Planète hommes : Daniel Bélanger… n’existe pas

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20 Avr 2022 par Laurie Dupont
Catégories : Culture / MSN / Véro-Article
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Entretien privilège avec Daniel Bélanger, un artiste pour qui la création n’est rien de moins qu’un mode de vie.

Ne nous enflammons pas: nous ne sommes pas en train de révéler ici la plus grande supercherie des 30 dernières années. Daniel Bélanger existe réellement, en chair et en os (et avec sa plume, toujours aussi affutée, d’ailleurs). En fait, Daniel Bélanger existe pour tout le monde… sauf pour lui-même.

«Que dirais-tu de venir faire l’entrevue à mon studio?» demande tout bonnement Daniel – qui assure sa propre gérance – lors d’une conversation téléphonique pour planifier notre rencontre. Aller m’asseoir dans l’antre de création d’un des plus grands auteurs-compositeurs des dernières décennies? Hum, laisse-moi réfléchir, Daniel… MAIS OUI, bien sûr que oui!

C’était donc un matin où Dame Nature avait décidé de se déchaîner en mode tempête de neige éphémère que je suis allée cogner à la porte du studio de l’artiste, qui s’avère en fait être une minimaison de La Petite-Patrie, à Montréal.

Même si cette rencontre comporte plusieurs éléments potentiellement stressants – et qu’elle paraît quasi surréelle pour la fan assumée que je suis – l’accueil de Daniel, bon enfant et bienveillant, vient tout de suite calmer le jeu. Pendant que l’homme s’éloigne un brin, le temps d’aller suspendre mon manteau, je laisse mon regard errer d’un objet à l’autre. Je vois le flamant rose qui figure sur la pochette de l’album Paloma, l’encadrement de la certification double platine obtenue en novembre 2021 pour Rêver mieux et une constellation d’une vingtaine de Félix, aléatoirement placés sur le plancher, à côté de la causeuse. Une œuvre d’art de réussites additionnées qui repose au sol, comme pour se rappeler que ce n’est pas ce qui compte vraiment.

Je suis conscient que peu importe l’album que je sors, je serai toujours en compétition avec Rêver mieux. Mais comme c’est moi qui l’ai fait, je n’ai pas d’amertume. Je suis en compétition avec moi-même. Y a vraiment pire.

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Sa question «Veux-tu un café?» me sort de mes rêveries. J’acquiesce timidement et on passe à table. Je cherche tout de suite à savoir s’il s’agit de sa routine habituelle – lui qui vient à son studio tous les jours – et si je l’empêche, bien malgré moi, de créer. «T’inquiète, quand j’entre ici, je ne crée pas une toune par jour, loin de là. C’est possible que je ne fasse même pas de musique. Je peux rester deux heures là, dit Daniel en pointant sa causeuse, à naviguer sur Instagram. Je veux juste être ici.»

Daniel est un adepte du neuf à cinq, dans sa forme pure et simple, et ce, même s’il n’a aucune obligation ni aucun agenda à respecter. Être son propre patron – on le sait – comporte son lot d’avantages. «Je n’ai aucune date butoir lorsque je travaille sur ma musique. Mais la création, c’est un mode de vie. Un mode de vie dont je rêvais dès mon plus jeune âge, le nez collé dans la clôture de la cour d’école. Je me trouve chanceux de faire ce que j’aime dans la vie, chaque jour. Je n’en reviens pas.»

Réfléchir ensemble

Comme notre conversation s’immisce dans l’univers créatif de l’auteur-compositeur, je tente subtilement de découvrir la ligne directrice de son prochain opus, dont la sortie est prévue à l’automne 2022. Daniel, qui se connaît mieux que personne, me met gentiment en garde: «On peut parler de l’album à venir, mais lorsque l’entrevue sera publiée, il se peut que la réalité [de ce disque] soit tout autre.»

