Souper de gars: autour de Noël

27 Nov 2018 par Patrick Marsolais
Catégories : Culture
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Rencontre avec Martin Vachon, l’éternel fan de Noël, Pierre-Yves McSween, le grincheux, et le touchant Jean-Thomas Jobin qui échangent leurs points de vue sur le temps des Fêtes.

L’animateur et chroniqueur financier Pierre-Yves McSween et les humoristes Martin Vachon et Jean-Thomas Jobin pourraient difficilement avoir des avis plus opposés à propos des Fêtes. Le premier se demande si on a en vraiment besoin, le deuxième célèbrerait Noël à longueur d’année, vêtu d’un chandail avec bonhomme de neige, tandis que le troisième vient de traverser des moments difficiles qui rendent cette période tristounette. Quoi qu’il en soit, les 90 minutes que nous avons passées ensemble au Marché italien Le Richmond, dans le quartier Griffintown, se sont déroulées dans le respect le plus total… en dépit des divergences d’opinions. Aimez-vous les uns les autres, disait le petit Jésus…

«Je suis le public cible de Noël, annonce d’emblée Martin. Je suis un enfant, un grand bébé, un nostalgique, un fou de Noël. Je fais des marathons de visionnement de films, je décore comme un déchaîné, j’ai mon propre déguisement de père Noël, bref, je suis le G.O. par excellence du Club Med de Noël. Au-delà du côté commercial, il y a aussi une magie qui m’aide à passer à travers les conflits de famille. Je pense à certains froids que j’ai déjà eus avec mes parents et qui se dissipaient toujours le 25 décembre, parce que pour moi, il était inconcevable qu’on ne se voie pas. C’était comme un armistice qui nous rapprochait et qui apportait son lot de solutions.

– Moi, c’est l’inverse, réplique – sans surprendre personne – Pierre-Yves. Cette fête a toujours été associée au fait d’attendre un cadeau. Or, même si je suis un gars qui ne prône pas la surconsommation, je me dis: pourquoi attendre à Noël pour combler un besoin? Je trouve aussi que les Fêtes représentent tout ce que j’aime moins, comme des rendez-vous forcés avec des gens que je ne côtoierais pas autrement. Pourquoi s’imposer ça? Deuxièmement, à cause de la mondialisation, on a beaucoup réduit le prix, mais également la qualité des et la durabilité des produits. Les gens achètent donc une quantité astronomique de bébelles tape-à-l’œil avec lesquelles les enfants ne jouent pas vraiment. Ça génère une pollution épouvantable et ça m’interpelle beaucoup. Quand je regarde les Fêtes dans leur ensemble, c’est totalement à l’opposé de ce que je suis devenu. Si tu veux me faire mal au cœur, achète-moi un chandail de laine avec un renne au nez rouge dessus…

– Je me situe pas mal entre vous deux, répond Jean-Thomas. Quand j’étais jeune, je tripais vraiment comme un gamin. Mes parents faisaient la totale: les traces de pas dans la neige, les biscuits croqués et le verre de lait à moitié bu. Je pense que je suis l’enfant qui a cru le plus longtemps au père Noël dans l’histoire du Québec! Cela dit, derrière mon côté stoïque, ceux qui me connaissent bien savent à quel point je suis sensible. Or, j’ai des souvenirs très précis de gens qui téléphonaient aux lignes ouvertes, le 24 ou le 25 décembre, et qui étaient complètement seuls. Ça me foutait un cafard incroyable, je trouvais ça d’une tristesse inouïe et pendant longtemps, j’ai été incapable de dissocier Noël de l’extrême solitude des gens.»

Je ne connaissais effectivement pas le côté sensible de Jean-Thomas, mais ce repas sera révélateur à cet égard. Il y a un peu plus d’un an, il perdait sa mère, quelques mois seulement après le décès de son père. Deux proches auxquels il était très attaché. Pour l’avoir moi-même déjà vécu, les fêtes de famille, dans ces moments-là, deviennent extrêmement pénibles. On voit venir décembre avec méfiance et, rendu au jour J, les célébrations s’avèrent intenses, émouvantes, mais également éprouvantes.

