditions (et comme c’est souvent le cas dans ce genre d’anecdotes, l’amie en question ne sera pas retenue). Yanic n’était jusque-là jamais monté sur scène, même dans un spectacle scolaire. Expérience de jeu: zéro. «Mais dès que je suis arrivé à Saint-Hyacinthe, c’est comme si ce que j’étais profondément a pris toute sa place. J’ai enfin pu exprimer et toucher à mon essence.»

Enfant, le petit Yanic bourlingue dans beaucoup de villages des Laurentides et de Lanaudière à la remorque de sa hippie de maman, qui sera tour à tour photographe, maroquinière, sage-femme, puis professeure de yoga. «Ma mère fumait du pot et j’étais terrorisé parce que t’sais, du pot… c’était de la DROGUE!» dit-il, en prononçant ce mot comme dans une parodie de campagne contre la toxicomanie chez les ados.

Las d’être constamment déraciné en raison des pérégrinations maternelles, il emménage à Montréal avec sa grand-mère, auprès de qui il mène cette vie rangée à laquelle il rêvait – «Je voulais “fitter” dans le moule» – et qu’il espérait poursuivre après ses études… bien qu’il admette aujourd’hui qu’une carrière artistique n’était pas une stratégie sans faille pour atteindre pareil objectif. Surtout quand on a la peau noire. «Moi, dans ma tête, j’étais Blanc», se souvient celui qui dit n’avoir vécu le racisme de manière frontale qu’à l’école primaire, où des camarades de classe lui assénaient le genre d’insultes que vous devinez. «Mais j’ai vraiment réalisé que j’étais Noir quand je suis sorti de l’École de théâtre et que j’ai compris que je n’aurais pas accès à un paquet de rôles.»

Son personnage de Philippe Tessier dans l’inoubliable comédie de situation Majeurs et vaccinés (écrite par un jeune Marc Brunet) lui donne pourtant l’espoir, en 1996, de ne pas être confiné à jamais aux limbes dans lesquelles aboutissaient tant de comédiens racisés. La télésérie (dont Catherine, avec Sylvie Moreau, sera dérivée) charme à la fois la critique et le public, récoltant plusieurs mentions aux Gémeaux, dont une pour Truesdale lui-même, dans la catégorie Meilleur premier rôle masculin.

Pourquoi n’y a-t-il pas eu de deuxième saison de Majeurs et vaccinés? Vingt-cinq ans plus tard, Yanic Truesdale en parle encore avec un désenchantement palpable. «Ç’a complètement pété ma balloune! Aux États-Unis, quand t’as un hit comme ça, tu “squeezes” le citron jusqu’à la dernière goutte. J’ai trouvé ça ingrat. Pour justifier le fait que l’émission ne reviendrait pas pour une deuxième saison, on m’a dit…» Yanic hésite. «Ah non… je ne le répéterai pas. Disons simplement que le cadre dans lequel un jeune acteur noir faisait le métier ici à l’époque ne me convenait plus. La bataille me semblait absurde.»

LE RÊVE CALIFORNIEN

Je dis à Yanic Truesdale que je songe à m’acheter un de ces cols roulés comme ceux qu’il porte sur les très chics photos accompagnant cet article. «Toi, t’es jeune, ça va, mais moi, je ne porterais jamais ça dans la vraie vie, répond-il. Ça te pousse toutte le menton… et j’ai le cou qui s’en vient lousse. C’est très touchy.»

C’est spécialement touchy lorsque vous faites carrière à Hollywood. Ici, je fais remarquer à Yanic que ses camarades de la télésérie Les mecs (Christian Bégin, Normand Daneau, Alexis Martin) auraient toutes les raisons d’être agacés de tourner aux côtés d’un collègue à qui, de visu, on donnerait à peine 40 ans, alors qu’eux affichent un physique comment dire… plus conforme à leur âge. «Les gars m’ont pas mal agacé avec ça [sa gueule d’éternel jeune premier]», avoue le pimpant quinqua, tout en précisant qu’une carrière américaine suppose de s’astreindre à un programme d’entraînement plutôt strict (du cardiovélo quatre fois par semaine, en plus de trois séances hebdomadaires de gym) et à une alimentation saine, qu’il n’associe pas à un régime de privations – l’avantage d’avoir eu une mère grano, qui cuisinait régulièrement du tofu. «Je regarde les acteurs québécois de mon âge et ils ne ressentent pas du tout la même pression. Tout le monde boit son vin, mange ses bébelles. Ils ne se cassent pas le bolo. Moi, je fais beaucoup plus attention.»

Revenons quelques décennies plus tôt, en 1998 plus précisément. Dépité que l’émission Majeurs et vaccinés ne soit pas renouvelée, Yanic s’offre une année sabbatique à New York, durant laquelle il étudie au Lee Strasberg Theatre and Film Institute, la Mecque du method acting. Autre apprentissage non négligeable: celui de l’anglais, auprès d’un professeur de phonétique. «Quand je suis arrivé à New York, j’avais un accent du câlisse!»

Il vide son compte en banque et file ensuite vers la Californie, où il tente – «comme 500 000 autres acteurs qui veulent les mêmes jobs que toi et qui veulent dire au monde entier à quel point ils sont spéciaux» – de décrocher un rôle. N’importe lequel. Après plus d’un an à ronger son frein dans son minuscule appartement, le Québécois peine à garder le moral.

