Planète femmes : Sandrine Bisson, l’oiseau rare

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23 Juin 2022 par Manon Chevalier
Catégories : Culture / MSN / Oser être soi / Véro-Article
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C’est enfin le temps des récoltes pour Sandrine Bisson, la délicieuse héroïne de la nouvelle télésérie «Le temps des framboises». Rencontre avec une femme singulière, épanouie comme jamais.

Toute vêtue de noir, les cheveux courts coiffés à la hâte, le regard vif éclairant un sourire discret, Sandrine Bisson se glisse avec souplesse dans un fauteuil défraîchi d’un café antibobo, où elle aimerait bien passer inaperçue. Mais c’est raté car, dès son arrivée, le serveur un jeune comédien entre deux rôles et qu’elle affectionne, l’accueille avec effusion. Et elle le lui rend bien. Car quand elle aime, elle est comme ça : ardente, exubérante, généreuse. Par contre, dès qu’elle se retrouve en terrain inconnu, son extrême pudeur reprend vite le dessus. Si bien qu’après avoir commandé un allongé et un cake au fromage de chèvre, elle me demande si elle ne parle pas trop fort. «J’ai tellement peur qu’on m’entende!» chuchote-elle en se penchant vers moi. «Que veux-tu, j’ai toujours peur de prendre trop de place, de déranger… Encore aujourd’hui, enchaîne-t-elle devant mon air étonné, je suis incapable de demander à quelqu’un de devenir mon ami Facebook!»

On l’aura compris : l’étalage d’égo surdimensionné, très peu pour elle. Et pourtant, sans le savoir et encore moins le vouloir, la comédienne fait partie de l’imaginaire collectif québécois depuis son incarnation de Claudette dans 1981, 1987 et 1991, la trilogie cinématographique de Ricardo Trogi. Comment oublier ses pétages de coche à répétition, stridents et franchement libérateurs, qui ont laissé leur marque indélébile? Même chose pour ses doutes de femme dépassée par les ans et ses proches, accro à son téléphone à cadran mural et à ses tartines de Nutella.

«En me confiant le rôle de sa mère Claudette, Ricardo Trogi m’a permis d’offrir quelque chose de très fort que j’avais en moi. Même quand je pensais en faire trop, il me disait : “Vas-y! Tu peux exister!” Ç’a été un tournant pour moi,», raconte celle qui aurait pu rester la femme d’un seul rôle.

Heureusement, la vie en a décidé autrement. D’accord, elle a connu des passages à vide, dont elle ne s’est jamais cachée, d’ailleurs. À preuve, son passage poignant aux Enfants de la télé, en janvier 2020, où elle avouait candidement, la gorge nouée par les larmes, avoir «fait des ménages» le lendemain de la Soirée des Jutra 2010, qui la sacrait meilleure actrice de soutien pour son rôle dans 1981. Puis, sans jamais renoncer à sa passion du jeu, elle a âprement prouvé qu’elle pouvait se renouveler. Mieux, qu’elle pouvait tout jouer avec la même sincérité désarmante, de l’ignoble trafiquante de bébés (Le berceau des anges) à l’aimante aide-soignante (Marguerite) et l’ex-infirmière conciliante (Le bonheur), en passant par l’attachante femme déficiente (L’écrivain public), la mère terrassée par le deuil (Le terrier) ou totalement fusionnelle (Fragile) et la coiffeuse déjantée (Léo).

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Rêver éveillée

Dès l’enfance, la native de Charny (aujourd’hui un quartier de Lévis), sur la Rive-Sud de Québec, vivait déjà dans son monde. Un monde imaginaire qu’elle nourrissait fiévreusement. «À huit ans, je m’allongeais sur le divan à la maison, en plein après-midi, et je me voyais dans une belle robe. Je dansais, je vivais plein de choses, même des peines que je n’avais pas. Et j’étais sûre qu’en rouvrant les yeux, j’aurais la robe sur le dos…»

Certes, la petite Sandrine avait des amis… tout en ayant un mal fou à aller vers eux. Adolescente, les choses ne s’arrangent pas. Entre deux gorgées d’allongé refroidi, elle se souvient de la petite Porsche décapotable de son père, qu’elle faisait semblant de conduire pendant des heures, dans l’entrée du garage de leur rue tranquille. Ça la grisait. «J’avais 15 ou 16 ans. Je mettais de la musique et je roulais à fond dans ma tête. Ça me suffisait. C’était ma vie!»

Avec le recul, elle déplore que son extrême timidité lui ait volé l’insouciance de sa jeunesse. Ce n’est qu’en entrant à l’École nationale de théâtre du Canada, à tout juste 20 ans, qu’elle se sent à sa place. «J’avais enfin trouvé ma gang! C’était merveilleux! Au fond, on se sent différent tant qu’on a pas trouvé son clan.»

N’empêche, Sandrine Bisson a toujours ce petit fond de réserve en elle. Mais le simple fait d’endosser un personnage qui «lui parle», ça l’ouvre à tous les possibles. Et lui donne toutes les permissions. «Dès que j’ai un suit à porter [pour un rôle], j’arrive à exprimer toutes mes facettes que je ne peux pas montrer, à part dans l’intimité. Tout ce que j’ai observé et emmagasiné en secret pendant des années, je peux enfin le laisser aller, parce que j’y crois.»

On est tellement de gens à porter des affaires lourdes. Tellement lourdes que le monde pourrait s’ouvrir sous nos pieds. Moi, je veux être légère, légère!

