Elle me rejoint avec un peu de retard au café où nous avions rendez-vous. Elle est déjà toute pardonnée, car circuler en ville en voiture – avec tous les travaux en cours – ET arriver à l’heure tient du miracle. La comédienne se confond néanmoins en excuses, tout en me racontant ses mésaventures de stationnement: «Je ne suis pas une urbaine, mais vraiment pas!» Originaire de Magog, Sonia caresse d’ailleurs le rêve de retourner y vivre à la retraite. Elle précise que, même dans sa banlieue, le trafic a beaucoup augmenté ces dernières années; s’ensuit alors une savoureuse montée de lait sur l’étalement urbain. Ça m’incite à lui demander si on pourrait la voir se présenter en politique un jour. Sa réponse fuse aussitôt: «Oh non! Parce que je ne sais pas mentir… à ce point-là. Ce n’est pas nécessairement mentir, mais cette façon de ne pas dire la vérité non plus, je n’en suis pas capable!»
Je ne peux m’empêcher de tracer un parallèle entre cette affirmation spontanée et son métier. Le mandat d’une actrice ne consiste-t-il pas justement à nous faire croire à des choses qui n’existent pas? «Quand je joue, je suis avec un autre comédien ou comédienne, et on joue ensemble au même jeu. Dans la vie, si je fais semblant de quelque chose, ce n’est plus un jeu, c’est un mensonge. Ce n’est pas pareil!»
Pas besoin de jaser longtemps avec Sonia pour comprendre que la transparence et le respect de l’autre, c’est primordial à ses yeux. Avec elle, pas de faux-semblants.

«L’humour m’a choisie!»
Je reviens sur son parcours impressionnant, jalonné de rôles marquants à la télévision et au cinéma, souvent dans des comédies. Est-ce que l’humour l’a choisie ou si c’est elle qui a choisi l’humour? «Ah, l’humour m’a choisie! dit-elle en s’illuminant. Et c’est là où je me sens le mieux. C’est là où j’ai le plus de plaisir. Le rire, c’est essentiel, pour moi.» En contrepartie, elle mentionne à quel point les rôles dramatiques peuvent parfois être drainants: «Quand je joue une scène plus dramatique, il faut que je me prépare, que je répète, que je cherche… Je suis obligée de me plonger là-dedans. Et moi, je suis comme une éponge, alors des fois, ça devient difficile.» Est-ce que ça déteint sur sa vie? «Un petit peu, concède-t-elle. Mais dans l’humour, il n’y a rien de tel! Ce n’est pas le même jeu pantoute!»

La comédienne pense notamment à son rôle de Solange dans Destinées, marquant pour beaucoup de gens, à commencer par elle-même. Après la descente aux enfers de son personnage [NDLR: en profonde dépression, Solange a voulu mettre fin à ses jours], elle se rappelle le souhait qu’elle a fait à la fin du téléroman, soit de voir la légèreté revenir dans sa vie professionnelle. Vœu exaucé avec la télésérie Complexe G. À cette évocation, Sonia s’anime, portée par les souvenirs heureux: «On a l’habitude d’associer l’humour très corrosif aux hommes. Mais là, c’étaient des filles et tout était permis! J’ai donné des coups de poing sur la gueule, j’ai fait des doigts d’honneur, c’était un défouloir extraordinaire! Et c’est beaucoup ce que les gens nous disaient, que ça leur faisait du bien.»
Sonia retrouve son sérieux en soulignant l’importance de la télé dans notre société: «Je fais ce métier-là pour rendre la vie des gens agréable. Pour qu’ils passent un bon moment. Pour qu’ils oublient leurs soucis. Je vais être fatigante avec ça, parce que je l’ai dit souvent, mais la télévision, c’est le psychologue que bien des gens ne peuvent pas se payer. Parce que ça coûte cher, parce que ce n’est pas tout le monde qui y a accès… En revanche, la plupart des gens ont une télé.»
Je fais ce métier-là pour rendre la vie des gens agréable. Pour qu'ils passent un bon moment. Pour qu'ils oublient leurs soucis.
