Il suffit parfois d’une odeur, d’une photo ou d’une chanson pour nous replonger dans un lointain passé, à se remémorer – voire à regretter – le «bon vieux temps». Histoire d’évoquer d’anciens souvenirs, on a donné rendez-vous à l’humoriste Alexandre Barrette et au comédien-conférencier Marcel Leboeuf au restaurant portugais Taberna, dans le Vieux-Montréal. Échange de propos sur la nostalgie… beaucoup moins triste qu’on le croit!
Il vous arrive sans doute de repenser à cette époque où vous alliez à l’école secondaire avec vos amis, à ces vacances en famille lorsque vous étiez enfant, à ces moments privilégiés vécus jadis avec papa ou maman. Ces souvenirs nous accrochent un sourire au visage ou, parfois, un soupir de regret. Il arrive même qu’en évoquant des images du passé, certaines personnes tentent carrément de les reconstituer…
– «C’est drôle, parce que je viens justement d’écrire un numéro sur la nostalgie! s’exclame Alexandre Barrette. En réfléchissant au sujet, j’ai notamment constaté que même si je gagne plus d’argent qu’avant et que je peux m’acheter plein de nouveaux vêtements, je ne suis jamais aussi à l’aise qu’avec du vieux linge qui a une valeur symbolique pour moi. C’est pas compliqué, je porte toujours les mêmes deux ou trois t-shirts! Même à 18 ans, j’avais de la difficulté à me défaire de certaines choses à cause de ce qu’elles représentaient. Je suis quelqu’un de très nostalgique, au fond. Dernièrement, on tournait une émission spéciale de Taxi payant à Québec, la ville de mon enfance. Cette journée-là, je suis allé souper chez mes parents. J’aurais évidemment pu prendre un taxi, mais je tenais à m’y rendre avec le même autobus – le 239 – que j’ai pris durant tout mon secondaire. Je le fais une fois chaque été. Et comme que je suis maintenant quelqu’un de connu, il y a toujours des gens dans l’autobus qui se demandent pourquoi je prends le bus. La réponse tient en seul mot: nostalgie. J’adore le trajet – que j’ai dû parcourir 1200 fois – entre l’arrêt de bus et la maison de mes parents. Ça me rend zen, tout simplement.»
– «Ça ramène au confort de l’enfance, le confort de la non-responsabilité, analyse Marcel. J’ai fait ça cet été, moi aussi, avec mes deux fils. J’ai grandi à Lévis et je les ai emmenés à la Traverse. On a monté l’escalier rouge, exactement comme quand je vivais sur la rue Fraser. Je leur ai montré la maison de mon enfance et le gars qui l’habite maintenant m’a invité à y entrer.»
– «Ah, c’est fou, j’ai fait exactement la même chose à Mont-Carmel, dans Kamouraska, le relance Alexandre. C’est là qu’habitaient mes grands-parents jusqu’au décès de mon grand-père, en 2001. Je me suis arrêté devant leur ancienne maison, j’ai cogné à la porte et j’ai demandé si je pouvais entrer. C’est vraiment associé à l’enfance. J’avais envie de revivre les vibrations que j’avais ressenties à l’époque.»
– «Moi, il y a une période précise, qui a duré quatre ans, dont je suis très nostalgique, renchérit Marcel. Celle de mon adolescence passée avec mes cousins à Tourville, pas très loin de Saint-Jean-Port-Joli, dans la maison de mes grands-parents. Ç’a été une incroyable période de partys. On se faisait des cabanes dans le bois, on y amenait nos blondes pour les frencher. Encore aujourd’hui, au moins une fois par année, on essaie de recréer ça.»
– «Pis t’essaies de frencher les mêmes filles?» blague Alexandre.
– «Ouin, mais des fois, les filles que t’as embrassées quand t’étais jeune, t’as plus nécessairement envie de recommencer avec elles aujourd’hui, avoue le comédien. C’est pas tout le monde qui vieillit bien…»
– «Je suis tellement d’accord avec toi! ajoute Alex. Dans les conventums d’école, par exemple, tu te rends compte à quel point les gens changent vite. C’est surprenant de constater que certains gars ou filles canon à l’époque ont très mal vieilli, alors que des ados qui étaient moins choyés dans le temps paraissent souvent beaucoup mieux aujourd’hui.»
