Ces présences féminines importantes ont développé chez moi un réflexe: je ne me pose jamais de questions sur l’égalité des sexes. Pire, je n’ai jamais compris le débat sur le féminisme dans la société québécoise. Je ne vous parle pas du Moyen-Orient ou de l’Afrique, je parle de mon quotidien. Mes années à l’université, où j’étais entouré de filles plus travaillantes et structurées que la majorité des gars, m’ont même amené jusqu’à cette réflexion: «Les femmes, cessez de vous indigner, vous avez gagné le combat. L’homme, comme un lion satisfait, est assis sur son steak et regarde passer la parade. Dans quelques années, nous en serons à nous questionner sur la présence des hommes dans les postes de pouvoir parce que la femme, battante, aura gagné la bataille de fond.»
Ça, c’était jusqu’à ce que je commence à travailler sur la télésérie Les Simone et que je débatte pendant des heures avec Kim Lévesque-Lizotte (voir son portrait, p. 39), une autre femme de tête qui secoue mes perceptions et m’empêche de vivre ma vie calmement, comme un homme blanc privilégié directement sorti de Mad Men. Aujourd’hui, je fais donc mon mea culpa. J’avais tort. Oui, les inégalités hommes-femmes existent toujours. Elles sont juste plus sournoises, plus insidieuses, voire hypocrites. Certes, je ne peux faire le tour du sujet et apporter toutes les nuances possibles dans un billet d’une seule page, mais laissez-moi quand même exposer un aspect de ma réflexion.
Est-ce que les femmes sont moins ambitieuses ou carriéristes que les hommes? Pas sûr de ça, moi. Pour certains, l’instinct maternel fait en sorte qu’elles préfèrent rester à la maison avec les enfants plutôt que d’être présidentes d’entreprises! J’ai maintenant de gros doutes là-dessus. Évidemment, certaines femmes décident de consacrer leurs énergies à la famille. C’est parfait. Mais de nombreuses autres pourraient relever des défis professionnels importants si notre éducation et une conception sociale bien ancrée dans nos mœurs ne nourrissaient pas leur culpabilité. Résumé de ma pensée: la vie familiale est bâtie pour que les femmes «feelent» cheap.
Imaginez-vous un homme – Louis, 43 ans – oublier son enfant au service de garde parce qu’il a été retenu dans une réunion. Louis se sent mal, mais arrive à l’école, s’excuse, et reçoit le regard de l’éducatrice, qu’on peut traduire par «Faites attention à l’heure monsieur, mais je ne vous en veux pas, car vous avez tellement l’air d’un père aimant. Et après tout, vous semblez avoir beaucoup couru pour être ici avant la nuit.» Maintenant, imaginez une femme – Véronique, 41 ans –, arriver en retard au service de garde. Le doux regard de reproche empathique réservé à l’homme deviendra un regard de feu qui ne fait place qu’à une seule interprétation: «Mère indigne et égocentrique aux valeurs à la mauvaise place.» Parce que c’est comme ça. L’homme pourvoyeur a un filet de sécurité moral. Comme si sa seule présence dans l’équilibre familial était un bonus. La femme, elle, demeure la colonne vertébrale. Et si la colonne plie, tout devient croche. C’est, à mon sens, hautement injuste et ça éloigne les femmes de postes importants dans le monde des affaires, des communications et de la politique, nous privant ainsi de leur apport vital. Au mieux, elles s’y consacreront quand les enfants seront grands.
Pourquoi pensez-vous que de nombreux artistes, souvent des femmes, vous montrent leurs enfants? Il y a plusieurs raisons moches, comme le besoin crasse d’attirer la sympathie du public et de vendre des bébelles, mais il y a une autre explication: une artiste mère qui ne parle que de sa carrière se fera IMMANQUABLEMENT rétorquer: «J’espère qu’il te reste du temps pour tes enfants!». Un jugement gratuit qui sous-entend que l’artiste supplante la mère et que le père ne fait rien auprès de ses enfants. Ironiquement, ce genre de commentaires ne vient jamais d’un Marcel ou d’un Gaétan. Ça provient des doigts d’une Francine ou d’une Solange. Signe que la culpabilité féminine se transmet de génération en génération et que l’ennemi des féministes ne traîne pas systématiquement des testicules dans son pantalon. Et la liste d’exemples où l’égalité entre les hommes et les femmes en prend pour son rhume pourrait malheureusement être bien longue…
Merci à toutes les femmes qui bonifient ma vie.
Photo: Andréanne Gauthier
Maquillage: Bruno Rhéaume
Coiffure: Manon Côté
Ce billet est paru dans le Magazine VÉRO Automne 2016.