La mort, ce mot dont on aimerait tous et toutes ne jamais parler, qu’on souhaiterait ne jamais prononcer. Peu importe la façon dont nos chers décèdent, vivre «un bon deuil», à mes yeux, cela n’existe pas ! Oui, c’est vrai : après le décès, il faudra ajuster sa vie, passer par d’autres chemins. Mais accepter pleinement la mort d’un proche, cela n’arrivera jamais.
19 mars 1993. J’ai 26 ans et je travaille à la radio de CIGB, à Trois-Rivières. Je suis marié avec ma superbe Nathalie depuis le mois de juillet 1992. Elle a pour sa part 23 ans et est enceinte de sept mois et demi. Ce soir-là, elle devait m’accompagner à un combat de boxe. Sauf qu’en après-midi, elle était passée me voir à la station de radio pour me dire qu’elle se sentait fatiguée, me conseillant plutôt d’y aller avec son père. J’étais déçu, mais je comprenais parfaitement la situation. Pas de problème, j’irais à la soirée de boxe avec beau-papa pendant que ma femme se reposerait.
Juste avant les combats, alors qu’on était déjà installés, plusieurs personnes m’avaient reconnu et étaient gentiment venus me saluer. Je me rappelle : mon beau-père avait été fort étonné de voir autant de gens s’arrêter pour me parler, me serrer la main. Pendant tout ce temps, l’alcool coulait à flots. Je me croyais au-dessus de tout, alors qu’en vérité, ma dépendance à l’alcool était déjà bien installée. Je ne m’étais pas complètement défoncé, mais j’avais tout de même beaucoup trop bu. À quelques minutes du combat principal, les deux pugilistes nous avaient été présentés, dans un show de musique et de lumière. Puis, ding ! Le combat avait débuté. J’étais debout, sur la pointe des pieds, comme la majorité des gens dans la salle, lorsqu’un placier s’était approché de moi. «Monsieur Simard ! avait-il crié dans mon oreille pour que je puisse bien l’entendre au milieu de la foule. Vous êtes bien Sylvain Simard ? On vous demande de vous rendre à l’hôpital, où votre femme est partie accoucher. Bravo ! Vous allez être papa ce soir !». Ne faisant ni un ni deux, j’étais parti en courant de la salle. Beaucoup d’employés de l’hôtel, qui me connaissaient, m’avaient salué et félicité au passage. Pourtant, je n’y voyais pas là une bonne nouvelle. Nathalie n’en était qu’à sept mois et demi de grossesse ; il n’était pas normal qu’elle accouche à ce moment-là. J’avais roulé comme un malade.
Bouleversé, je m’étais mis à me demander ce que j’avais bien pu faire de mal, car je sentais que ce qui se passait était de ma faute. Je n’avais encore aucune idée de l’état dans lequel se trouvait Nathalie, que je paniquais déjà. À l’hôpital, je m’étais précipité directement à l’urgence. C’était là que je l’ai trouvée, dans une grande salle, au milieu d’au moins dix médecins et infirmières qui s’affairaient autour d’elle. Elle était assise sur une civière et vomissait. Je m’étais approché d’elle et j’avais déposé ma main sur son épaule, en lui disant que j’étais là et que tout se passerait bien. La réalité, c’est que je sentais une panique générale dans la salle. Elle ne réagissait pas à mon arrivée ni à ma présence. Quelques secondes à peine après, elle s’était affalée sur la civière, les yeux dans le vide. J’avais hurlé : « Nathalie, non !» Elle avait fait une crise d’éclampsie, ce qui se traduit par des convulsions, suivis d’un coma. Plus je me disais que les choses ne s’arrangeraient pas, plus je me sentais coupable. Rapidement, les personnes en charge m’avaient sorti de la salle, me demandant de rester calme. Ça ne s’était évidemment pas passé comme ça.
En quelques secondes, Nathalie avait fait un arrêt cardiaque. Les médecins de service avaient réussi tout aussi vite à la ranimer, me répétant de quitter la salle avant de m’annoncer qu’ils allaient la transporter aux soins intensifs, et que ses chances de survie étaient de 50 %. Mes larmes avaient coulé alors que je suivais de près la civière, impuissant. Après une période d’attente incertaine dans la salle voisine, je m’étais dirigé vers une salle de prière. Les yeux bien fermés, j’avais demandé aux dieux, qu’ils existent ou non, de la sauver. C’est curieux ce qui peut nous traverser l’esprit même dans les moments les plus tragiques. J’avais eu l’image, un court instant, de Rocky Balboa assis dans une chapelle alors qu’Adrienne était dans le coma après la naissance de leur enfant. J’avais cherché à me raisonner en me disant qu’il était impossible qu’une si bonne personne puisse mourir si jeune, si parfaite. Et puis, elle m’avait tellement accompagné dans la vie… Ce serait trop injuste ! J’avais affirmé aux dieux que c’était moi, l’imparfait, le pas gentil, celui qui devait subir les conséquences de ses actes. Pas elle, pas ma femme.