Balayer les aprioris
L’actrice aborde aussi l’importance de se reconnaître dans ce qu’on regarde, avouant ne s’être jamais reconnue dans les magazines féminins. Même pas ces dernières années? J’avais pourtant l’impression que les mentalités évoluaient, que des magazines comme VÉRO ou ELLE Québec prônent la diversité, tant au sein de leurs équipes que dans leurs pages…
À ce propos, Sonia me fait un aveu: «Quand vous m’avez appelée pour cette entrevue, je te le dis, là, ça m’a fait énormément de bien. Énormément.» Elle essuie ses larmes. Qu’un grand magazine la contacte et veuille la mettre en valeur, en balayant du même coup ses aprioris, ça représentait beaucoup pour elle. «Une revue comme ça qui… parce que je le sais qu’on y fait de super belles photos… Excuse-moi», dit-elle en s’interrompant à nouveau, submergée par l’émotion.
Je la prie d’arrêter de s’excuser. Au contraire, c’est moi qui me sens privilégiée qu’elle me raconte tout ça. Mais qu’est-ce qui la touche autant là-dedans? «C’est pas mal en lien avec Loto-Méno, je pense!» dit-elle autant pour me faire rire que pour justifier ses larmes. «C’est un beau gros cadeau que vous me faites, c’est comme ça que je le prends. C’est tellement un beau magazine! C’est comme si… j’avais envie d’être une princesse.»
Pourquoi Sonia associe-t-elle ses larmes au documentaire Loto-Méno? «J’en parle parce que je l’ai regardé récemment. En fait, je n’ai pas vu le troisième épisode, parce que j’ai pleuré pendant les deux premiers. Et je me suis rendu compte à quel point la ménopause peut affecter quelqu’un. Ça te change complètement.»
Elle mentionne ici la cinquantaine, moins évidente à traverser qu’il n’y paraît: «Quand je vois des couvertures de magazines avec des titres comme La cinquantaine m’a amené la maturité et la sagesse, je déprime parce que je suis loin de ça, moi! Je ne ressemble pas à ces femmes-là qui, à l’approche de la soixantaine, se sentent “libérées”!» Elle espère d’ailleurs que ses propos vont trouver écho chez beaucoup de femmes, qui ne vivent pas toutes cette période de leur vie avec l’insouciante légèreté présentée dans les publicités. «Je ne me reconnais pas là-dedans, moi, et je ne dois pas être la seule!» dit-elle, plaidant pour le droit à ne pas être au top du bonheur à l’approche lente, mais certaine, de ses 60 printemps.
Mon principal souhait, ce serait [...] de réaliser mes propres affaires! De me faire confiance. De retrouver l'audace de ma jeunesse.

On ne peut évidemment pas passer sous silence l’hypersensibilité de Sonia qui a toujours été présente, tout comme les périodes où le soleil et la pluie cohabitent, parfois durant la même minute. N’est-ce pas une richesse dans le métier qu’elle exerce? «C’est sûr que ça m’a toujours servie. Et pas juste en ce qui concerne les pleurs, mais tous les sentiments qu’on peut éprouver. C’est un outil.» Et lorsque Sonia s’inquiète pour son fils Gédéon, maintenant inscrit à l’université, et pour sa fille Joséphine, étudiante au cégep, sans que ni l’un ni l’autre ne sache encore précisément ce qu’ils veulent faire plus tard, son conjoint Jean-Claude l’aide à relativiser. «Mon chum me dit: “Sonia, tu fais partie d’un faible pourcentage de personnes qui, à 9 ans et demi, savaient ce qu’elles voulaient faire dans la vie! C’est une chance, mais ce n’est pas normal!”»
La comédienne raconte ces anecdotes de façon tellement sincère, tellement savoureuse, qu’on ne peut qu’être aussitôt conquis. «Jean-Claude a beaucoup contribué à l’autonomie de mes enfants. Il m’a appris à leur enseigner l’autonomie. Heureusement! Parce qu’aujourd’hui, ils sont capables de se débrouiller. Je suis chanceuse.» Dans leur relation amoureuse qui dure depuis 25 ans, les conjoints semblent se compléter à merveille: «On se balance, on s’équilibre!»
