Souper de gars: emprunter la sortie

08 Mar 2021 par Patrick Marsolais
Catégories : Culture / MSN / Véro-Article
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L’un a été forcé de la prendre à la mi-trentaine. L’autre rêve de l’atteindre d’ici 2023, à 50 ans, alors que je soupçonne le troisième de vouloir s’exprimer au micro jusqu’à la fin de ses jours.

Pas toujours simple de préparer sa retraite, surtout dans une société où le travail trône sur un piédestal. L’ancien sprinter Bruny Surin, le comédien Antoine Vézina et l’animateur Paul Houde abordent ici ce sujet souvent tabou, en sirotant un verre de blanc propice aux confidences.

La scène se passe aux Jeux du Commonwealth, à Manchester en Angleterre, en 2002. Bruny Surin, le plus grand sprinter québécois de l’histoire, va courir pour la dernière fois de sa vie. Il le sait, c’est lui qui a choisi le moment de sa retraite. Deux ans auparavant, une déchirure ligamentaire l’avait laissé sur une civière, en pleine piste, et il s’était juré que ce ne serait pas la dernière image qu’il offrirait à son public. Cette fois, ça y est.

«Même si j’avais déjà tourné la page, je me souviens d’une ambiance très pesante lors de ma course finale, raconte l’athlète. Je mettais mon maillot en sachant que c’était la dernière fois que j’allais représenter le Canada. Normalement, en compétition, j’étais très concentré, mais cette fois, tous mes adversaires venaient me voir pour me féliciter. Je pleurais presque… et ma course n’avait pas encore eu lieu.»

Dans l’air humide du nord de l’Angleterre, Bruny franchit alors les derniers 100 mètres de son glorieux parcours. Il se dirige ensuite vers la piste d’échauffement, puis éclate en sanglots. Les projecteurs des stades du monde entier viennent de s’éteindre sur une carrière qui aura duré 18 ans.

Paul Houde, lui, n’est évidemment pas encore à la retraite, mais lorsqu’on lui a offert, l’an dernier, d’animer une émission du weekend plutôt que celle du retour à la maison où il avait ses habitudes, il a compris que sa vision et celle de son employeur n’étaient plus tout à fait les mêmes.

«J’ai pris ça difficilement, avoue Paul. J’étais numéro un et je pensais que ça allait suffire à garantir mon siège. Je suis resté silencieux quand certaines personnes autour de moi considéraient que je devais refuser l’offre. J’y ai pensé, mais je me suis plutôt donné comme objectif de devenir numéro un la fin de semaine. J’y arrive tranquillement, et c’est une forme de rédemption. J’ai été courageux, honnête, je n’ai pas fait d’esclandre ni de déclarations dans les magazines. Ma façon à moi de réagir, c’est de devenir le king du weekend.»

C’est entre autres pour ne pas se faire dicter l’heure de son départ que l’acteur et animateur Antoine Vézina prévoit prendre sa retraite d’ici quelques années seulement. «Avec les deux mains sur le volant», comme aurait dit un ancien premier ministre.

«Je suis essentiellement comédien, souligne Antoine. Je passe de contrat en contrat, et ce sont les autres qui me choisissent. J’auditionne encore pour obtenir des rôles, et il y a des gens qui sont meilleurs que moi. C’est correct. Et c’est normal. Mais je n’ai pas envie d’arrêter juste parce que personne ne me choisit. Quand je vais prendre ma retraite, ça ne veut pas dire non plus que je vais tout arrêter. J’ai l’intention de contribuer à la société d’une autre manière. Est-ce que ce sera en politique? Du bénévolat? Vais-je donner des cours? Je ne sais pas encore… Cela dit, je trouve qu’on embarque dans un engrenage lorsqu’on travaille. Je sais que je suis privilégié, mais j’ai aussi de la difficulté à dire non. Et je réalise que, depuis cinq ans, je n’ai plus de temps pour les choses que j’aime, comme le jeu d’échecs, l’astronomie ou le bénévolat.

– Tu as raison, approuve Paul, le travail, ce n’est pas tout! Je me souviens d’une époque où j’animais à la radio le matin, j’allais tourner Les Boys l’après-midi et j’animais Lingo durant les weekends. Je gagnais beaucoup d’argent, mais j’avais un sale caractère, entre autres avec mes enfants… Ça faisait monter en moi un magma d’écœurement.»

