Rencontre avec Charlotte Cardin

18 Sep 2020 par Manon Chevalier
Catégories : Culture / Véro-Article
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Voix feutrée, textes intimistes et musique hypnotique: à 24 ans, Charlotte Cardin est devenue l’artiste qu’elle a toujours voulu être. Et elle nous le prouvera, tant dans ses prochaines tournées qu’à la sortie de son premier album.

Cette entrevue est parue dans le magazine Véro de Noël 2018. 

En état de grâce

C’était du jamais vu. Le jour de la séance photo, Charlotte Cardin a tenu à poser telle qu’elle est arrivée au studio. Le visage nu, les cheveux libres, sans le moindre artifice. Et la silhouette longue et gracile, à peine soulignée dans ses propres vêtements. «C’est un choix personnel. J’espère que ça n’importune personne?» a-t-elle demandé à l’équipe, trop ravie de pouvoir capter l’essence de l’auteure-compositrice-interprète aux allures d’une jeune Jane Birkin.

Certes, on peut se demander si cette quête de naturel, aussi radicale qu’inusitée – entre nous, les personnalités qu’on photographie cherchent toutes à être sublimées –, ne relève pas d’une toquade de jeune star. Puis très vite, on se dit que non. Que cette envie de se montrer telle qu’elle est s’impose comme une évidence pour celle qui, après son passage à La Voix en 2013, a pris le temps de dessiner les contours de son identité artistique. Une rareté dans un monde où règne la précipitation.

«Ce temps d’arrêt de deux ans et demi a été un luxe, avoue-t-elle, entre deux photos. Je me suis lancé le défi d’aller vivre à l’étranger, moi qui n’avais jamais quitté le nid familial. J’en ai profité pour écrire plein de chansons différentes et pour voir ce qui me faisait vibrer. Certains font cette démarche pour se construire un personnage, alors que moi, je l’ai fait pour mieux me trouver comme artiste et comme femme. Mais bon, les deux façons de faire sont super», explique-t-elle en prenant soin de nuancer ses propos, comme elle le fera tout au long lors de notre entretien. Elle est donc partie seule, à 19 ans, avec dans ses bagages «une petite guitare» que ses parents mélomanes lui avaient offerte. «J’avais besoin de vivre ce processus en solo, histoire qu’on ne teinte pas mes pulsions artistiques. C’est aussi pour ça que j’ai mis du temps à m’associer à une équipe [de production].»

La jeune femme a eu diablement raison de faire confiance à son instinct, car en moins de cinq ans, ses chansons intimistes entremêlant «jazz, pop et électro de manière assez épurée» ont conquis les publics tant francophone qu’anglophone, d’ici et d’ailleurs. L’artiste montréalaise à la voix veloutée fait salle comble partout où elle reprend les titres de ses deux microalbums, Big Boy (2016) et Main Girl (2017), sacrés disques d’or (40 000 exemplaires vendus de chaque titre), l’été dernier. Louangée par la critique et… Sir Elton John, adulée par ses fans, Charlotte Cardin a récolté quantité de nominations majeures, tant au Gala de l’ADISQ (2017 et 2018) et aux prix Juno (2018) qu’au Prix de la chanson SOCAN (2016, 2017, 2018). Ses extraits et ses reprises cartonnent également à la radio et sur le Web, notamment sur Spotify, avec ses quelque 400 000 auditeurs mensuels. Sans compter qu’elle a foulé les planches auprès des plus grandes stars – dont Mika, Peter Gabriel, les Rolling Stones –, brillé lors de sa dernière tournée américaine et de ses passages en Europe… et j’en passe.