Coup de blues ou coup de pouce?
Je ne sais pas pour vous, mais en ce qui me concerne, la nostalgie me frappe parfois sournoisement. Autant elle peut me galvaniser lorsque j’écoute un bon vieux succès des années 1980, autant elle me déprime quand je repense à certains glorieux épisodes de ma vie qui me manquent aujourd’hui.
– «Moi, ça me fait réaliser que le temps passe vraiment trop vite, affirme Marcel. Des fois, j’écoute une vieille toune pis ça me fait du bien, mais il m’arrive aussi d’entendre des chansons qui me font penser à des bons chums qui sont morts aujourd’hui. À mon âge, c’est une réalité et ça me donne souvent envie de brailler. J’ai 62 ans et il en meurt en c***** du monde autour de moi ces temps-ci. Alors si la nostalgie peut être bénéfique quand elle te rappelle de beaux moments, elle est parfois plus douloureuse.»
– «Moi aussi, je ressens un peu les deux, ajoute Alexandre. Parfois, c’est une bonne vibe, mais d’autres fois, ça te remet face à des choix que tu as faits dans le passé. Pour moi qui suis un éternel indécis, la nostalgie me ramène parfois à certaines décisions qui n’ont pas forcément été les bonnes. D’ailleurs, j’envie les gens qui ne sont pas du tout nostalgiques. Ils plongent dans la vie et profitent du quotidien. À être trop nostalgique, il peut y avoir un danger de se complaire dans le passé et de fuir le présent. J’admire aussi ceux qui sont capables de se relever rapidement après une rupture. Ce n’est pas mon cas. Moi, mon down se prolonge toujours un peu trop. J’ai alors l’impression que mon ex était la seule fille avec laquelle je pouvais “fitter” sur cette planète… même s’il y a quand même pas mal de filles sur la terre. Je suis toujours assez nostalgique dans mes ruptures. C’est tellement dangereux de sombrer dans ces moments qui étaient beaux, mais qui sont bel et bien finis. Regarder en avant, c’est la solution.»
– «C’est tellement vrai ce que tu dis, souligne Marcel. Surtout à mon âge. Si tu deviens trop nostalgique, tu risques de ne plus jamais avancer. Dans mon entourage, il y a des acteurs qui sont encore en 1986, toujours à raconter les mêmes maudites affaires. Je me souviens d’un gars en particulier… Entre nous, en tournée, on se disait: “OK, à soir, c’est toi qui l’écoutes.” Et tu vois, il y a des acteurs âgés qui sont autrement plus dynamiques. Je pense à Denise Filiatrault, par exemple. Elle est capable de te parler du passé, mais tu sens qu’elle a drôlement avancé, qu’elle est pas restée emprisonnée dans les années 1960.»
– «Les gars, je veux revenir aux regrets dont je parlais tout à l’heure, intervient Alexandre. Je vous ai avoué que j’en avais, mais est-ce que c’est la même chose pour vous? Est-ce que la nostalgie vous ramène parfois à des choses que vous auriez pu ou voulu faire autrement?
– «Dans mon cas, c’est plutôt du côté de mes relations amoureuses», répond Marcel, hésitant.
– «Ah oui? Il y a des choses que tu ferais différemment?», demande Alexandre.
– «Oui, absolument, répond le comédien. Il y a des filles qui sont passées dans ma vie. Je veux dire qu’une remplaçait l’autre même si je savais que ce n’était pas l’idéal. Je me rappelle entre autres avoir fait de la peine à une fille… et on ne se parle plus depuis 15 ans. J’étais tellement étourdi par un autre amour que je ne voyais pas à quel point je lui faisais mal. Alors cette nostalgie-là, celle qui me rappelle mon rapport avec les femmes, me rend souvent triste.»