En quête de confiance
Par les fenêtres ouvertes du café, le bruit d’un petit véhicule qui nettoie les trottoirs interrompt notre discussion. Sonia s’exclame: «J’aimerais ça, faire ça! Tu te promènes, tranquillement. Pas obligée d’aller vite! Parfois, je me fais klaxonner en voiture parce que j’aime me promener, regarder les maisons… Avec une bébelle de même, tu as le temps de faire ça!» J’adore la candeur et la spontanéité de Sonia. On ne s’ennuie pas avec elle. On s’émerveille.
Dans cet élan de sincérité, elle y va d’une autre confidence: «Je ne crois pas faire partie des comédiennes auxquelles on pense quand on écrit une télésérie.» Je lui lance un regard interrogateur. «Probablement parce que je n’ai pas le casting de l’héroïne ou du personnage principal. Mais c’est peut-être juste moi qui pense ça.»
Est-ce qu’on pourrait la faire mentir? (Je l’espère secrètement.) «Peut-être. Cela dit, si je peux arrêter d’être bretteuse, pis remettre ma médaille olympique – toutes disciplines confondues – de bretteuse dans un tiroir, je vais peut-être être celle qui me fera mentir.» J’aime ce que j’entends. «Ben oui, parce que j’ai une idée de série… et le personnage principal, c’est moi!» J’espère bien! «Non, mais attends, souvent, je pense à des affaires où je ne suis pas le personnage principal.» Même dans sa tête? Je suis médusée et elle en rit. «Je suis en admiration devant les comédiennes qui portent une télésérie. Très admirative de Maude Guérin, par exemple, qui porte 5e rang. Alors que pour moi, c’est de l’ouvrage. Tu sais, l’image du paresseux qui sourit un peu et qui regarde autour? Ben c’est un peu moi, ça!» plaisante-t-elle.
Il y a chez Sonia cette dichotomie: une envie de grands défis et ce désir de lenteur, de douceur, d’observation. De prendre son temps. Je pense que nous sommes nombreuses, comme elle, à chercher ce fragile équilibre entre l’ambition de tout accomplir et le désir de se reposer tranquillement à l’ombre d’un arbre. «C’est ça, c’est exactement ça!» s’exclame-t-elle.
Jonglant avec les tournages de trois téléséries au cours des derniers mois, force est d’admettre que Sonia est bien loin de l’oisiveté. Qu’est-ce qu’on lui souhaite pour la suite? «Mon principal souhait, ce serait…» Elle hésite, retenant ses mots et ses larmes. «Tu vois, c’est dur à sortir, maudit… Mais ce serait de réaliser mes propres affaires! De me faire confiance. De retrouver l’audace de ma jeunesse. Quoique je ne sais pas trop si c’est de l’audace ou de la naïveté… Bref, je ne veux plus être malheureuse parce que je ne réalise pas mes projets. Pas parce que je n’en suis pas capable, corrige-t-elle, mais parce que je ne m’en donne pas la permission. Je veux enlever les bâtons que je me mets moi-même dans les roues.» Comme c’est bien dit.
Le simple fait de formuler ce souhait semble donner du souffle à Sonia. Combiné au vent qu’elle a dans les voiles, je suis persuadée que ce n’est pas demain la veille qu’elle va s’arrêter. Pour notre plus grand bonheur.
SES ACTUS
En plus de reprendre son rôle de Diane Ricard dans la deuxième saison de Cerebrum, actuellement offerte à Tou.tv Extra et cet automne à ICI Radio-Canada Télé, Sonia sera de la distribution de la télésérie Ma mère, qui sera aussi diffusée cet automne à TVA.
Photos: Andréanne Gauthier
Stylisme : Indianna Bourassa-Petit
Mise en beauté : Marianne Caron
Assistante-photographe : Vanessa Brossard
Coordonnatrice : Claudia Guy
Nous tenons à remercier chaleureusement Greenwood Summerhouse de nous avoir permis d’y réaliser cette séance photo.
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