Un fabuleux destin

Pas de doute: à 24 ans, Charlotte Cardin est sur le point de conquérir la planète. Rien de moins. «J’ai une énorme ambition et je travaille vraiment très fort», dit-elle spontanément avant de marquer une pause. «C’est un peu étrange… car lorsque j’en parle, c’est souvent reçu de manière négative. Comme si c’était tabou de vouloir traverser les frontières. Alors, je me garde une petite gêne…» Une confession renversante compte tenu des valeurs dominantes de sa génération, ouvertement décomplexée et souvent avide de reconnaissance mondiale. «Je ne sais pas si c’est lié à ma génération, précise-t-elle. Mais moi, quand je parle de mes buts, je fais toujours attention de ne pas froisser mon interlocuteur.»

Mais encore? Lorsqu’elle lève enfin le voile sur ses aspirations, Charlotte avoue, avec un aplomb inattendu: «Je ne vois pas de limites à ce que j’ai envie de faire!» À preuve, elle entreprendra bientôt une grande tournée en Europe, puis au Québec, avec Aliocha, son talentueux complice de tournée. «Après deux mois passés en studio pour préparer l’album qui va sortir au printemps [2019], ça va faire du bien de monter sur scène et de jouer devant le public!»

Côté album – Dieu sait s’il est attendu! – elle révèle sans vouloir trop en dire qu’«il sera dans les mêmes cordes que ce qu’on connaît déjà. On s’amuse avec un nouveau son, qui laisse plus de place à la guitare, mais ça reste fidèle à mon univers. On voit aussi à varier les effets, pour qu’on ait du plaisir à jouer l’album en live», dit-elle avec enthousiasme.

Celle qui aurait pu devenir médecin a choisi la musique parce que ça «la rendait plus heureuse, tout simplement». Sur scène, il faut la voir sourire, émerveillée et comblée, après chacune des chansons qu’elle compose au piano et, plus rarement, à la guitare. Que trouve-t-elle dans la musique et pas ailleurs? Après une brève hésitation, Charlotte s’épanche: «Je cherche à combler un besoin très fort en moi, celui de créer. C’est vraiment ma façon d’évacuer mes sentiments plus sombres ou plus légers, et de m’exprimer à 100 %. Quand je n’écris pas pendant un certain temps, mon cœur est plus lourd, je suis plus triste. C’est un besoin, plus qu’une quête, pour mieux vivre avec moi-même et avec les autres», raconte-t-elle, alors que nous conversons au téléphone quelques heures après la séance photo, tellement son emploi du temps est chargé.

On le sait, Charlotte Cardin écrit dans les deux langues, le plus souvent en anglais. Ce qui, selon elle, lui procure une plus grande liberté. «Je me censure moins lorsque j’écris en anglais. Mes choix de mots sont moins réfléchis, alors que si je veux exprimer une émotion dans ma langue maternelle, dont je me sens si proche, je me pose 15 fois plus de questions. En même temps, je suis tellement fière quand j’écris une chanson que j’aime en français, que je me dévoile encore plus quand je l’interprète, car c’est moi à 100 %!» lance-t-elle candidement. Ce qui l’inspire? «J’écris sur des réalités qui me touchent. Ça peut aller de la violence conjugale qui me bouleverse à la beauté d’un nuage qui passe dans le ciel. J’écris sur des choses que j’ai vues, ressenties ou qui m’ont été racontées. Ça tourne souvent autour des relations amoureuses, des doutes, des questionnements…»

Elle s’interrompt avec délicatesse, semblant soupeser chaque mot de son propos. À vrai dire, elle semble si posée et si sage que c’est à se demander si en elle se cache une rebelle. «Je ne suis pas très rebelle!», dit-elle en éclatant de rire, avant de se raviser: «La fibre rebelle en moi est canalisée dans ma musique. Je ne suis pas une fille sombre, même si j’ai mes moments tristes, comme tout le monde. Ma musique me permet d’aborder des sujets plus crus, plus dark, que dans les conversations que je tiens dans la vraie vie. Ça me permet de garder l’équilibre.»

– Dirais-tu que tes chansons sont plus impudiques que toi?

– Oui, absolument! Mais en même temps, il n’y a pas un si grand écart entre celle que je suis dans la vie et en spectacle.

– Même si tu t’excuses de dire de gros mots comme f*** quand tu es sur scène?