Un médecin, aperçu pour la toute première fois, était venu nous annoncer le décès de Nathalie. «Je suis médecin aux soins intensifs, nous avait-il annoncé sans aucune autre introduction. Nous avons tout essayé. Nous n’avons pas réussi à la sauver.» Nathalie venait de mourir d’un second arrêt cardiaque, provoqué par la crise d’éclampsie. Je m’étais effondré en pleurant et en hurlant de rage avant de réussir à demander au médecin s’il avait pu sauver notre bébé Anthony. Il m’avait affirmé qu’il était mort, lui aussi : «Son coeur a cessé de battre. S’il avait survécu, il aurait probablement eu d’importantes séquelles au cerveau compte tenu de l’éclampsie. Nous l’avons laissé dans le ventre de sa mère.»
C’était tellement injuste ! Une si merveilleuse personne, qui perdait la vie à 23 ans. Je m’excusais sans arrêt en lui jouant dans les cheveux et en la caressant. Après lui avoir donné un dernier baiser sur le front, j’étais sorti de la pièce en pleurant à en fendre l’âme. C’est en longeant les couloirs que j’avais quitté l’hôpital, avec l’impression que j’étais dans un monde parallèle. Je croisais des employés qui discutaient entre eux, des gens qui allaient et venaient. Tout autour de moi, la vie continuait. Moi aussi, j’étais là, mais je sentais que je n’appartenais déjà plus à ce monde, à cette vie. Pendant très longtemps, cette impression ne me quittera pas.
Les jours qui ont suivi la mort subite de ma femme et de mon fils ont été extrêmement pénibles. Je ne peux bien expliquer comment je me sentais, à l’intérieur. L’année 1993 en est une que j’ai toujours voulu faire disparaître de mes souvenirs, de ma vie… Mais je n’y suis jamais arrivé.
Nouvel objectif : me changer les idées. Le risque de retomber dans l’alcool, pour toujours cette fois, était grand. Je n’y ai jamais pensé. Le soir après son enterrement a marqué le début de ma descente aux enfers, de mon alcoolisme à temps plein. Ma vie était un désastre. Je n’arrivais pas à passer à autre chose. J’avais l’esprit vide ; je ne garde que peu de souvenirs de la période qui a suivi le décès de ma femme et de notre bébé. J’étais complètement détruit, je buvais tout le temps, sans arrêt. Oui, ma vie se poursuivra, mais je porterai une immense croix sur mes épaules, et ce, à jamais. Je ne pense pas que mon alcoolisme soit dû au décès de Nathalie et d’Anthony, mais une chose est certaine : après cette catastrophe, les shooters se sont multipliés.
Lorsque j’ai pris la décision, en 2018, de débuter une thérapie pour cesser de consommer, les premières actions que j’ai prises sont de me convaincre, à partir de ce moment, que ces décès n’ont jamais été de ma faute, et de m’avouer que je devrai vivre avec cette triste histoire pour le restant de mes jours. Je ne pourrai jamais prononcer le mot «accepté» en lien avec ce deuil; ce serait faux de croire que je puisse accepter une mort aussi subite, tragique et imprévue. Je sais cependant que Nathalie a toujours été là pour moi. Elle est mon ange gardien. Parmi la liste de choses que j’ai apprises au fil du temps, je sais que j’aurais dû demander de l’aide – ou aller en chercher – beaucoup plus vite après son décès. Trop longtemps, j’ai cru que j’allais être correct, que j’étais fait fort.
Aujourd’hui, j’ai une nouvelle vie. Une belle femme, depuis quelque temps, trois enfants et une sobriété depuis presque cinq ans. Merci, Nathalie, de m’avoir toujours aidé et guidé vers les droits chemins. Embrasse notre petit Anthony pour moi, ainsi que ta famille.
À quiconque lit ce texte, sachez qu’il est primordial d’obtenir de l’aide pour vivre avec le décès de vos proches, famille ou amis. Beaucoup de gens ne se relèveront jamais de cette expérience avec la mort ; c’est plus que fréquent. N’ayez aucune honte, allez chercher un accompagnement pour combler vos besoins et vous recentrer sur votre nouvelle vie. Vos anges gardiens vous accompagneront toujours.
Pour obtenir de l’aide avec le deuil :
Sylvain Simard est l’auteur du livre Le diable sur mon épaule, Performance Édition, 21,95$.

Photo : Avril Franco Photographe (Sylvain Simard)
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