– Mon père est décédé en mars 2017, et ma mère, en août 2017, raconte Jean-Thomas. Alors l’an dernier, Noël a été très pénible. Surtout que, dans mon cas, les Fêtes ont toujours été très intimes. Ça se passait souvent juste avec mes parents, ma sœur et moi. Depuis quatre ou cinq ans, parce qu’ils étaient malades, mes parents n’arrêtaient pas de nous dire que c’était peut-être leur dernier Noël. Chaque fois, j’avais les yeux pleins d’eau, d’autant plus que je savais à quel point cette fête était importante pour ma mère. Je ne vous cacherai pas que ç’a été raide l’année dernière, même si je trouvais ça cool d’être seul avec ma sœur et mon beau-frère à vivre le moment plutôt qu’à essayer de le fuir. On a pleuré, on a parlé d’eux, et on a ri aussi. Mais bon, deux départs la même année, disons que c’est assez chargé. Je pense que ce sera mieux en 2018, même si je dois admettre que je vois venir Noël avec moins de joie qu’autrefois. Si j’avais des enfants, ça me permettrait au moins de vivre cette magie à travers leurs yeux, mais pour l’instant, j’ai quasiment plus envie de m’envoler dans le Sud.»

Dans mon livre à moi…

Ce souper est le moment idéal pour régler une question d’importance capitale: à partir de quand devrait-on avoir le droit de décorer la maison et le sapin? Non mais c’est vrai, j’ai parfois l’impression que certains attendent juste d’enlever les citrouilles et les chapeaux de sorcières, le 1er novembre, pour les remplacer aussitôt par des couronnes de Noël. Des quartiers complets scintillent même de mille et une lumières multicolores plusieurs semaines avant la première neige

– Moi, c’est simple, si tu fais ça avant le 1er décembre, tu n’es plus mon ami, s’esclaffe Pierre-Yves. Je suis incapable de te respecter…

– Là-dessus, je suis assez d’accord avec toi, renchérit Martin. J’ai mes propres règlements. Le 1er décembre pile, c’est là que j’allume mes lumières dehors et que je peux mettre la radio au poste qui ne diffuse que de la musique de Noël. Faut que ça sente le sapin chez moi. Chaque année, lorsque je l’enlève, je le regrette parce qu’il y a un milliard d’épines dans la maison, mais je ne suis pas capable de faire autrement.

– Ma sœur me rappelait récemment que chez nous, quand on était petit, on commençait la décoration le 18 décembre, raconte Pierre-Yves. Mon père allait acheter le sapin et je me souviens de l’attente interminable avant que l’arbre dégèle. Il est là devant toi, pis tu dois attendre pendant des heures pour que les branches descendent. Non mais, quel turn off! Et puis peut-on se parler de l’industrie la plus «fraude fiscale» de l’histoire du Québec? demande notre comptable favori. Les vendeurs et les coupeurs de sapins sont illégaux, on paie tout ça comptant, ça n’est déclaré nulle part… C’est de la fraude fiscale de bord en bord! Et cette manière qu’ils ont de changer les prix selon ta face. Toi, ça va te coûter 25 $, toi là-bas, 32 $. C’est n’importe quoi.»

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Souvenirs retrouvés

N’empêche. On a beau pester contre le matérialisme ou détester les interminables voyagements, les souvenirs de Noël figurent souvent parmi nos plus mémorables, ne serait-ce que parce qu’on se réunissait entre cousins, qu’on se couchait plus tard que d’habitude et qu’on était en vacances scolaires. Pas pour rien qu’un des films les plus marquants du cinéma québécois, La guerre des tuques, se déroule pendant le congé des Fêtes! C’était la liberté hivernale, l’occasion parfaite de laisser le froid nous rougir les joues ou de se vautrer dans les manteaux de fourrures de nos tantes les plus fortunées.

– À l’époque où l’hiver était encore l’hiver, on habitait à côté d’un cours d’eau, se rappelle Pierre-Yves. Et chaque fois que mon père embarquait sur la glace et revenait en nous disant qu’on avait le droit d’y jouer au hockey, c’était le plus beau jour de l’année, habituellement autour du 23 ou du 24 décembre. Mes cousins arrivaient, on jouait jusqu’à temps que nos salopettes soient tout trempes. Ça, c’était vraiment magique!