– Ouais, c’est possible! Je le fais souvent lorsque j’aperçois des plus jeunes dans la salle… Je suis pudique, mais bon…

– Rassure-moi, Charlotte: est-ce que ça t’arrive de t’éclater?

– Oui, j’aime ça faire la fête avec mes amis ou partir dans un chalet et déconnecter. Mais je choisis mes moments. À la veille d’un show, par exemple, je reste professionnelle. C’est hyper le fun ce que je fais, mais c’est ma carrière. Et je prends ça au sérieux, le fait que des gens se déplacent pour venir me voir. Mais bon, à chacun sa manière de faire…», ajoute-t-elle avec ce souci du vivre et laisser vivre qui la caractérise.

Le monde de Charlotte

Charmante comme tout depuis le début de notre entretien, elle s’étonne pourtant que je fasse allusion à sa grande douceur. «Hum, c’est drôle que tu dises ça, car je ne me considère pas comme une personne douce. Je suis peut-être réservée quand je rencontre les gens la première fois, mais je me suis toujours vue comme [étant] un peu impatiente. J’ai un côté un peu edgy dans certaines situations. Mais bon, tempère-t-elle encore, je ne suis pas brusque non plus! Mon premier élan, c’est de toujours accueillir les gens avec gentillesse. Je n’ai pas de méfiance ni de frustrations à l’égard des autres.» Et d’ajouter, avec un sourire dans la voix: «J’ai eu la chance de grandir au sein d’une famille très présente, où il y avait de l’amour en abondance!»

L’occasion est trop belle pour lui demander ce qu’une exquise vingtenaire comme elle attend de l’amour. Sa réponse fuse aussitôt: «Je ne sais pas ce que j’en attends, mais je sais que j’en ai beaucoup à donner et à partager. L’amour, c’est le centre de ma vie. Je suis extrêmement proche de ma famille, de mes amis. Je sais aussi que j’ai besoin d’en recevoir beaucoup pour me sentir bien. Certaines personnes sont super indépendantes et n’ont pas besoin de démonstrations affectives, mais ce n’est pas mon cas! J’ai grandi dans un lieu d’amour. Et je crois qu’on est marqué par ce qu’on a vécu enfant», estime celle qui, depuis trois ans, est la porte-parole de l’Auberge Madeleine, où des femmes en difficulté trouvent refuge, le temps de reprendre leur souffle.

Ces femmes, elle les côtoie depuis sa tendre enfance. Chaque Noël, elle leur distribuait des biscuits qu’elle avait cuisinés avec sa sœur et son grand-père (décédé l’été dernier), qui a été trésorier de l’Auberge pendant près de 25 ans. Une tradition qui se poursuit, en plus des spectacles-bénéfice auxquels Charlotte participe, entourée d’autres artistes qu’elle entraîne dans son sillage depuis 2016. Ce qui motive son engagement pour cette cause? «J’ai envie de redonner un peu de l’amour que j’ai reçu à ces femmes qui ont eu moins de chance», résume-t-elle sobrement.

Nos 45 minutes d’entrevue au bout du fil tirent à leur fin. Il y a fort à parier que Charlotte a déjà un peu la tête au concert privé qu’elle donnera le soir même. Car bien qu’elle soit farouchement déterminée, l’artiste n’avance pas sans les doutes qui accompagnent son succès franchement fulgurant. «Oui, j’écoute vraiment ce que mon gut feeling me dit, mais je me pose aussi des millions de questions… Ma vie, je la vois grande et remplie de possibilités. J’ai beaucoup de projets et plein de choses que je veux accomplir. Je me dis que la vie m’ouvre de belles portes et je veux saisir ma chance. Avoir confiance en la vie, c’est vraiment la plus belle chose qu’on puisse ressentir!» Ça ressemble à ça, l’état de grâce.

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Cette entrevue est parue dans le magazine Véro de Noël 2018. Abonnez-vous maintenant!

Photo: Maude Arsenault



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