Tasse-toi, mononcle!

«La jeune génération», «faire place à de nouvelles idées», «un vent de fraîcheur», «rajeunir la clientèle»: autant d’expressions avec lesquelles les plus vieux sont habitués de jongler, à plus forte raison lorsqu’ils œuvrent dans des milieux où l’heure de la retraite n’est pas connue d’avance. Le phénomène n’est certes pas nouveau, mais il frappe néanmoins de plein fouet le jour où le verdict tombe.

«Je ne ressens pas trop ce phénomène, parce que mon public est très large grâce aux Boys et à l’humour que je fais, estime Paul Houde. C’est pour les femmes que c’est le plus dur. On ne le dit pas, bien sûr, mais le milieu des médias est encore animé par la mentalité des années 1970 et 1980, alors qu’il était très difficile pour une femme de franchir un certain plateau. Je connais plein de comédiennes qui deviennent angoissées lorsqu’elles atteignent la quarantaine. Ce n’est pas normal. Quarante ans, c’est encore jeune! Parfois, je côtoie des comédiennes de 40 ans et j’ai l’impression qu’elles sont prêtes à accepter n’importe quel rôle parce qu’elles ont peur d’être oubliées ou poussées vers la retraite. C’est rarement le cas d’un comédien.

– Et ce n’est pas ton cas non plus, Paul?

– C’est nettement moins préoccupant, répond-il, parce qu’en tant qu’homme, je ne suis pas tributaire de la dictature esthétique que subit la femme. Un gars peut être bedonnant, chauve et pas très beau, ça ne changera rien pour lui.»

Pourtant, lorsqu’on s’est parlé, quelques jours avant l’entrevue, Paul me disait à quel point il trouvait extraordinaire qu’aux États-Unis ou en Europe, des animateurs très âgés puissent continuer à travailler, alors que ce n’était pas vraiment le cas ici. Je l’avais alors senti un peu amer.

«C’est vrai que le paysage médiatique québécois est plus “exécutionnaire”, notamment par rapport à la France, où on invite des gens de 75 ou 80 ans sur différents plateaux de télévision. Ici, on ne tient pas autant compte de la valeur des individus. Je ne comprends pas cette obsession de la jeunesse.»

Préparation 101

Je ne pense pas révéler une grande primeur en affirmant que la préparation demeure l’élément clé d’une retraite sereine. Apprendre à vivre avec soi, cheminer à plein temps avec son ou sa partenaire, nourrir de nouvelles passions, ça ne s’improvise pas… encore moins quand notre carrière se termine à 35 ans, comme celle de Bruny Surin.

«J’ai déjà entendu un ancien athlète retraité parler de dépression et je trouvais que c’était du gros n’importe quoi, avoue-t-il. Puis j’en ai entendu un deuxième, puis un troisième. Ça m’a conscientisé. J’ai commencé à m’informer et j’ai vite compris que je devais préparer mon après-carrière. J’avais peur de ce qui m’attendait, parce que pendant 18 ans, mon travail c’était de m’entraîner. Autour de moi, il y avait une équipe – un entraîneur, un massothérapeute, des commanditaires – qui s’assurait de me propulser à mon plus haut niveau. Je ne vivais pas une vie normale. En m’arrêtant, j’ai eu l’impression de rejoindre monsieur et madame Tout-le-Monde. Et le fait de m’être bien préparé à cette nouvelle étape m’a enlevé bien des soucis.»

Honnêtement, je suis incapable de m’imaginer la discipline et les sacrifices nécessaires pour parvenir à franchir un 100 mètres en 9,84 secondes. On s’entend que les folies, les petites gâteries et les incartades sont carrément proscrites. Or, il y a sans doute des dangers à s’extraire d’un tel carcan au moment de la retraite. Certains doivent avoir plus du mal à négocier avec cette nouvelle liberté.

«Pour moi, ç’a été une délivrance, avoue le sprinter. J’étais prêt psychologiquement. Et pendant un an, aussitôt après ma retraite, j’ai mangé tout le junk food que je voulais sans jamais faire attention. Je m’étais privé pendant 18 ans et je tenais à m’offrir ces 12 mois à me foutre de tout. Je n’ai pas fait un seul entraînement, je ne suis pas allé une seule fois au gym. Ç’a été une thérapie.»

