Dénatalité: Des enfants, en avoir… ou pas?

27 Fév 2019 par Équipe VÉRO
Catégories : Environnement
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Et si la meilleure solution pour lutter contre les changements climatiques était de ne pas mettre d’enfants au monde? Encouragés par des études récentes, certains couples prennent cette décision inhabituelle.

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Par Gabrielle Anctil  (Illustration: Sébastien Thibault)

L’inévitable question a commencé à surgir après que Florence Scanvic et Nicolas Valente se sont mariés, en 2014. « Alors, ça vient quand les enfants? » Sauf que, pour eux, la réponse était un peu différente de celle qu’espéraient entendre leurs parents. « On ne veut pas d’enfants », résume la jeune femme de 33 ans.

Pour le couple, la décision est surtout motivée par un désir de lutter contre les changements climatiques. « Notre objectif de vie est de réduire notre empreinte environnementale. Si on met un enfant au monde, on aura beau lui inculquer nos valeurs, on ne pourra pas contrôler à quel point il décide d’émettre des gaz à effet de serre (GES). Ce n’est pas un risque que je souhaite prendre », explique Nicolas Valente. Pour vivre en accord avec leur vision du monde, les deux époux sont d’ailleurs devenus véganes il y a quatre ans et ils s’investissent comme bénévoles au sein de l’Association végétarienne de Montréal.

Un de moins

Il est vrai qu’ajouter un nouvel être humain sur Terre a le potentiel de produire des GES. Et pas qu’un peu. Une étude parue en 2017 dans la très sérieuse revue Environmental Research Letters comparait les différents moyens de réduire son empreinte carbone à l’échelle individuelle, depuis le recyclage jusqu’à l’abandon de la voiture à essence, en passant par le véganisme et le lavage à l’eau froide. Résultat? Les chercheurs relevaient qu’« avoir un enfant en moins » était la façon la plus efficace de réduire ses émissions de CO2, à raison de 60 tonnes de gaz à effet de serre par an. En seconde position, « abandonner la voiture à essence » permettrait de réduire ses émissions de près de 2,5 tonnes par an seulement. Autrement dit, avoir un enfant de moins a autant d’impact que toutes les autres actions… Réunies.

Faut-il pour autant cesser de se reproduire? Ce serait manquer de nuance que d’en arriver à une solution aussi radicale, estime l’un des deux chercheurs ayant mené cette étude, le géographe Seth Wynes de l’Université de la Colombie-Britannique. « Notre étude ne parle pas d’éviter d’avoir des enfants, simplement d’en avoir un de moins », rappelle-t-il. Surtout, le chiffre de 60 tonnes dépend énormément de l’endroit et du moment où naît cet enfant. « Pour prédire combien de CO2 serait émis par un humain qui naîtrait aujourd’hui, nous avons imaginé deux scénarios: un dans lequel les pays arrivaient à réduire globalement leurs émissions, et l’autre dans lequel les émissions continuaient d’augmenter. »

 

Le chercheur insiste pour que l’on remette ces chiffres dans leur contexte, particulièrement à la lumière du dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), paru en octobre 2018. « [Ce rapport] nous fait comprendre que nous devons réduire nos émissions de GES très rapidement. Mais les effets d’une diminution des natalités se feront sentir à long terme. Si on souhaite agir vite, il faut plutôt envisager d’adopter une alimentation à base de végétaux. »

Féminisme à la rescousse

Directeur des programmes de santé mondiale au Département de médecine de famille de l’Université McGill, le professeur Yves Bergevin considère que la dénatalité est essentielle pour limiter la hausse des températures à 1,5 degré. Il n’est pas le seul à le croire : dans une tribune parue le 9 octobre dans le quotidien français Le monde, une vingtaine de scientifiques s’inquiètent du fait que la question de la réduction des naissances soit absente des discussions entourant la hausse des températures mondiales. Ces experts s’entendent sur la méthode à suivre pour freiner la croissance démographique: l’émancipation et l’éducation des femmes, principalement dans les régions pauvres à forte natalité.

« Dès que les femmes ont l’occasion de faire un choix éclairé, dans un respect profond des droits de la personne, les natalités baissent rapidement. On peut observer cette tendance partout dans le monde », note Yves Bergevin. Il a d’ailleurs consacré une grande partie de sa carrière à la mise en place de programmes internationaux permettant aux femmes de prendre le contrôle de leur fertilité.

Bertrand Schepper partage son avis. Ce chercheur de l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS) craint néanmoins que les discussions entourant la dénatalité culpabilisent celles qui seront les premières victimes des changements climatiques. « On risque de se mettre à dire aux femmes quoi faire de leur corps. J’ai peur qu’on se mette à les blâmer pour les émissions de GES en oubliant de pointer du doigt les pétrolières. »

En fait, le chercheur croit surtout qu’il importe d’inscrire la réduction des naissances dans une démarche plus vaste. « Il serait simpliste de dire “je n’ai pas fait d’enfants, donc je peux continuer à garder le même niveau de vie”. Il faut aussi remettre en question notre consommation de façon générale en tant qu’Occidentaux. Parce qu’après tout, nous faisons peut-être moins d’enfants, mais c’est nous qui polluons le plus dans le monde. » Selon lui, pour lutter contre les changements climatiques sur le plan individuel, il est plus difficile, mais plus efficace de modifier ses habitudes de vie, comme cesser d’utiliser sa voiture ou de manger de la viande, que de ne pas avoir d’enfants.

Parlons-en!

En avoir ou pas? Aussi délicate soit-elle, la question mérite d’être débattue, selon Florence Scanvic et Nicolas Valente. « Chaque fois que je dis que je ne veux pas avoir d’enfants, les gens réagissent très fortement », soupire Florence. « C’est une discussion importante à avoir, renchérit son conjoint. C’est dommage que ça suscite autant de réactions négatives, parce que c’est quelque chose qu’il devient essentiel de considérer. »

Un vieux sujet

La planification familiale est la septième des 100 solutions mises de l’avant par le projet Drawdown, mené par l’environnementaliste américain Paul Hawken afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050. L’idée ne date pas d’hier, rappelle ce groupe de chercheurs : en 1970, des scientifiques américains ont établi l’équation I=PAT (pour Impact = population x abondance x technologie) afin de mesurer l’incidence des êtres humains sur l’environnement.

Même si la réduction des naissances reste un enjeu controversé, la planification familiale contribue à renforcer la résilience des populations en aidant les collectivités et les pays à se préparer et à s’adapter aux changements climatiques.

 

Ce reportage provient du site unpointcinq.ca, média de l’action face aux changements climatiques au Québec. 

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