Souper de gars: on jase de militantisme avec Dominic Champagne, Bruno Pelletier et Jean-Philippe Wauthier

02 Mar 2020 par Patrick Marsolais
Catégories : Culture / Véro-Article
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Certains artistes sont de tous les téléthons, montent aux barricades devant l’injustice. Beaucoup de temps et bien des émotions plus tard, certains constatent que même si s’investir autant est valorisant, ça implique aussi bien des sacrifices.

On a jasé d’implications et de miliantisme – sans langue de bois – avec Dominic Champagne, Bruno Pelletier et Jean-Philippe Wauthier au restaurant Dandy, dans le Vieux-Montréal.

Rester debout

On ne naît pas militant, ni artiste engagé d’ailleurs. On le devient au fil de rencontres marquantes, d’événements décisifs, ou parce que le destin nous envoie des signes qui ne trompent pas. Certains le deviennent tout doucement, pas certains d’être le bon candidat, alors que d’autres peuvent identifier à la seconde près le moment où s’est révélé ce besoin de redonner aux autres.

«Mes engagements débutent toujours par une rencontre, dit Bruno Pelletier, impliqué dans la Fondation québécoise du cancer. Ma sœur a eu deux cancers et j’ai été très proche d’elle pendant ces épreuves. Un proche aidant, en fait. Le problème, c’est que les membres de la famille sont souvent les plus mal placés pour tenter d’aider. Ma sœur se sentait coupable parce que je devais aussi prendre soin de ma famille. Elle ne voulait pas mobiliser trop de mon temps. À l’époque, si j’avais su ce que la Fondation offrait cette aide au quotidien, j’en aurais bénéficié. Par la suite, en rencontrant les gens de la Fondation, en allant chanter pour eux, en voyant ce qu’ils faisaient et en constatant que ce n’était pas assez connu, tout ça a cristallisé mon engagement.»

Dominic Champagne, l’instigateur du Pacte pour la transition, raconte à son tour: «Je me souviens très bien que lorsque ma femme a accouché de notre premier enfant, L’actualité titrait: “Y a-t-il un avenir pour cette planète?” Ça m’avait interpelé. Vingt ans plus tard, alors que j’étais au sommet de ma carrière, j’ai subi une opération sous anesthésie générale et j’ai frôlé la mort. Quand je me suis réveillé aux soins intensifs, j’ai constaté l’urgence de vivre. Je venais d’être nommé “Personnalité de l’année” par La Presse et Radio-Canada, et pourtant, je réalisais combien la vie pouvait être fragile et insignifiante. J’étais un privilégié, j’avais des enfants, une blonde, du cash, je faisais les shows que je voulais… mais quelque chose me disait: “Faut que tu fasses mieux que ça.”»

«Tu parles de la notion de “privilégié” et j’avoue que je trouve ça parfois bien tough de gagner de l’argent en faisant des choses inutiles, renchérit Jean-Philippe Wauthier, porte-parole de la Fondation En Cœur. Ma mère a été prof à l’éducation aux adultes toute sa vie. Elle a travaillé extrêmement fort pour aider des gars qui sortaient de prison. Elle a bûché comme une folle pour essayer d’en faire de bons citoyens en recevant un salaire de marde en retour. Et moi, il m’est arrivé de refuser de faire une pub parce que je ne voulais pas m’associer au produit, alors que ça m’aurait payé l’équivalent du salaire annuel de ma mère… Je me trouve donc chanceux de pouvoir être juste bien. À partir de là, quand un organisme me demande de l’aider, je dis oui. Quand tes enfants sont en santé, tandis que d’autres pas très loin de toi le sont moins, c’est aussi un puissant réveil.»

L’envers de la médaille

Malgré les heures de bénévolat, malgré beaucoup d’empathie et, dans la grande majorité des cas, malgré une réelle sincérité dans le geste, la plupart des artistes doivent parfois affronter un certain cynisme populaire face à leur engagement.

«Ils le font juste pour leur image, pour réduire leurs impôts! Ils ne s’impliquent pas vraiment quand il n’y a pas de caméra devant eux!» Voilà le genre de phrases assassines qu’on entend souvent, particulièrement sur les réseaux sociaux. L’époque où les artistes engagés étaient quasi intouchables a maintenant fait place à une ère où la critique – souvent gratuite –, l’envie et l’insolence ont droit de cité.