Dans le bon vieux temps…
Est-ce à cause des familles éclatées, de la pratique religieuse délaissée ou des mois de décembre pluvieux? Toujours est-il que Noël et le temps des Fêtes ne sont plus ce qu’ils étaient. Parlez-en à quelqu’un de plus de 50 ans et il vous dira sans doute qu’il s’ennuie des réveillons d’antan où toute la parenté se donnait rendez-vous. J’ai fait le test avec Marcel Leboeuf et sa réponse ne s’est pas fait attendre…
– «Maudit que je m’ennuie de ça! J’ai eu la chance de vivre des Noëls avec des tonnes d’enfants. Mes arrières-grands-parents ont vécu jusqu’à mes 16 ans et les partys du jour de l’An se passaient chez eux. On devait être 125 personnes! Mon arrière-grand-mère jouait de l’accordéon et mon arrière-grand-père, du violon. C’est clair que je ne vivrai plus jamais ça. Ça me fait réaliser que j’ai vécu un style de Fêtes qu’on associe à “l’ancien temps”.»
– «Est-ce que ça te rend triste de savoir que ça ne sera plus jamais comme dans le “bon vieux temps”?»
– «Non, ce n’est pas grave, répond Marcel. Je me sers de ces souvenirs pour organiser les plus beaux partys possibles à mes enfants. Pour qu’ils se rappellent, à leur tour, à quel point c’était le fun de célébrer les Fêtes avec leur père. Il faut que ce soit positif, sinon on va se mettre à brailler!»
J’ai finalement offert à mes deux invités la possibilité de s’installer confortablement dans une machine à voyager dans le temps, afin de savoir quelle période précise de leur vie ils auraient envie de revisiter. Leur réponse aurait pu être simple: une naissance ou une première de spectacle, par exemple. Mais, encore une fois, Alexandre et Marcel ont pris leur temps pour réfléchir, afin de réagir le plus honnêtement possible. Trouver le moment le plus grisant, certes, mais également celui qui s’est avéré le plus marquant dans leur parcours.
– «Je revivrais l’épisode des auditions de l’École nationale de l’humour, répond Alexandre. Personne de mon entourage n’avait approuvé ce choix. Je suis quelqu’un d’indécis, de très réfléchi en général, et cette période représente un moment où, pour une rare fois dans ma vie, j’ai eu la pulsion d’aller à l’encontre de ce que les gens pensaient. Ces moments entre la préparation de mon numéro d’audition puis l’inscription à l’école ont été une période de frénésie totale. Moi, plutôt timide et introverti, je me suis retrouvé avec des gens complètement fous. Cette année-là a été libératrice et m’a permis de casser bien des moules. J’en suis encore très nostalgique, et j’en parle souvent avec mes chums [Hugo] Pellicelli, Philippe Bond et Billy Tellier.»
Marcel, lui, retournerait illico à ses 21 ans, alors que son grand-père l’attendait dans sa maison. «Il m’a dit: “Mon petit-fils, c’est aujourd’hui que je te donne mes terres à bois.” Quatre cents acres. Au-delà de l’aspect matériel, c’est son amour de la forêt qu’il venait de me transmettre. Je me rappelle de tout cette journée-là. De la lumière, des odeurs… J’ai eu un grand père formidable. C’était mon héros, mon guide. En plus – et ça, je ne l’ai su qu’à l’âge de 14 ans –, mes grands-parents avaient adopté ma mère. Ils l’ont choisie à la crèche, à Québec, en 1934. S’ils avaient choisi la petite fille à côté, je ne serais pas ici en train de vous parler. Alors pour moi, le plus beau moment de ma vie inclut mon grand-père: c’est très symbolique. Je me souviens que la dernière fois qu’on s’est vus, je l’amenais à l’hôpital. Il savait qu’il était au bout du rouleau et il souffrait énormément. Pendant les 80 minutes du trajet, il m’a raconté, une dernière fois, toutes les anecdotes sur ma vie de ti-cul. Des histoires que je connaissais par cœur, à tel point que, quand il avait trop mal dans la voiture, je les terminais à sa place. Je te dirais que, ce soir-là, je vivais dans la nostalgie sur un moyen temps, mais j’étais bien. J’étais apaisé.»
Pour ma part, je ne sais pas si la nostalgie rend triste. Je ne sais pas non plus si c’était mieux dans le «bon vieux temps» (Marcel et Alex font dire que non). Mais le jour de notre rencontre, je peux vous garantir qu’à force d’évoquer tous ces souvenirs, curieusement, nous sommes tous repartis le cœur plus léger et le sourire aux lèvres.
Photo: Martin Girard
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Cet article est paru dans le Magazine VÉRO de Noël 2016.
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