10-4. Je suis avertie, mais cette phrase floue ne fait qu’attiser ma curiosité. Avec raison. À peine avait-on commencé à effleurer sa démarche créative que Daniel lance une bombe d’information inattendue. «Pendant la pandémie, j’ai composé un album au complet que j’ai dû mettre de côté car j’étais déçu du résultat», dit-il, le plus simplement du monde. «Ce n’est pas que les chansons n’étaient pas bonnes. Mes filles et ma femme les aimaient, mais un bon lundi, je me suis dit: “Et si j’essayais de faire un autre album?” Cette fois-là, j’ai rapidement trouvé ma direction. J’ai écrit une dizaine de chansons. Je suis d’ailleurs à la fin du processus de création.»

Mais qu’est-ce qui provoque l’abandon d’une œuvre? Qu’est-ce qui rend un album plus pertinent qu’un autre aux yeux de l’auteur-compositeur? «En vieillissant, je veux juste faire des affaires qui me ressemblent, répond-il. Mais tant que ce ne sont que mes lubies, tant que je me plains dans une chanson, tant que ça ne s’adresse qu’à moi, je n’y donne pas suite. Je cherche à créer quelque chose pour qu’on puisse réfléchir ensemble.»

Daniel se lève pour remplir à nouveau sa tasse de café, avant de poursuivre: «Pour ce qui est de la pertinence d’une œuvre, c’est un résultat, une synchronicité. Par exemple, Rêver mieux était vraiment synchronisé avec son époque… et ce n’est pas moi qui ai fait s’effondrer les deux tours [du World Trade Center], promis, lance-t-il, pince-sans-rire. L’album est sorti un mois après les attentats, en 2001, et il semble avoir fait du bien aux gens.»

Et c’est bien peu dire. Comme l’artiste se fait constamment parler de Rêver mieux, cet opus mythique qui a marqué l’imaginaire de plusieurs générations (et dont on connaît d’ailleurs les paroles de toutes les pièces par cœur), je m’étais promis de ne pas lui rabâcher ce qu’il sait déjà. De ne pas lui laisser savoir que le spectacle qui a découlé de cet album, auquel j’ai assisté à l’âge de 19 ans, trône toujours au sommet des meilleurs shows que j’ai vus dans ma vie. Mais comme il m’ouvre la porte sur l’œuvre… j’entre sans hésiter. Et à ma grande surprise, Daniel ne semble pas agacé d’aborder le sujet. Au contraire. Il laisse même transparaître un peu de fierté.

«Je suis conscient que peu importe l’album que je sors, je serai toujours en compétition avec Rêver mieux. Mais comme c’est moi qui l’ai fait, je n’ai pas d’amertume. Je suis en compétition avec moi-même. Y a vraiment pire. Des fois, je me dis: “Mon Dieu, je suis chanceux que ce soit moi qui aie créé cet album.” Parce que j’aurais pu ne pas avoir de Rêver mieux dans ma discographie.»

Ni oui ni non

S’il y a une étiquette qu’on a accolée à Daniel Bélanger à travers les années, c’est bien celle de l’artiste qui se fait volontairement rare. Surtout pour les apparitions télé. Dire que le principal intéressé est conscient de cette réalité relève de l’euphémisme. «J’accepte ou je refuse une offre selon mon humeur, ça ne dépend de rien de plus, avoue-t-il candidement. Je me rends compte que je ne perds rien au change en m’absentant à la télé. Tant que mes chansons plairont, elles feront acte de ma présence.»

Mais quand Daniel décide d’accepter une invitation, comme celle de l’équipe d’En direct de l’univers (où il a sobrement interprété, en janvier dernier, la chanson Dis tout sans rien dire pour Louis-José Houde), les réactions ultrapositives fusent de toutes parts. D’ailleurs, la vidéo de ce moment magique cumule plus de 330 000 vues sur Facebook. «Je pense que je n’ai jamais “scoré” de même à la télé. Mais tu sais pourquoi j’y suis allé? Pour que l’équipe continue de m’inviter et que je puisse continuer de dire non!» s’esclaffe-t-il, façon Bélanger.

