Souper de gars: demain vous appartient

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27 Mai 2019 par Patrick Marsolais
Catégories : Culture / Véro-Article
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Dix-huit mois après la viralité du mot-clic #MeToo, l’acteur Fabien Cloutier, le journaliste Marc Cassivi et le comédien Mathieu Baron ont accepté de faire le point sur le phénomène.

Souvent affecté à la couverture du Festival de Cannes, Marc Cassivi n’a pas été surpris d’entendre ces accusations à l’égard d’Harvey Weinstein, bien au contraire: «En fait, il y a un côté de moi qui trouvait ça rafraîchissant parce que j’avais entendu beaucoup de rumeurs. Je n’ai jamais rien vu de sexuel quand je l’apercevais dans des soirées, mais j’étais à même de constater l’espèce de déférence avec laquelle Cannes accueillait ce personnage. En revanche, je ne soupçonnais pas le nombre de femmes qui avaient vécu des trucs pareils sans oser rien dire.»

– C’est certain qu’ultimement, tout ça est positif, souligne Mathieu, mais je me demande quand même jusqu’où ça va aller. J’ai un peu peur de toutes les rumeurs qu’on entend. Il y a beaucoup d’accusations sur les réseaux sociaux, sans trop de preuves à l’appui. Elle est où la limite? Parfois, je me demande même ce que j’ai le droit de faire ou de ne pas faire.»

Qu’on se le tienne pour dit, l’opinion du comédien vedette d’Unité 9 est partagée par de nombreux hommes. Plusieurs ont déploré que des blagues salaces, par exemple, soient incluses dans ce qu’on a appelé «la culture du viol», au même titre que des agressions sexuelles: «Je peux comprendre que des hommes se sont sentis bousculés par le terme, parce qu’on a tout mis dans le même panier, affirme Fabien. Des gars aux blagues un peu douteuses se retrouvaient dans le même sac que des gars qui ont violé des femmes, alors que JAMAIS de leur vie ils n’auraient voulu faire ça. Il y a quand même une crisse de différence entre une serveuse qui se fait dire une joke poche par un gars chaud dans un bar et une fille que trois gars ramassent dans une ruelle pour la violer…»

Dans le rétroviseur

Cela dit, je ne connais pas un gars autour de moi qui ne s’est pas interrogé sur ses agissements passés. On s’est tous demandé si, un soir de brosse, on n’avait pas franchi un interdit en insistant un peu trop pour séduire quelqu’un. Lui-même en tournée lorsque la vague de dénonciations a déferlé, Fabien a décidé de revoir certaines lignes de son spectacle: «Il y a quelques gags que je ne trouvais plus drôles, même si les gens riaient, avoue-t-il. J’avais l’impression que, dans le contexte social, ils marchaient moins bien. J’aime jouer avec l’inconfort des gens, mais les événements liés à #MeToo ont fait que cette zone de confort a évolué et j’en tiens compte.»

– Je me demande souvent si j’ai le droit de rire d’une blague sans me faire juger, réagit Mathieu. Le mouvement #MeToo est tellement omniprésent qu’on se pose la question: “A-t-on le droit d’explorer certaines zones plus dangereuses?” Je ne connais personne qui peut affirmer n’avoir jamais rien dit de déplacé. Évidemment que je me suis interrogé sur mon passé, mais en même temps, je pense que la limite n’est pas la même pour toutes les filles.

– Je saisis ce que tu racontes, dit Fabien. Il y aura toujours des filles qui aiment les longs préliminaires, alors que d’autres vont privilégier les approches plus directes. Elles sont différentes et c’est parfait. Mais j’ai l’impression que ce que #MeToo nous a rappelé, c’est qu’à partir du moment où il y a un “non”, il faut le respecter. Je crois aussi qu’il y a une gang de mononcles qui faisaient des jokes déplacées qui vont se dire qu’en 2019, ce n’est plus vraiment approprié.»

En ce sens, les gars seront-ils plus prompts à remettre à sa place quelqu’un de leur entourage qui se laisse aller à des grivoiseries un brin macho?

