Souper de gars : Vieillir dans l’oeil du public

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13 Juil 2022 par Patrick Marsolais
Catégories : Culture / MSN / Oser être soi / Véro-Article
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Dans ce souper de gars, Sylvain Cossette, Widemir Normil et Benoît Gagnon échangent sur le fait de vieillir dans l’œil du public.

Conseils de sages

On les a connus avec les cheveux longs, le visage juvénile, beaux comme ce que la vingtaine a de plus séduisant. Dynamiques, rieurs, frondeurs. Les années ont passé et ils ont tous franchi la cinquantaine. Le gris et les rides sont apparus, la maladie aussi, dans certains cas, mais ils sont encore là, à la radio, sur scène ou au petit écran. Le chanteur Sylvain Cossette, l’acteur Widemir Normil et l’animateur Benoît Gagnon sont donc bien placés pour raconter les défis qui attendent ceux qui espèrent durer dans un milieu toujours affamé de nouveauté. Je les ai rencontré sur Zoom (merci à la pandémie qui battait son plein pendant les Fêtes!) pour leur en parler entre quatre écrans.

Que ce soit sur scène, à la une des magazines ou à la télé, on ne demande pas aux artistes d’être juste bons, on souhaite souvent aussi qu’ils soient beaux. Or, c’est un peu plus facile de bien paraître quand les affres du temps ne nous ont pas encore atteints. J’en connais plusieurs qui pestent contre leur peau qui flétrit ou contre leur chevelure qui se dégarnit… mais pas Widemir Normil.

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«Ce n’est vraiment pas mon cas, affirme celui qui endosse maintenant le personnage de Fardoche dans Passe-Partout. Je viens d’avoir 59 ans et je vis très bien avec ça. Je m’entraîne, j’ai un maître de karaté. J’ai toujours été un grand sportif et je prends soin de mon corps. C’est la seule solution si on veut bien vieillir.

– Moi, j’ai 58 ans et depuis 30 ans, je vis un genre de combat avec mon corps, confesse Sylvain. Est-ce que je m’entraîne? Est-ce que je fais attention à ce que je mange? Je fais des shows, de la télé, et les gens m’observent, décortiquent mon physique. Alors oui, je fais attention à moi, d’autant plus que j’ai une santé cardiaque précaire. Je fais du vélo, je marche tous les jours, je bouge. Malgré tout ça, j’ai quand même l’impression de mener un combat où mon corps décidera de ce qu’il deviendra.

– J’ai un rapport particulier avec le mien, enchaîne Benoît. Je fais beaucoup de sport, je me blesse souvent, mais ça me garde vivant. Je mords dans la vie, mais je fais plus attention qu’avant. Je dors et je mange mieux, parce que j’ai envie d’être sur terre encore un bout. J’exerce un métier public où on se fait régulièrement juger, particulièrement avec les réseaux sociaux. Ça peut être violent. Avant, les jugements sur le physique touchaient presque exclusivement les femmes, mais aujourd’hui, on y goûte tous.

– Dès qu’une madame n’est pas contente du look de ma barbe, merci bonjour, elle est bloquée [sur mes réseaux sociaux], avoue Sylvain. Je n’en ai rien à foutre. L’autre type de commentaires que je reçois concerne évidemment la différence d’âge entre ma blonde et moi. On m’écrit que je pourrais être son père ou d’autres conneries du genre. Et curieusement, ce type de jokes de mononcle provient surtout des jeunes.

– Voilà pourquoi vous ne me trouverez sur aucun réseau social, révèle Widemir. Je suis trop fragile. Je n’ai jamais lu les critiques non plus. Je ne veux pas donner aux autres le pouvoir de commenter mon travail ou ce que je suis. Que ma blonde et mes proches le fassent, c’est parfait, mais les autres? No way

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Comme Benoît l’a déjà mentionné, les femmes n’ont désormais plus l’apanage des remarques mesquines concernant leur âge. Dans le milieu des communications, certains hommes se font désormais tasser eux aussi pour la simple (et mauvaise) raison qu’ils vieillissent.