– Moi, j’ai toujours tripé sur les chats et je me souviens d’avoir beaucoup harcelé mes parents pour en avoir un, même si ma mère disait ne pas les aimer du tout, relate Jean-Thomas. À sept ans, j’ai reçu un cadeau super mal emballé qui n’était pas sous le sapin et que mon père avait apporté à la dernière minute. Je me rappelle encore de la face de ce chaton persan gris et déjà tout cotonné. Le lendemain, on a passé toute la journée à le chercher pour finalement le retrouver dans le classeur de mon père, entre deux dossiers… Au bout du compte, c’est comme si je l’avais reçu deux fois! C’est encore super précis dans ma tête et ça reste un de mes plus beaux souvenirs de Noël.

– C’est drôle parce qu’autant j’ai de beaux souvenirs, autant je ne peux m’empêcher de penser que j’étais obligé d’aller à la christie de messe de minuit et que ça m’écœurait, peste le Grinch McSween. Les enfants étaient tous habillés avec une robe de chambre brune et un linge à vaisselle sur la tête pour recréer les personnages de la crèche. J’ai une photo chez moi où je suis déguisé en petit page, celui à qui on a mis des bas de nylon blancs et un habit complètement ridicule. Je tenais le bébé Jésus dans mes mains et le curé m’avait donné 5 $ pour jouer ce rôle-là. C’est clairement ma mère qui tenait à ce que je le fasse et je me doute qu’elle devait être ben fière de moi. J’étais aussi dans la chorale de l’église, j’apprenais les chants de Noël et je m’occupais de la section des aigus parce que je vieillissais moins vite que les autres. Mettons qu’ado, j’ai décroché assez vite.»

Le temps d’une dinde

Au Québec comme dans de nombreux pays, Noël est une affaire de traditions. Et c’est peut-être cet aspect rassurant qui nous plaît tant. On sait ce qui nous attend, on sait ce qu’on va manger, avec qui on va jaser et souvent même de quoi il sera question. À travers l’incessant tourbillon du travail, des weekends passés à trimballer les enfants dans des tournois et autres activités, on marque une pause et on revient à ce qu’on a connu autrefois.

– Tu vois, moi, je trouve justement qu’on manque de créativité dans nos recettes à Noël, estime Pierre-Yves. On est tellement ancré dans nos traditions qu’on a l’impression de revivre le même repas chaque année. Le 24 décembre, on mange un menu qui sera exactement le même que celui du 25 dans notre belle-famille. Pis le 26, ben on mange les restes. Ça manque de variantes.

– Je ne suis pas d’accord, l’interrompt Martin. Les petits sandwichs fourrés à la viande hachée, les saucisses dans le sirop et la tourtière, pour moi, sont des incontournables. Et chaque fois que j’en mange durant les Fêtes, ça me rend heureux. Et il y a aussi les Ringolos, une sorte de chips qu’il n’y avait que chez ma grand-mère et qui me rappellent tellement mon enfance…

– Ma mère nous cuisinait des desserts en quantité industrielle, intervient Jean-Thomas. Elle disait qu’elle détestait faire la popote, mais je pense qu’elle aimait ça pas mal plus qu’elle le laissait paraître. C’était fou toutes les pâtisseries qu’elle préparait pour Noël. Je repartais avec quatre plats de plastique remplis de gâteries pis j’engraissais de 28 livres, juste avec ça!»

Parlant de traditions, les boys, avez-vous déjà incarné le père Noël?

– Je ne l’ai pas encore personnifié parce que mon gars est trop jeune et que ça l’effraie un peu, explique Martin. Mais mon costume est prêt et je n’attends que le bon moment pour l’enfiler.

– Je l’ai fait une fois, mais c’était zéro crédible, raconte Pierre-Yves en souriant. Imaginez-moi avec mes cheveux longs, une barbe en feutre et un oreiller sur le ventre. Du grand n’importe quoi… Je trouvais quasiment mes enfants épais de croire à ça tellement ça paraissait que c’était moi! Dans mon enfance, je ne me suis jamais assis sur le père Noël à la maison parce que pour ma mère, Noël était la fête de Jésus. On voyait le père Noël sur des décorations, mais personne ne mettait de costume chez nous parce qu’il s’agissait essentiellement d’une fête religieuse…»

Au fil des rires et des anecdotes, les échanges animés se sont poursuivis pendant encore un bon bout de temps. Et si différents soient-ils, nos trois invités au «souper de gars» se sont entendus pour vous transmettre le même message: «Joyeux Noël! Et ben de la santé!»

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Cet article est tiré du magazine Véro Noël 2018. Abonnez-vous maintenant!

Photos: Martin Girard



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