«Ç’a été un gros ego check. T’sais, il y en a plein d’autres qui attendent leur tremplin et qui sont ici depuis 2, 3, 5, même 10 ans! Pourquoi ce serait différent pour moi? J’ai fini par tomber dans le désespoir. Ma mère m’avait dit: “T’es pas obligé de rester. T’as du travail au Québec, tu peux revenir, ça ne sera pas si épouvantable!” J’avais alors décidé que si je n’avais pas de raison claire de rester là-bas d’ici mon prochain anniversaire [le 17 mars], je reviendrais à Montréal. C’était un vrai deadline.»

Dix jours avant que le couperet tombe, Yanic Truesdale décroche le rôle de Michel Gerard, ce maître d’hôtel aussi cassant qu’attachant, dans la série désormais culte Gilmore Girls, qui gagne sans cesse de nouveaux adeptes sur Netflix et grâce à laquelle son visage est reconnu partout dans le monde. Et qui lui a aussi permis, confie-t-il, de rayer l’expression «souci financier» de son vocabulaire.

LA PORTE DU BONHEUR

Pas besoin de lui faire subir une psychanalyse afin d’obtenir cet aveu: l’acteur sait trop bien que s’il a un jour souhaité se voir à l’écran, c’était pour «prouver sa valeur à son père». Alors qu’elle était enceinte de Yanic, sa mère a appris que son amoureux souffrait de graves problèmes de drogue. Elle a tenté, en vain, de l’entraîner vers la sobriété, avant de se résoudre à le refouler en marge de sa vie et de celle de son fils. L’enfant n’a rencontré son père qu’une seule fois, à 12 ans, après avoir insisté auprès de sa mère.

«Je suis allé passer un weekend avec lui. Mon père ne parlait pas un mot de français et moi, pas un mot d’anglais. Ç’a été une fin de semaine un peu weird», raconte-t-il sur un ton presque trop factuel, au sujet de son géniteur qui n’est plus de ce monde. «Il reste que, dans ma tête de kid, c’est comme si mon père était parti parce que ce que moi j’étais, c’était pas assez pour lui.»

Le succès a-t-il apaisé ce désir de donner tort à son père? «J’ai longtemps cru que ça aurait cet effet-là, et quand je l’ai vécu [le succès], j’ai réalisé que non. Faque je suis allé en thérapie!» Yanic éclate de rire. «C’est un des plus cadeaux que la vie m’a fait: me permettre de réaliser assez mon rêve pour me montrer que ce n’était pas là que se trouve la porte du bonheur. Sinon, j’aurais passé ma vie à pourchasser le bonheur là où il n’est pas.»

Et le bonheur, c’est quoi au juste? Pour répondre à la question, Yanic adopte le ton d’un vieux sage qui énoncerait une grande vérité: «Le bonheur, mon cher, c’est l’estime de soi. Et l’estime de soi, tu ne peux pas la trouver à l’extérieur de toi. L’estime, elle doit partir de l’intérieur. Ma psy me disait: “T’as tellement pas d’estime de toi que tu pourrais gagner huit oscars et que ça ne te remplirait pas.”»

COMME UN LAST CALL

À 50 ans, Yanic rêve d’être davantage au cœur des projets auxquels il collabore. À ce propos, il présentait récemment chez Warner Bros. un projet de télésérie écrite par son ami, le Québécois Richard Blaimert (Nouvelle adresse, Hubert et Fanny) et dont le personnage principal s’appelle… Yanic Truesdale! Il espère aussi revenir plus souvent au Québec et chasser enfin, notamment avec Les mecs, le préjugé tenace selon lequel il aurait complètement tourné le dos à sa terre natale. «Il y en a dans le métier qui ont perçu le fait que j’aille travailler aux États-Unis comme de l’arrogance ou une sorte de trahison», évoque avec tristesse celui qui partage en général son temps entre Montréal et sa résidence de Silver Lake (avec vue sur le Hollywood Sign), un quartier hipster de Los Angeles.

Et la cinquantaine, alors? L’envisage-t-il avec la même frousse existentielle que le quatuor imaginé par Jacques Davidts? «Je m’y reconnais beaucoup, oui. Avoir 40 ans, ça ne m’a rien fait, mais 50 ans, j’ai pris ça comme un last call. Je me sens comme s’il était trois heures moins quart, que j’étais horny et que je ne voulais pas regretter de ne pas avoir fait mon move. Je sens une espèce d’urgence.» L’urgence de visiter certaines parties du globe et de prendre en main son destin de créateur. D’en devenir le principal moteur, en tant que producteur ou idéateur.

Chaque soir avant de fermer les yeux, Yanic Truesdale dresse la liste des trois plus beaux moments de sa journée, histoire d’imprégner son esprit de gratitude. «Des fois, ce sont des grosses affaires et d’autres fois, c’est juste le sourire d’une dame que tu as croisée en entrant dans un building.»

Et aujourd’hui, quels seront les faits saillants de sa journée? Il est presque 14 h 30. «Je ne peux pas décider tout de suite, s’exclame Yanic. La journée est encore ben trop jeune!» Comme la vie à 50 ans

SES ACTUS

Yanic interprète le rôle d’Étienne dans la télésérie Les Mecs, diffusée les mercredis soirs à 21 h, à ICI Radio-Canada Télé et sur ICI Tou.tv.

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Photos: Martin Girard



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