«J’ai fait la paix avec ce cynisme ambiant, déclare Bruno. Je n’accorde pas d’importance à ce que les gens disent sur les réseaux sociaux. C’est souvent trop heavy à lire, de toute manière. À partir du moment où quelqu’un ose me critiquer en face, exprime une certaine condescendance envers mon implication, je lui demande simplement: “Toi, qu’est-ce que tu fais pour essayer d’améliorer la société?” C’est tout. Je peux te dire que la discussion s’arrête très vite.

– Si un artiste ne s’implique que pour le show off, la fondation va quand même en bénéficier, alors que l’artiste va peut-être mal dormir, analyse Jean-Philippe… Pis pour vrai, quand tu vas rencontrer tous ces bénévoles, tous ces gens malades, faudrait que tu sois un ostie de sans cœur pour ne pas saisir le travail que ces gens-là accomplissent. C’est niaiseux, mais si j’étais plombier, on ne me demanderait pas d’aider une fondation. Je ne peux pas me battre contre le cynisme des gens. Je n’ai pas de papiers qui prouvent que mon cœur est à la bonne place.»

J’ai beau remonter le plus loin possible dans ma mémoire, je ne me souviens pas d’avoir vu un artiste plus critiqué pour son engagement que Dominic Champagne avec le Pacte pour la transition. Raillé, traqué, pourfendu, notamment par les radios poubelles, on l’a parfois même taxé d’extrémiste, voire d’ayatollah. Or, malgré certains signes avant-coureurs de ce dérapage, le metteur en scène n’avait visiblement pas prévu le scénario dans lequel il allait être considéré comme le vilain.

«J’ai de bons amis qui m’avaient averti, concède-t-il. Certains, que je ne nommerai pas, ont retiré leur nom du Pacte la veille du lancement parce qu’ils devaient participer à une campagne publicitaire de voiture et qu’ils voyaient venir la volée de bois vert. J’aurais dû être moins candide et pressentir tout ça. Encore aujourd’hui, ce qui est arrivé me rend triste et me déstabilise. C’est sûr que j’aimerais mieux que tout le monde m’aime. Surtout lorsqu’on veut poser un geste altruiste, qu’on donne de son temps. J’ai souvent l’impression de devoir me battre comme un méchant alors que j’ai plutôt le feeling de poser un geste correct. Mais je revendique quand même ma liberté. J’ai les moyens d’avoir du courage et je sais que ce n’est pas le cas de tout le monde. Alors je l’assume. Pendant combien de temps? On verra…»

Ce qui m’amène à lui poser la question suivante: avec tout ce qui s’est passé depuis quelques mois, est-il heureux ou se demande-t-il plutôt dans quel panier de crabes il s’est mis les pieds?

«Je vais être très franc: je ne suis pas dans le bonheur en ce moment, répond Dominic. Ma blonde non plus, d’ailleurs, et je ne sais pas trop comment “dealer” avec ça. Je réalise que c’est bien beau vouloir sauver le monde, mais faudrait peut-être que je commence par sauver ce qu’il y a autour de moi. Ma joie est un peu en péril et c’est ce que je trouve difficile. D’habitude, je suis un gars joyeux et là, je trouve ça tough d’être toujours dans l’adversité. J’ai passé quatre ou cinq jours avec Greta Thunberg, et elle ne trouve pas ça drôle non plus. Ça m’a fait du bien de la côtoyer, parce que j’ai réalisé que j’étais proche d’elle. Elle est sûrement valorisée, mais elle n’a pas beaucoup de fun dans ce qu’elle fait. Elle est dans un esprit de sacrifice.»

À fleur de peau

Lorsqu’on demande à des personnalités publiques de s’investir dans une fondation, c’est souvent pour animer des soirées, convaincre de futurs mécènes, pousser la note dans un spectacle bénéfice ou encore pour rencontrer des gens malades, souvent des enfants, dont le sourire désarmant – malgré ce qu’ils vivent – génère une montagne d’émotions contradictoires. Tous ceux qui l’ont vécu le savent: il n’y a rien de plus bouleversant que de discuter avec un jeune gravement malade. Des rencontres inspirantes, certes, mais parfois épuisantes à force de côtoyer le drame, l’impuissance et la tristesse des proches.

«Chaque année depuis sept ou huit ans, j’anime une soirée pour la Fondation Les Petits Rois, rappelle Jean-Philippe. C’est un organisme qui s’occupe des enfants atteints de déficience intellectuelle et qui ne sont pas autonomes. Je pleure chaque fois que j’anime cette soirée. Chaque fois, j’ai le feeling que ces enfants-là, c’est du vrai de vrai. Ils ne sont pas fake, ils ne sont pas phony. Quand ils sont contents, ils sont réellement contents. Je te le dis: si un jour tu ne files pas et que tu assistes à cette soirée, c’est sûr que tu vas en ressortir avec un sourire dans la face.

