On aura tout dit: À cran, la résilience en bandoulière

26 Oct 2020 par Christine Pouliot
Catégories : Culture / Véro-Article
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Donc voilà, c’était à prévoir. Aujourd’hui, je suis à cran. Irritée au possible par cette immobilité que nous essayons tous de combattre. Par ces annonces qui reportent nos désirs encore plus loin. Par cette pandémie qui nous lie, malgré nous.

Que ceux qui dorment bien, qui sont exemptés de toute anxiété ou de toute angoisse lèvent la main. Voilà bien ce que je pensais.

J’ai été gentille, docile, patiente, mais là ! Là ? J’ai envie de tout envoyer promener ! Je me sens comme un animal en cage. Comme un chat privé de sorties.

Des chats, j’en ai eu plusieurs dans ma vie et malgré leurs caractères différents, tous avaient en commun ce désir d’indépendance et de liberté.

Léo, par exemple. C’était un vrai lover boy, mais il avait ses moments je-me-barre et cherchez-moi-tant-que-vous-voulez. Pendant deux jours, trois jours ? Sans problème !

Il y a eu Charpie, une kamikaze née qui passait sa vie en plein milieu de la rue à ignorer le klaxon des voitures. Elle a souvent failli y laisser sa peau.

Et la dernière venue, Mia, qui n’a jamais accordé un pouce à quiconque et qui envisageait d’un œil de tueuse tous ceux qui pouvaient lui barrer la route.

Mia, c’était Louise, dans Thelma et Louise.

Dans les semaines qui ont précédé sa dernière fugue, Mia se tenait en permanence les oreilles dans le crin, comme pour nous dire qu’elle en avait assez de notre vie, et elle filait en douce, quelques jours, sans plus de cérémonie.

On venait d’acheter un chien, alors ça n’aidait sûrement pas. Mais je finissais toujours par la retrouver sous le balcon de la dixième maison voisine, sur ma rue. Jusqu’à ce qu’elle parte pour de bon, un matin d’automne, sans jamais tourner la tête.

Salut, bande de nouilles ! qu’elle a semblé nous dire.

Donc, voilà, je suis Mia avant son départ.

Tapie dans ma maison, prise au piège, à écouter et à me répéter les directives venant de la santé publique, mais prête à bondir à tout moment, à fuir cette bulle toxique et à traverser le désert de l’Arizona, une amie à mes côtés.

Pendant des mois j’ai fait du sport, j’ai développé des savoir-faire, j’ai cuisiné des plats délicieux, j’ai réduit mes attentes au maximum, j’ai libéré mon esprit de toute frustration et j’ai été zen… jusqu’à ce matin.

LÀ, j’aimerais faire autre chose que de respirer cet air malsain et que d’être toujours dans le renoncement. Dans le déficit en termes de fonctionnement social.

J’ai envie de sortir SANS contrainte, de prendre les gens dans mes bras, de les embrasser, de voir mes amies, de VIVRE à nouveau !

Ya pas un Zoom qui accote le contact humain, pas un cheers de coude à coude qui remplace une franche accolade ou la chaleur d’un câlin.

Tiens, je me fais penser à une ado.

À cette génération qu’on dit sacrifiée à mesure qu’on annule les projets et le sport dans les écoles et dans les communautés, qui rue dans les brancards, qui a de la difficulté à voir l’avenir et qui bégaie sa vie à défaut de mieux.

Le mot sacrifié est peut-être fort, quand on parle d’eux, mais personne ne va traverser cette pandémie sans y laisser des plumes et mon empathie en est décuplée.

Je suis une ado.

Empêchée de m’épanouir et de plonger en eaux libres. Pour un peu, bouderais dans un sous-sol en écoutant Hunger Games en boucle ou je ferais la grève du shampoing en mangeant des Tostitos dans mon lit qui ne serait même pas propre.

Je suis frustrée par tout ce manque.

Et en cet instant même ? Je me fais aussi penser à une grand-mère.

Habillée en mou – non, le mou ne sied pas au moral, à long terme -, errant de la cuisine, au bureau, du bureau à la chambre et de la chambre au salon, comme un fantôme.

Résignée, à recevoir des appels, à maintenir mes distances, à craindre les parcours tracés dans les épiceries, à me réchauffer un macaroni fade parce que tout devient fade, en mode privation.

Tout manque de goût et la vie se transforme tranquillement en un vieux Polaroid délavé. Sortir ? Le risque est grand. Et si je pleure, qui le saura ? Et si je tombe, qui viendra me relever ? Je suis une grand-mère. Une grand-mère loin de sa famille.

Je suis le groupe au complet, tiens.

Un chat, une ado, une grand-mère et moi-même, en rogne pour une des rares fois depuis mars dernier. Aujourd’hui je chiale ma vie en me donnant toute liberté de me laisser aller à ce sentiment qui n’est ni joli, ni serein, ni présentable.

Mais a-t-on seulement le droit de le dire ? Et y a-t-il quelqu’un pour nous entendre ?

On nous répète d’être patients, d’être solidaires, d’être collectivement responsables. De jouer les bons soldats, notre casque de plomb bien enfoncé sur la tête.

Mais peut-on se créer des espaces où on peut se défouler ? Pas juste dans le sport, ni en jardinant, ni dans les images de dauphins qui nagent ?

L’acceptation ne passe pas tout le temps par des envies de beau. On peut aussi avoir le goût de hurler sa vie ou de balancer son tapis de yoga !

Ça peut être juste laid. Oui, juste laid et triste.

Parce qu’au train où se profilent les choses, nous n’en avons pas fini avec ce virus. Et le but, c’est de traverser la pandémie en évitant le plus de dommages, right ?

Donc, portons notre résilience en bandoulière et gérons-nous, certainement. Mais permettons-nous aussi des moments moches si on en a envie, parce que c’est aussi ça la vie. Et au printemps, on pourra peut-être se dire : L’hiver s’en va, c’est dur à croire, mais on a passé à travers* !

*Paroles de Richard Desjardins

 

Christine est une cinquantenaire, amoureuse, mère, passionnée par la vie dans toutes ses imperfections. Elle est curieuse de tout, surtout des autres ! Vous pouvez retrouver certains de ses textes sur son site cinquanteislenouveaumoi.com ou la suivre sur Twitter et Instagram.

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  1. Chantal Côté dit :

    Chrichri….Non ! Pas l’abandon du shampooing…Ça fait tellement de bien une bonne mousse ?…Je t’aime, j’aime ton écriture et à défaut de t’entendre me raconter des trucs hypers interessants…Ben j’vais te lire !!! Bisou et gros câlin belle amour de femme, mère, ado, grand-mère ❤️

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