«Oui, ça arrive, mais ça n’a quand même rien à voir avec ce que vivent encore les femmes en 2022, affirme Widemir. Il y a deux fois plus de jobs pour les hommes. C’est ça, la réalité. Évidemment, tu dois bien vieillir, tu dois continuer de peaufiner ton art, mais il y en a des contrats pour les hommes de 40-50 ans. Je ne veux surtout pas me vanter, mais je pense que professionnellement, je suis à mon prime. Je suis bien dans mon corps et bien dans ma tête, je suis discipliné et je prends mon métier très au sérieux.

– Je ne dis pas qu’on est éternels, mais on est chanceux pareil d’être des gars, renchérit Benoît. J’ai animé des émissions avec des femmes pour qui c’est maintenant plus difficile de travailler. J’en vois qui se font tasser par des plus jeunes qui, elles, vont tout accepter. Nous, on vieillit et ça ne change pas grand-chose. La réalité va finir par nous rattraper, mais on a plus de lousse que les femmes.»

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J’ai commencé à chanter dans les années 1980, alors que le look était tellement important. Ma vie, c’était mes cheveux! J’avais une carrière capillaire. - Sylvain

De jeune à… vétéran

La vie est drôlement faite. On passe longtemps pour le jeune du bureau. On a la vie devant de soi. Puis vient un jour, sans trop qu’on s’en rende compte, où le nouveau boss a l’âge de notre soeur cadette, où le vouvoiement remplace le tutoiement à notre égard. On devient alors ce vétéran que la gang des jeunes n’invite plus systématiquement aux cinq à sept.

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«Je m’en rends compte à Rouge, où je suis l’animateur le plus vieux, signale Benoît. Ça va faire 32 ans que j’exerce ce métier et j’ai désormais quelques collègues dont je pourrais être le père. (rires) Pour eux, je suis une référence à qui on pose des questions sur la manière de faire notre travail. Il y a quelque chose de gratifiant à jouer un rôle important auprès de gens qui ont la même passion que moi. Il y a plein de jeunes qui me poussent dans le derrière. Je dois rester au top de ma game, mais c’est un feeling le fun.»

Et que dire du milieu de la musique, où la jeunesse a toujours été tellement valorisée? Je pense bien sûr à Sylvain Cossette, qui a d’abord fait virevolter sa longue tignasse au sein du groupe Paradox, avant d’amorcer sa carrière solo avec son album Comme l’océan, lancé en 1994.

«En 2003, j’ai gagné le Félix de l’interprète masculin de l’année et, en allant le chercher, j’ai senti que la musique changeait et qu’on donnerait bientôt une grosse poussée à la relève. J’avais le feeling que les chanteurs à voix comme moi ne seraient bientôt plus vraiment à la mode… L’avenir m’a donné raison. Ce soir-là, je me suis senti un peu vieux et je me suis dit que je devrais désormais compter sur moi-même pour me créer de l’emploi. Je suis devenu mon propre producteur, ce qui m’a permis de faire les choses à mon goût, sans me préoccuper de l’industrie qui rajeunissait.

– Sylvain, je suis certain que les femmes te trouvent encore “sexe”, même si t’es rendu à 58 ans, le taquine Widemir.

– Je ne sais pas si elles me trouvent “sexe”, mais c’est vrai qu’on est chanceux, les hommes, répond le chanteur. On peut avoir les cheveux gris, la barbe poivre et sel, et c’est super in. J’ai commencé à chanter dans les années 1980, alors que le look était tellement important. Ma vie, c’était mes cheveux! J’avais une carrière capillaire. On me demande parfois pourquoi je n’ai plus les cheveux longs aujourd’hui. C’est simple : j’aurais l’air cave! Je ne peux pas faire accroire que j’ai 42 ans, j’en ai fucking 58! Je l’accepte d’ailleurs mieux qu’avant. Je suis un grand-père et je ne suis pas gêné de le montrer aux gens.»

Je ne veux surtout pas me vanter, mais professionnellement, je suis à mon prime. Je suis bien dans mon corps et bien dans ma tête, je suis discipliné et je prends mon métier très au sérieux. - Widemir

Bistouri ou pas?

Botox, chirurgie des paupières, liposuccion: la liste des interventions s’allonge lorsque l’envie de retrouver sa jeune trentaine se fait sentir. N’empêche que le sujet est encore tabou. À ce propos, je me souviens de ce collègue bien connu qui faisait disparaître ses rides grâce à quelques injections… mais qui n’a jamais abordé la question avec moi.