– Pour être très honnête, il a fallu que j’apprenne à définir jusqu’où j’étais capable d’aller là-dedans, avoue Bruno. J’ai accompagné des enfants qui ne sont pas décédés dans mes bras, mais parfois le lendemain de ma visite. Je suis allé très loin dans ce que je voulais faire pour ces gens-là. Encore aujourd’hui, j’en rencontre qui sont très avancés dans la maladie. Mais un moment donné, j’ai senti que j’avais dépassé une limite. Je voulais jouer mon rôle de porte-parole de façon adéquate, mais psychologiquement, c’était devenu trop dur. Ça m’a drainé et ç’a eu des incidences sur le reste de ma vie. Je ne donnais pas le meilleur de moi-même à mes proches ou à mon band, parce que j’étais allé trop loin. Heureusement, j’ai eu un wake up call qui fait que j’arrive aujourd’hui à dire non. Je ne pourrai pas être le sauveur de tous, je ne pourrai pas soutenir toutes les causes. Je me suis longtemps senti coupable de ne pas y arriver, mais plus maintenant.»

Quiconque prend son rôle de porte-parole ou d’ambassadeur au sérieux va aussi forcément devoir s’informer sur la cause, en maîtriser le message et en comprendre les enjeux. Or, quand on côtoie le cancer, la fibrose kystique ou d’autres maladies infantiles, il se peut qu’on développe une certaine anxiété à propos du sort de nos propres enfants…

«Je ne pense pas paranoïer davantage à cause de mon engagement, estime Jean-Philippe. De toute manière, dès que tu as des enfants, tu te mets déjà à insécuriser en pensant à eux… Mais c’est évident que mon implication me fait réaliser à quel point je suis chanceux. Ça ne me crée donc pas d’angoisse supplémentaire; au contraire, ça me démontre encore plus combien je suis privilégié.

– La cause du cancer m’habite parfois un peu trop, confesse Bruno. À force de porter le message qu’une personne sur deux en sera atteinte, ça me rentre dedans. Je me souviens que du temps où je jouais dans la comédie musicale Dracula, chaque soir, j’interprétais des textes très sombres sur l’être humain et j’en suis sorti presque dépressif. À force de redire les mêmes mots, ça devient une espèce de mantra et c’est un peu ce qui arrive avec mon implication à la Fondation québécoise du cancer, dont je porte les messages sans arrêt. Là, je pense que j’ai beaucoup donné et que j’ai besoin de sortir de ça un peu.

– En ce moment je me sens un peu avalé aussi, avoue Dominic. Je dois performer, ma cause doit avoir du succès. Or, je ne verrai jamais le résultat du combat que je mène. Je ne crois pas que la situation va s’améliorer prochainement. Alors pour trouver la paix, je vais devoir prendre certaines distances avec la cause. Faire des choses insignifiantes. C’est drôle parce qu’avant l’insignifiance me révoltait, alors que maintenant, je pense qu’elle m’apaiserait. On dit que je chiale, que je suis un agitateur, que je fais peur au monde, mais à travers tout ça, j’essaie surtout de me tenir debout.»

Et c’est précisément ce que j’ai retenu des propos échangés durant ce souper de passionnés: se tenir debout. Debout devant l’adversité et les émotions qui les envahissent. Debout et animé par le désir de changer les choses. Debout pour que demain existe encore dans le cœur de millions de gens.

«Je sais que je viens d’évoquer des moments difficiles de mon engagement, ajoute Bruno, mais ultimement, mon implication sociale m’a aidé à trouver un sens à l’être humain que j’avais envie d’être. Est-ce que je suis juste un chanteur qui pousse la note? Non, j’ai envie d’être autre chose. Ça fait partie des valeurs qu’on m’a inculquées.»

Et ils sont des millions à vous dire merci…

 

LEURS ACTUS

  • Dominic Champagne se consacre à temps plein au Pacte pour la transition et à la lutte aux changements climatiques.
  • Bruno Pelletier est en tournée au Québec avec son nouvel album Sous Influences.
  • Jean-Philippe Wauthieranime La Soirée est encore jeune les samedis et dimanches, dès 17 h, à ICI PREMIÈRE, ainsi que le balado Grand écart, offert sur l’application OHdio.

 

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Crédit photo: Marjorie Guindon

 



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