– J’ai souvent repensé à mon comportement lorsque j’étais en groupe, admet Marc. Je m’en veux parfois de ne pas avoir dit à quelqu’un: “Voyons, tu ne peux pas dire ça!” Aujourd’hui, peut-être que je le ferais, mais je ne peux même pas l’affirmer à coup sûr. Je pense à la chambre des joueurs de ma ligue de garage de hockey. Ça m’est arrivé de ne rien dire, voire même de rire parfois à certaines blagues…»

– Ouin, mais il me semble qu’il y a des endroits où on peut peut-être dire certaines choses, non?» s’interroge Mathieu.

Ce qui m’amène à interroger Mathieu à ce propos: «Y a-t-il des endroits où les blagues un brin sexistes sont plus tolérables?»

– J’espère que oui, avoue-t-il candidement. Je ne vois pas pourquoi un humoriste aurait le droit de se moquer d’un handicapé sur scène, alors que moi, je n’aurais pas le droit de parler du cul d’une fille entre boys dans la chambre des joueurs. Chaque lieu impose son code de conduite, même si je suis tout à fait conscient qu’il doit y avoir des limites.»

La voie à suivre

Ce qu’on a pu constater au cours des derniers mois, c’est que malgré l’affluence de dénonciations sur les réseaux sociaux, peu ont donné suite à de réelles accusations – faute de preuves suffisantes ou parce qu’elles étaient prescrites*. De quoi décourager n’importe qui de porter plainte. On a aussi remis en cause l’utilisation des réseaux sociaux par les victimes, arguant que c’était à la police de recueillir leurs témoignages. Encore faudrait-il qu’elles soient prises au sérieux.

– Il faut s’adapter à l’époque, souligne Marc. Et avoir assez confiance dans notre système de justice pour qu’on puisse au moins conseiller à nos filles de porter plainte en cas d’agression. La réalité, c’est qu’il y a un bris de confiance entre notre système et nos jeunes filles. Plusieurs ne seront pas d’accord, mais je constate que si tu as été violée pis qu’il n’y avait pas de témoin, tu deviens presque l’accusée une fois rendue en cour, parce qu’ils vont ressortir des choses que tu as faites à 16 ans dans un bar, pis toutes sortes d’autres affaires hors contexte. Alors, ne serait-ce que dans l’appréciation de la preuve, il faut absolument que ça change pour éviter que les filles aient l’impression que porter plainte est une pure perte de temps, d’efforts et d’énergie.

– C’est sûr que les réseaux sociaux sont tentants, renchérit Fabien. Dans des affaires comme celles de Salvail et de Rozon, tout survient dans la même journée: l’acte d’accusation le matin, le jugement à midi, puis la peine en fin d’après-midi, avec les commanditaires qui sacrent leur camp. Tout se fait en une journée. Le lendemain, l’accusé est déjà en train de purger sa peine en affrontant les médias. C’est ensuite qu’intervient le vrai et très long processus judiciaire qui, souvent, n’aboutit pas à grand-chose. Un processus épuisant et traumatisant pour les victimes. La grande chose que #MeToo va nous avoir apprise, c’est que la honte a changé de camp. Il faut continuer de dire à nos blondes, à nos filles et à nos collègues que si elles ont vécu une agression, elles n’ont pas à en avoir honte. S’il y a quelqu’un qui doit se sentir diminué par un acte répréhensible, c’est celui ou celle qui l’a commis.»

Une société de symboles

Au lendemain de la soirée des Grammy 2019, où plusieurs femmes ont remporté des prix, ma collègue de radio Valérie Roberts se demandait si on n’avait pas voulu faire un statement en remettant autant de statuettes à des femmes, se questionnant par le fait même (sans avoir de réponses claires d’ailleurs) sur leur réelle pertinence. Faut-il y voir une conséquence du mouvement #MeToo, très en phase avec les symboles qui caractérisent notre époque?

– C’est vrai qu’ils l’ont jouée très féministe, mais je n’ai pas de problème avec ça, affirme Marc. Je vois ça aussi dans le milieu du cinéma où il y a des mesures qui visent à favoriser les femmes réalisatrices. Évidemment que ça se fait au détriment des gars, mais je pense, comme beaucoup de réalisateurs à qui j’ai parlé, que c’est normal parce que les filles ont attendu leur tour assez longtemps. Je ne dis pas qu’à performance égale, il faut absolument que ce soit la fille qui gagne un prix. Mais je crois que collectivement, de manière inconsciente, on a favorisé les gars de toutes sortes de manières, alors si aujourd’hui on peut aider les femmes un peu, je dis tant mieux!

