Que de gros mots par Vincent Marissal

Que de gros mots par Vincent Marissal
12 Jan 2015 par Vincent Marissal
Catégories : Culture
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Si on en croit les médias, nous vivons un calvaire quotidien. Les scènes apocalyptiques se multiplient, le chaos se répand, l’horreur règne… Et si on relativisait un peu?

Que de gros mots par Vincent MarissalCatastrophe, enfer, misère, chaos, désastre, calamité…Un immigrant tout juste débarqué d’Haïti ou du Soudan du Sud qui écouterait les bulletins de circulation de Montréal sans savoir de quoi il s’agit pourrait fort bien croire que les calamités de son pays d’origine l’ont suivi jusque dans son nouveau refuge nordique!

En matière de circulation automobile, on aime les superlatifs. Je crois même qu’au cours des dernières années la circulation est devenue une concurrente féroce de la météo dans la catégorie «obsessions populaires et autres choses plus ou moins importantes qui font jaser le monde». Loin devant le temps d’attente aux urgences et tout juste derrière les changements de trio du Canadien de Montréal.

Depuis quelques années, on a même une station de radio (730 AM, l’ex-CKAC) dédiée exclusivement à la circulation. On avait déjà Rouge FM, on a maintenant Cônes orange AM.

Quand j’étais petit, on écoutait les matchs de baseball des Expos à la radio. Aujourd’hui, pour se divertir, les petits garçons écoutent les bulletins de circulation! Avec tous ces superlatifs, toutes ces images, ils ont l’impression de suivre une catastrophe en direct.

J’ai d’ailleurs le plus grand respect pour les animateurs qui décrivent l’état du réseau routier, une affaire pas mal plate, en fait, avec enthousiasme et originalité.

Cela dit, pourrait-on modérer nos transports et freiner l’enflure verbale? Mettre une heure pour se rendre sur la Rive-Sud, ce n’est pas une catastrophe, c’est un ennui, un retard. Au pire, un casse-tête pour les automobilistes qui cherchent un autre chemin. Lac-Mégantic a vécu une catastrophe et même l’enfer. Dans la région de Montréal, les automobilistes vivent des désagréments. Nuance.

Les Syriens, eux, vivent quotidiennement l’enfer depuis des années. Nous, au Québec, on subit des délais, bien assis dans nos autos, en écoutant la radio nous dire… que nous sommes en enfer!

Je pense qu’en insistant aussi lourdement, les médias amplifient le problème. Ils contribuent à la psychose de la circulation et créent de nouvelles maladies mentales, comme la «cônite chronique», la «dépression post trop-de-trafic» ou le «syndrome du nid-de-poule». À force de se faire répéter qu’on se meut de catastrophe en désastre dans un enfer permanent, pas étonnant que certains d’entre nous pètent les plombs et deviennent enragés.

Cette obsession de la fluidité dans les transports perpétue aussi l’impression que tout automobiliste a le droit constitutionnel de circuler sur des routes dégagées en tout temps. Circuler, en plus, seul dans son véhicule, en maugréant contre les bouchons qu’il allonge lui-même.

Je vous rassure, je ne suis pas un citoyen de la République autonome du Plateau-Mont-Royal allergique aux automobiles et converti à la religion BIXI. J’ai une auto, je m’en sers et, comme vous, je sacre contre la prolifération des bouchons à toute heure du jour et de la nuit à Montréal. Je fais un peu de vélo, pour les petites courses à Montréal, mais la cohabitation est difficile et parfois dangereuse entre les vélos et les autos, entre les vélos et les piétons, et même entre les vélos et… les vélos!

Je constate, comme vous, que la circulation est de plus en plus lourde dans la région métropolitaine (et aussi à Québec et à Ottawa), qu’il est plus ardu de circuler et que les gens – automobilistes, cyclistes et piétons – sont de plus en plus hargneux les uns envers les autres. Je ne parlerais toutefois pas d’«enfer» ou de «catastrophe», termes qui relèvent, je le répète, d’une enflure verbale contre-productive.

Il n’y a pas que dans le domaine de la circulation qu’on pèche par un usage abusif de superlatifs. Dans les médias en particulier, on a la catastrophe facile. Le recours aux «gros mots» est malheureusement très répandu.

Un exemple parmi d’autres? Ce titre coiffant un article sur l’incendie d’une école primaire à McMasterville, dans La Presse, l’été dernier: «Une tragédie d’une tristesse inouïe.» La communauté de McMasterville, qui a perdu son école, a toute ma sympathie, mais une «tragédie»? L’incendie dévastateur de la maison de retraite de L’Isle-Verte, qui a fait 32 victimes, est une «tragédie d’une tristesse inouïe». McMasterville, c’est un coup dur.

Ça me rappelle un séjour que j’ai fait à Haïti, pendant l’hiver 2010. De la terrasse d’un ami, dans les hauteurs de Pétionville, j’avais une vue imprenable sur un quartier complet de Port-au-Prince dévasté par le tremblement de terre. Mon portable a sonné. Appel de Montréal. La voix à l’autre bout m’a parlé d’une situation domestique somme toute banale en la qualifiant de «véritable catastrophe». «Si ce que tu me décris est une “véritable catastrophe”, je vais manquer de mots pour décrire la scène qui est devant moi…», ai-je répondu.

Il faut faire attention avec les mots graves: ils rétrécissent à l’usage.



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  1. Daniel dit :

    Syndrôme alarmiste du journaliste CNN, LCN, RDI et cie…

  2. Nathalie dit :

    Les  »gros mots » rendent les nouvelles plus importantes qu’elles ne le sont réellement!!

  3. Josée Melançon dit :

    Il faudrait mettre l’article de M. Vincent Marissal sur les réseaux sociaux ça réveillerait peu être les gens!

  4. Regis Morin dit :

    …merci !

  5. Alain Zouvi dit :

    Tout à fait d’accord! Cette attitude nous entraîne dans un tourbillon causant la fausse impression que nous n’en sortirons jamais.c’est très mauvais pour la santé et l’épanouissement moral. Il faut choisir la nourriture de son esprit comme celle du corps.

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