Je sais pertinemment que je suis dans un système quand je passe à la télévision. Je ne juge pas ceux qui le font, mais moi, ça me gêne profondément de parler de mes émotions entre deux pauses publicitaires.

Si Daniel trouve un certain plaisir à interpréter ses chansons à la télé, il se sent toutefois moins à sa place en entrevue, sur des plateaux de variétés. «J’ai de la difficulté à mélanger les genres. Je ne suis qu’un auteur-compositeur-interprète. Je ne suis pas un “variétiste”, comme je me plais à le dire. Ça ne me tente juste pas de cuisiner des recettes de poulet à la télé en même temps que je fais la promotion mon album.»

Ne lui demandez pas non plus de s’ouvrir sur des sujets plus personnels au petit écran, ça ne sera pas possible. «Si on m’invite à une émission de télé, c’est parce qu’on sait que je suscite de l’intérêt. Et si je suscite de l’intérêt, je fais vendre de la pub. Je sais donc pertinemment que je suis dans un système quand je passe à la télévision. Je ne juge pas ceux qui le font, mais moi, ça me gêne profondément de parler de mes émotions entre deux pauses publicitaires.»

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Deux «steamés» et une patate

Ça fait plus de 90 minutes qu’on jase. Par moments, j’oublie presque que je suis assise devant celui qui a pondu Les insomniaques s’amusent et Quatre saisons dans le désordre tant la conversation coule naturellement. C’est sûrement très lié au fait que l’homme n’a guère nourri sa persona publique.

«Je ne me suis jamais pris pour moi, dit-il, en étouffant un rire. De mon point de vue, Daniel Bélanger n’existe pas. Prenons Elvis, par exemple: il était Elvis, même quand il

regardait la télé seul chez lui. [Daniel se lève en imitant la dégaine du King, comme s’il allait changer de chaîne sur un ancien téléviseur.] Il était Elvis partout. Moi, c’est l’inverse; je suis en tout temps la personne, le citoyen. Y a juste sur scène que je me prends parfois pour Daniel Bélanger.»

Souhaitant imager son propos, Daniel replonge dans ses souvenirs jusqu’à sa résidence au Spectrum, à l’automne 1996. À la fin des spectacles, il quittait la salle, montait dans sa voiture et filait au resto. Mais pas n’importe quel resto. «Après le show, j’allais manger deux “steamés” et une patate chez Lafleur, sous l’échangeur Turcot, à Ville Saint-Pierre. Je retournais m’asseoir à l’endroit où j’étais habitué d’aller avant, à l’endroit où le petit Daniel de 17 ans rêvait de ce métier. Je vivais le succès que j’avais tant espéré ET je mangeais des hot-dogs chez Lafleur… C’était le fucking meilleur des deux mondes!»

L’artiste a les yeux pleins d’étoiles et moi aussi. Pour des raisons différentes, mais qu’importe. «Je suis un drop-out, je viens de la rue, conclut Daniel. Après un show, il faut que j’y revienne. C’est mon monde imaginaire. J’aime les extrêmes: être tout-puissant sur le stage, prendre les applaudissements puis, à l’autre bout du spectre, manger des hot-dogs et une patate… C’est fantastique.»

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Ses actus

En plus de travailler sur son prochain album à paraître cet automne, Daniel planche sur un recueil de poésie qui sera publié en août aux éditions Les Herbes rouges.

Photos: Martin Girard
Stylisme: Farah Benosman
Mise en beauté: Cynthia Bouchard
Directrice artistique : Marie-Michèle Leduc
Assistant-photographe: Hans Laurendeau
Coordonnatrice: Claudia Guy

Nous tenons à remercier chaleureusement le resto-bar La buvette chez Simone de nous avoir permis d’y réaliser cette séance photo.

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