– Je suis assez d’accord avec Marc, ajoute Fabien. Il faut juste éviter qu’il y ait des dérapages et qu’on ne le fasse que pour des considérations symboliques. Il faut une vraie remise en question, pas seulement suivre une tendance.»

Mais il y a un peu de ça aussi, non?

– Oui, il y a un peu de ça, renchérit Fabien. Quand des enfants du primaire portent des chandails Girl Power, c’est le marketing qui prend le dessus et je pense qu’il faut faire attention de ne pas mettre ce combat dans les mains de nos enfants ou qu’ils en deviennent les symboles. J’ai déjà eu des discussions avec des jeunes garçons qui ne comprenaient pas pourquoi les chandails Boy Power n’existaient pas. T’as beau leur parler de #MeToo, à sept ans, c’est un peu dur de comprendre tout ça. Ce qu’ils comprennent, c’est que dans leur classe, il y a des filles qui peuvent affirmer la puissance des filles, mais que les gars ne peuvent pas. Et il ne faut surtout pas que ces modes créent chez eux une frustration, qui est précisément de quoi sont nourris plusieurs drames. Ce que nous disent les grandes tragédies comme Polytechnique, c’est qu’il y a des gars qui finissent par penser que tout est de la faute des filles lorsqu’ils n’arrivent pas à avancer. Là, je ne suis pas en train de dire qu’un ti-cul qui voit un t-shirt Girl Power dans sa classe va finir en tueur plus tard, mais assurons-nous d’élever nos jeunes dans une vraie notion d’égalité.»

Parlant d’enfants, êtes-vous confiants pour eux? Que leur monde sera différent du nôtre, plus juste et tolérant?

– Je suis assez optimiste, dit Marc. Grâce à #MeToo, il y a une libération de parole et une prise de conscience. Avant, on ne se posait pas ces questions sur la place des femmes, sur la société patriarcale, on ne réfléchissait pas comme on le fait maintenant. Alors juste pour ça, dans 10 ou 15 ans, nos enfants vont être rendus bien plus loin que nous.

– J’espère que nos enfants pourront être eux-mêmes, ajoute Mathieu. Je souhaite qu’en dépit de tout ce qu’on leur dit d’être ou de ne pas être, il leur restera un peu d’individualité. Une personnalité propre, plutôt qu’une copie de ce que la société leur demande. Laissons les individus s’épanouir. J’ose espérer que la société que nos enfants bâtiront sera moins faite de chialeux et davantage de gens qui agissent pour construire concrètement un monde meilleur.

– Je pense qu’il faut beaucoup discuter avec nos gars, les responsabiliser et remettre en question certains comportements, sans pour autant s’autoflageller, estime Fabien. Nous sommes les premiers vecteurs de changement des gens autour de nous. Une personne à la fois. Mes enfants vont vivre dans un monde meilleur… même si une société, c’est un crisse de gros bateau qui ne se revire pas sur un 10 cennes. Il faut laisser le temps aux choses de changer. Mais elles vont changer, je suis confiant.»

LEURS ACTUS

Marc Cassivi est chroniqueur à La Presse+ et coanimateur d’Esprit critique, à ARTV.

Fabien Cloutier joue dans Léo, une télésérie qu’il a écrite, diffusée à Club Illico.

Mathieu Baron joue dans Unité 9 à ICI Radio-Canada Télé et animera Les héros de la réno! dès l’automne prochain, à Canal Vie.

Photo: Martin Girard

Cet article est paru dans le magazine VÉRO printemps 2019. Abonnez-vous ici.

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  1. Diane Vadeboncoeur dit :

    Parler du cul d’une fille avec les boys… Ça l’air que t’as rien compris mon boy! Je peux vous assurer que la société va piétiner longtemps. Serait il bien vu de faire des jokes sur les noirs quand il n’y en a pas de présent? Il faudrait aussi éduquer les garçons que la Girl Power ce n’est pas menaçant et que la force, le courage, la détermination, la complicité devraient être encouragés pour et par tous.

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