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Quand le fruit est mûr

Elle l’a prouvé une fois de plus dans la comédie télévisée Le bonheur, où elle modère les ardeurs de son conjoint (l’hilarant Michel Charette). Et elle le prouve encore dans Le temps des framboises, dont elle est l’héroïne. Une première pour elle. Réalisée par Philippe Falardeau, d’après un scénario original de Florence Longpré et de Suzie Bouchard, la série de 10 épisodes est axée sur Élisabeth, mère de deux garçons et ex-fonctionnaire qui hérite de l’exploitation agricole de son défunt mari.

«Élisabeth, c’est une reine! s’exclame la comédienne. Je l’adore! Elle est droite et volontaire. Son entourage la met dans une petite case, mais c’est une femme digne, qui mérite d’être prise au sérieux.» À commencer par sa belle-mère abrasive (Micheline Lanctôt, en grande forme), qui la sous-estime effrontément. «Élisabeth n’a pas le droit de plier l’échine devant elle!» Sans oublier l’équipe de travailleurs saisonniers latino-américains que la propriétaire doit apprendre à gérer. «Il y a des moments de tension, mais de grande douceur aussi dans la série», raconte Sandrine qui, en plus de s’être fait couper les cheveux, a dû apprendre la langue des signes québécoise (LSQ) et à monter à cheval pour les besoins du rôle.

À sa grande joie, l’intrigue montre aussi la chute progressive des «murs invisibles » qui nous séparent les uns des autres. De quoi changer le regard qu’on pose sur ceux qui nous entourent, même sans les comprendre? Sandrine l’espère très fort. «Prends les travailleurs saisonniers. J’aime ça que mon Élisabeth s’intéresse vraiment à eux. C’est riche! Ç’a complètement changé ma vision des choses. Je ne veux pas être moralisatrice, mais ce sont eux qui cueillent nos brocolis. Hey, respect! Ça m’a donné encore plus envie d’aller à la rencontre de l’autre. Pas celui du bout du monde, mais celui qui est là, tout près…»

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Être sans paraître

À bientôt 47 ans, la comédienne assume pleinement son âge. «Je suis bien avec qui je suis, mais je ne suis absolument pas dans le paraître.» Voilà qui explique pourquoi elle a gentiment renoncé à jouer les mannequins pour nous, dans le numéro de printemps du magazine. «J’aurais été malheureuse dans ce rôle-là, avoue-t-elle. Je me donne à fond dans mes personnages, mais mon bonheur ne se trouve pas sous les flashs ni sur les tapis rouges. J’ai tellement une belle vie tranquille!»

Il faut l’entendre vénérer l’existence simple et douce qu’elle mène auprès de sa famille, loin des paillettes. C’est qu’à la manière d’Amélie Poulain, elle aime respirer l’odeur du fer chaud sur un drap frais, goûter le silence de sa maison, regarder la télé debout, prendre une marche avec sa voisine, piquer une longue jasette avec le livreur de légumes locaux, pianoter avec son chum aussi pompette qu’elle ou se perdre dans ses yeux…

Pour cette fille de père architecte et de mère au foyer, le bonheur est un choix. «Il se construit. Et j’aime la construction que je me suis faite. Oui, je peux “focusser” sur le négatif, mais je suis plus outillée qu’avant pour voir le positif.» Cela dit, Sandrine avoue que la comédienne en elle a longtemps aimé baigner dans la douleur. «Encore maintenant, j’aime ça m’abandonner à ma douleur à l’écran ou sur scène. Mais j’aime beaucoup le bonheur aussi! J’ai un garçon de 13 ans, exceptionnel. Et deux superbes filles dans la vingtaine qui sont arrivées toutes petites, il y a 23 ans, avec mon chum. Lui et moi, on s’aime à chaque instant. Y’a rien qu’on ne fait pas ensemble. Je suis contente qu’il ne sorte pas souvent, parce que… je me le ferais voler!» plaisante-t-elle.

Non mais, comment lui résister? Surtout lorsqu’elle vous annonce avoir déjà jonglé avec l’idée de devenir courtière immobilière… «Moi qui suis incapable de vendre quoi que ce soit!» Ou encore d’être sexologue. «Quand j’ai réalisé que ce qui m’intéressait, au fond, c’était d’en savoir plus sur les déviances, je me suis dit: “Ben non, c’est du voyeurisme, ça!” Ça fait que j’ai décidé de devenir comédienne!»

Pas de doute, Sandrine Bisson est une bouffée d’air frais dont on a drôlement besoin. Et ce n’est pas un hasard si, à la fin de notre rencontre, elle plaide pour la légèreté. «On est tellement de gens à porter des affaires lourdes. Tellement lourdes que le monde pourrait s’ouvrir sous nos pieds. Moi, je veux être légère, légère! Tant mieux si mon jeu éveille des sensations, des émotions, divertit ou fait réfléchir les gens. Je rêve d’être une bulle qui ne pèse sur rien ni personne. Juste une bulle qui s’élève, librement…» Et qu’on aime à tout vent.

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Ses actus

En plus de jouer le rôle principal dans Le temps des framboises, sur Club Illico, Sandrine sera de la distribution de la deuxième saison de la télésérie Le bonheur, à TVA, en janvier prochain.

Photos: Andréanne Gauthier
Stylisme : Farah Benosman
Mise en beauté : Alexia Baillargeon
Assistante-photographe : Vanessa Brossard 
Coordonnatrice : Claudia Guy 

Nous tenons à remercier chaleureusement la buvette PASTEK de nous avoir permis d’y réaliser cette séance photo. 

 

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