Je suis couchée sur le divan, les bras ballants, et je réfléchis à ma vie.
Août me fait toujours le même effet. C’est mon premier de l’an à moi, le moment où je remets les compteurs à zéro. Trois, deux, un…
J’amorce toujours cette réflexion après les vacances, pour mieux planifier mon année. Comme si je m’imposais une sorte de lac-à-l’épaule intime avant de voir l’automne.
Cette année, on peut passer outre les vraies vacances, car je n’en ai pas vraiment eu. Ça n’a rien d’exceptionnel, la plupart des gens sont restés chez eux ou ont volé quatre ou cinq jours ici et là à cette pandémie qui ne nous quitte plus, peu importe où l’on se pose.
Pendant le dernier mois, j’ai quand même essayé de réduire le bruit ambiant et de prendre ça un jour à la fois. Fermé les écoutilles pour ne plus entendre toutes ces discussions qui enflamment les médias.
Ai-je passé le test de l’étanchéité ? Partiellement. L’actualité finit toujours par nous rattraper, au détour d’une guimauve grillée ou d’un rocher en Gaspésie.
Ma chienne vient se poser à mes pieds.
Vieille et fidèle amie qui me suit depuis bientôt quatorze ans. Elle n’a pas le choix : c’est un chien… et elle en a vu d’autres ! Vécu bien des déménagements, goûté aux plaisirs familiaux, léché toutes mes larmes et participé à moult changements de vie avec le même air enthousiaste qui semble dire : you’ve got a friend in me*.
La fidélité d’un chien ne se compare à rien.
Je l’apprécie, dans cette douceur d’après-midi. Et je continue de réfléchir à mes priorités, à mes amitiés, à mon boulot, au tissu social. Mais quelle sorte d’automne aurons-nous ? Je reviens à la base.
Dans le silence de mon salon, je pense à mes amies que j’aime d’amour.
À celles que je vois quotidiennement, à celles que je vois occasionnellement, à l’importance de leur soutien, de leurs voix, de leurs différences d’opinions.
Tiens, cette réflexion me fait penser à telle amie, cette situation me lie à une autre ! Un coucher de soleil sur l’eau, un vieux pyjama troué, un livre prêté, des fous rires à n’en plus finir, un deuil partagé… tout me ramène à mes amitiés
L’amitié entre femmes ne se compare à rien.
Un texto entre sur mon portable. Ma chienne lève la tête au son du ding et je l’imite. On m’invite pour l’apéro. Oui, non, peut-être, je ne décide pas tout de suite.
Il commence à pleuvoir. Une pluie fine et insignifiante à laquelle je préfère les vrais orages, ceux qui balaient tout et qui font une différence, ceux qui poussent les enfants à sauter à pieds joints dans l’eau et les géraniums à fleurir jusqu’en octobre.
On sera combien, cet automne, à s’attarder encore aux feuilles qui tombent, aux nuances dans les oranges et les rouges ? À lever les yeux au ciel pour voir les outardes repartir vers le sud ? Au soleil qui entre à plein dans les vergers ?
La nature ne se compare à rien.
Cette année nous aura au moins permis de voir les saisons et d’aiguiser notre conscience à ces changements en « -iques » auxquels nous sommes confrontés.
Des mots de Françoise Sagan me reviennent en tête : « Il n’y a pas d’âge pour réapprendre à vivre. On dirait même qu’on ne fait que ça toute sa vie : repartir, recommencer, respirer à nouveau… »
Deux-mille-vingt sera peut-être l’année où on en aura le plus appris. Sur les autres, sur nous-mêmes. Sur l’endurance, mais aussi sur fragilité et sur la légèreté.
Des discussions avec ma voisine me rappellent à l’ordre à tous les jours.
Moi : Ça va, voisine ?
Voisine : Comptons-nous chanceux, on a encore des bleuets cette année.
Moi : Tu as raison. Et des chanterelles.
Voisine : Il faut bien s’encourager avec quelque chose !
Moi : À défaut de câlins, oui !
Il est 16 heures et ne je n’ai pas encore bougé. Une heure allongée sur le divan, on parle ici de grand luxe ! Ma chienne s’étire. Je fais comme elle.
Mon portable jappe (le bruit de ma sonnerie). Cette fois-ci, il s’agit de mon chum.
Lui : Tu fais quoi ?
Moi : Je réfléchis à nos vies.
Lui : Et tu en tires des conclusions ?
Moi : Un peu, oui. Comme Françoise Sagan.
Lui : Bon… encore un langage codé que tu m’expliqueras un jour ?
Moi : Exactement.
L’amour ne se compare à rien.
La tolérance et la compréhension en sont des parties prenantes. Sagan, encore : « Aimer, ce n’est pas aimer bien, c’est surtout comprendre. »
Il y a des années où la compréhension est plus que nécessaire. L’adaptation aussi.
La chienne finit par se lever et me demande la porte.
Ma petite plage de réflexion est terminée pour la journée. Je sors dans la canicule en me disant, comme Françoise S., que la vie est un éternel recommencement.
Deux-mille-vingt ne se compare à rien.
Les masques, les lavages de mains à répétition, le télétravail, la crainte d’être touché par le virus, les emplois précaires, le désarroi quand on perd des proches, les enfants ballottés entre plusieurs lignes de pensées. Et surtout la fin qu’on ne voit pas venir.
Entre deux crottes de chien, aimer et voir le beau, ça reste quand même tout un défi !
J’ai de la place sur mon divan, si ça vous dit.
*You’ve Got a Friend in Me, Randy Newman.
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