«Je n’ai jamais eu recours à la chirurgie esthétique, mais je respecte ceux qui le font, mentionne Widemir. Je trouve ça triste quand c’est l’industrie qui le demande, même si c’est pas mal moins heavy ici qu’aux États-Unis ou en Europe. Si cette intervention fait du bien à ton estime personnelle, qu’elle t’apporte de la paix et de l’amour, do it

– Je n’ai jamais rien fait de ce genre non plus, renchérit Benoît. J’aime mon visage, mais si quelque chose me dérangeait dans ma face, je le ferais. Pas pour le métier, pour moi. Cela dit, trop, c’est comme pas assez. Il y a une fine ligne à ne pas franchir.

– Personnellement, j’aime mes rides, avoue candidement Sylvain. J’aime voir le vécu sur mon visage. Quand je regarde Sean Penn, par exemple, je trouve qu’il a une face de gars qui a travaillé dehors et j’adore ça. Alors non, je n’aurai pas d’interventions esthétiques. Pour être très honnête, quand je regarde un film et que quelqu’un a subi plusieurs chirurgies, je ne remarque que ça. Au point que ça m’empêche de regarder certains films. De nos jours, on peut de moins en moins reconnaître les vrais visages, pas plus que les vraies voix en chanson, d’ailleurs, puisqu’il est assez simple de les trafiquer grâce à l’autotune. On vit dans un monde de moins en moins pur… Ça me trouble pas mal.»

Place à la sérénité

Pour ma part, je trouve qu’il y a de bons côtés au fait de vieillir. Particulièrement pour des gens qui travaillent dans des secteurs sans sécurité d’emploi, où les perspectives d’avenir sont instables. Arrive un temps où l’on constate qu’on a réussi à survivre dans notre domaine, que les enfants sont autonomes, bref, que nos besoins financiers diminuent et que la pression de performer à tout prix se fait moins intense. Il en résulte une forme de sérénité.

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«Évidemment, dit Widemir. On peut alors juste avoir du fun! En faire un peu moins, mais le savourer beaucoup plus.

– À 22 ans, je ne savais pas trop ce qui m’attendait, concède Sylvain. Je n’avais qu’un seul objectif, celui d’être libre. Aujourd’hui, je m’appartiens totalement et je refuse des contrats que peu de gens déclineraient, simplement parce que je ne me vois pas les mener à bien. Même si le cash est là, même si personne de mon équipe ne comprend mon refus. C’est ma plus grande victoire. Dans ma tête, j’ai encore mille chansons à écrire, mais je ne veux plus me battre.»

Et la soixantaine, juste au tournant, ça ne vous effraie pas?

«Mon dos et mes articulations ont 75 ans, mais tant que dans ma tête j’en ai 15, je vis très bien avec la soixantaine, s’amuse le chanteur. Je suis un bon père, un bon grand-père. Je suis solide, tout le monde s’appuie sur moi. Je n’ai pas peur de le dire : je me trouve bon et ça me rend heureux.

– Je vis super bien avec l’idée d’avoir 60 ans l’an prochain, assure Widemir. Mourir ne me fait pas peur, mais souffrir, oui. Alors je m’arrange pour rester en forme. J’aime vieillir, je me trouve beau avec ma barbe blanche et mes poils partout. J’assume tout, tout, tout!

– Je ne suis pas encore rendu là, mais côté carrière, je me donne encore quelques années, déclare Benoît. Après, je vais regarder mes enfants grandir, voyager avec ma blonde, lui faire l’amour partout sur la planète et manger des pâtes sans me soucier de rien. Le reste sera secondaire. Et cette perspective me rend, moi aussi, très heureux.»

Leurs actus

  • Sylvain Cossette est en tournée partout au Québec avec son spectacle Live.
  • Benoît Gagnon coanime l’émission radiophonique L’heure du lunch, du lundi au vendredi dès 12 h, à Rouge FM.
  • Widemir Normil incarne Fardoche dans Passe-Partout, à Télé-Québec, et il jouera dans la pièce M’appelle Mohamed Ali, du 7 au 9 juin, lors du Festival TransAmériques.


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