Embrasser l’anonymat

Qu’on soit animateur vedette, comédien à la télé ou athlète d’exception, on profite toujours d’une reconnaissance publique qui vient avec son lot d’avantages. C’est flatteur et ça témoigne de notre popularité auprès des Québécois. Or, avec la retraite, un anonymat s’installe graduellement. Plusieurs l’ont admis sans détour: il n’est pas toujours facile de se sevrer de la célébrité.

«Eh boy, j’espère bien que je serai oublié! déclare Antoine. Je n’ai aucune prétention dans le métier que je fais. Tant mieux si ça fonctionne, mais pour vrai, ce n’est tellement pas important! De toute manière, je ne crois pas avoir une très grande notoriété. Et chose certaine, elle ne me manque pas lorsque je suis à l’étranger. Je n’ai jamais choisi ce métier pour la popularité, alors je sais que je ne m’en ennuierai pas.

– Pour moi, c’est un peu plus paradoxal, considère Paul. C’est même presque un cas médical. Tout le monde le sait: j’ai un fervent amour des chiffres et des dates. On m’a déjà suggéré de me faire évaluer, histoire de vérifier s’il n’y a pas un peu d’autisme là-dedans. Mais bref, j’archive tout ce qui me concerne. Pas par prétention, mais plutôt par souci de précision. J’ai tout gardé et tout noté, même si je sais pertinemment que ça ne vaut rien. La journée même de mes funérailles, mes enfants vont se débarrasser de mes boîtes… Cela dit, je pense que je commence à bien intégrer cette notion d’anonymat. Je suis serein avec l’idée que les gens vont oublier ce que j’ai fait. Lorsque je pars en caravaning à la recherche de coins perdus pour observer les étoiles, je rencontre d’autres amateurs qui me prennent pour ce que je suis: un campeur passionné d’astronomie. That’s it. Et ça me convient très bien. Toute cette renommée, c’est futile. Je dis ça, puis en même temps, je réalise que ça me fait toujours un petit velours quand des gens vont revoir des extraits des Boys sur YouTube.»

Paradoxal en effet! De toute manière, qu’on se rassure: personne n’a l’intention de jeter mes trois invités aux oubliettes. Et il y a fort à parier que dans 10 ans, ils seront au sommet de l’itinéraire qu’ils se seront tracé…

«En 2030? Je serai un autre Antoine. Je ne serai plus comédien, ça, c’est sûr. J’aurai quitté mes ambitions de toujours vouloir faire rire et attirer l’attention. En fait, la pandémie m’a appris que je vis très bien avec l’idée de ne pas travailler. Je n’en ai pas besoin autant que je le pensais.

– Mon fils essaie de me convaincre de lancer le show on the road en motorisé, relate Paul. Il voudrait que je produise mes propres émissions en roulant. Parce que dans sa tête de gars de 35 ans, la radio, ce n’est pas juste le 98,5 ou Rythme FM, mais aussi des blogues et des podcasts. Alors, où serai-je dans 10 ans? Assurément sur la route de l’Alaska ou du Texas.

– De mon côté, je suis certain qu’il va y avoir de la politique, prédit Bruny, mais je ne sais pas à quel niveau. Des fois, je me dis que c’est un peu suicidaire, avec toutes les critiques que les politiciens reçoivent, notamment sur les réseaux sociaux, mais ça m’attire vraiment. J’espère aussi pouvoir continuer mes conférences de formation, mais par-dessus tout, j’aimerais bien avoir un ou deux petits-enfants…»

Histoire que la roue continue de tourner, évidemment.

LEURS ACTUS

Antoine Vézina coanime l’émission Jamais trop tôt, à Rythme FM, et Ceci n’est pas un talk-show, à Z Télé. Il joue aussi dans les comédies Lol:-), à TVA, et Contre-offre, à Noovo.

Bruny Surin se consacre désormais à des conférences motivationnelles, des webinaires et du coaching en entreprise.

Paul Houde anime Les weekends de Paul Houde, les samedis et dimanches matins au 98,5, et il collabore aux émissions On va se le dire et Bonsoir bonsoir!, à ICI Radio-Canada Télé.

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Photos: Marjorie Guindon



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