On a beau les adorer, les dorloter, les entourer, nos enfants vivent du stress chaque jour. C’est que nos horaires – et les leurs – sont bien remplis! Dès leur entrée à la garderie, nos tout-petits se trouvent dans le feu de l’action: chaque jour, on les lève tôt pour les y emmener et ils y passent une dizaine d’heures dans le bruit et les consignes à suivre. De retour à la maison, c’est la course: on les nourrit avant de les mettre rapidement dans le bain, puis au lit. Plus tard, lorsqu’ils entrent à l’école, la pression monte encore: on leur demande de bien travailler, d’écouter, d’étudier, etc. Et quand la cloche sonne la fin de la classe pour qu’enfin ils aillent s’amuser… c’est la performance parascolaire qui prend le relais, car beaucoup de nos enfants sont inscrits à plusieurs activités en de- hors de l’école. Hockey, soccer, natation, cours de piano, de violon, de ballet, d’initiation aux échecs ou à une autre langue, autant d’occupations qui, aux yeux de nombreux parents, sont l’occasion de faire découvrir à leurs jeunes différentes habiletés qui devraient les aider dans l’avenir. Une idée très louable.
Cela dit, en demandons-nous trop à nos petits chéris? Des professionnels de la santé ont donné le nom d’«hyperéducation» à cette tendance qu’ont certains parents à inscrire leurs enfants à une foule d’activités. Née des meilleures intentions, cette façon de faire suscite tout de même des interrogations, puisque bon nombre de jeunes souffrent aujourd’hui d’épuisement et de dépression. Les horaires chargés et le stress de performance qu’on leur impose en seraient-ils responsables?
Le bénéfice des activités encadrées
Les cours parascolaires ont bien sûr de nombreux avantages: ils offrent la possibilité à notre enfant de se faire des amis à l’extérieur de l’école, ce qui est une bonne chose s’il a des difficultés d’intégration sociale; ils peuvent aussi l’aider à développer son estime de soi et lui permettre de découvrir un talent particulier; enfin, ils lui procurent une pause des écrans de télévision et d’ordinateur.
Par contre, en trop grande quantité, les activités parascolaires peuvent créer un sentiment de surcharge et de lourdeur chez certains, sur-tout s’ils sentent une pression de performance. Dans son horaire de la semaine (déjà étoffé), notre jeune a parfois de la difficulté à trouver des moments pour étudier, voir ses amis et s’amuser. L’activité peut alors devenir une obligation et une importante source de tension plutôt que l’occasion d’avoir du plaisir, de se détendre et de se sentir valorisé.
Comment savoir si c’est trop?
Il faut s’assurer que les activités n’interfèrent pas avec les autres sphères de la vie de notre enfant: école, études, temps en famille, vie sociale et loisirs. «Notre enfant doit avant tout maîtriser sa scolarité, et donc avoir le temps nécessaire pour faire ses devoirs, explique Claire Leduc, psychothérapeute et travailleuse sociale. Ensuite, il doit avoir du plaisir à faire son activité. S’il ne l’aime pas, on peut lui apprendre la persévérance et lui demander de terminer la session. Il pourra alors choisir une activité qui correspond mieux à ses préférences ou à ses talents à la session suivante. Pratiquer un sport à raison de deux fois par semaine, c’est suffisant pour la majorité des jeunes, sans quoi ils risquent de s’épuiser. Bien sûr, il y a des enfants très actifs qui ont besoin de bouger davantage. Et d’autres, surdoués, qui parviennent à étudier en peu de temps et qui ont assez d’énergie pour faire des activités plus souvent. Ce sont toutefois des exceptions. Si les enfants sont heureux, l’activité leur est bénéfique, car le plaisir ne cause pas de stress ni d’épuisement. Par contre, dès qu’ils trouvent ça difficile, il faut être à l’écoute.»
Du temps liiibre!
De nos jours, certains enfants sont si occupés qu’ils n’ont jamais le luxe de jouer ni de… s’ennuyer. Or, l’ennui est très formateur, car il incite à utiliser son imagination et sa créativité pour s’amuser seul ou avec d’autres.
Les avantages du jeu sont nombreux:
Développer la confiance en soi et l’autonomie. Parce qu’il ne se voit pas imposer de règles par des adultes, l’enfant peut faire preuve d’initiative et décider du jeu auquel il veut jouer. En prenant le contrôle de son environnement et des règles, il développe sa confiance en soi et son autonomie. «Le temps libre est important pour apprendre à être seul et autonome. Lorsque nos enfants participent à des activités encadrées, on leur enlève la possibilité de faire des choix», dit Katherine Frohlich, professeure titulaire au Département de médecine sociale et préventive à l’École de santé publique de l’Université de Montréal et chercheuse à l’Institut de recherche en santé publique de cette université.
Favoriser la créativité. Un enfant qui joue utilise son imaginaire pour créer. Ainsi, des bâtons de bois peuvent devenir des rails de chemin de fer, un drap peut se métamorphoser en tente, etc.
Faire de nouveaux apprentissages. Les enfants apprennent beaucoup les uns des autres, notamment à s’affirmer, à négocier, à résoudre des conflits et à contrôler leurs émotions et leurs impulsions. «Dans les activités encadrées, on n’apprend pas aux enfants à résoudre des problèmes, car tout est structuré pour eux par des adultes, incluant les relations qu’ils ont avec les autres enfants. Il faut des habiletés sociales pour résoudre des conflits, ce qui ne se déroule pas de la même façon quand les adultes sont présents», ajoute Katherine Frohlich. Claire Leduc est du même avis: «Lorsqu’ils participent à des activités structurées, les enfants apprennent bien sûr à entrer en contact avec plein de gens. Par contre, ils sont peu appelés à résoudre des problèmes affectifs. Ils deviendront des experts en relations publiques, mais n’auront pas acquis la capacité de gérer des relations intimes.»
Développer le jugement. «Un des paradoxes de notre société, c’est qu’on s’assure que les activités de nos enfants comportent le moins de risques possible de se blesser. Ce faisant, ils n’apprennent pas à prendre des risques calculés et à développer leur capacité à évaluer une situation périlleuse. Quand on “structure” les enfants, ils ne sont pas appelés à tester des choses par eux-mêmes et on porte atteinte à leur jugement physique et social. À l’âge adulte, ils pourraient se retrouver dans des positions dangereuses, parce qu’ils n’auront pas testé le risque et ne sauront pas le reconnaître», prévient Katherine Frohlich.
Avoir du temps pour jouer, rêver, se reposer et voir ses amis est donc essentiel au développement de l’enfant. «Les activités structurées prennent beaucoup de place maintenant dans l’horaire, ajoute Éric Lacourse, professeur titulaire au Département de sociologie à l’École de criminologie de l’Université de Montréal. Il faut cependant avoir le temps de se détendre, de réfléchir et d’observer. Quand tout est imposé, on ne fait pas ça. Vivre par obligation, c’est l’opposé de vivre par choix et ça crée de l’anxiété.» Claire Leduc renchérit: «Nos enfants ont tous des talents et ils doivent pouvoir trouver leurs propres champs d’intérêt. Pour cela, il leur faut du temps libre.»
Quand l’épuisement guette nos enfants
On a tort de penser que l’énergie de nos jeunes est inépuisable et facilement renouvelable. «Nous exigeons beaucoup de nos enfants, tant à l’école que dans les activités parascolaires, fait remarquer Katherine Frohlich. Il n’est pas étonnant que plusieurs souffrent de burnout. Sans compter qu’ils manquent leur vie d’enfant! On leur offre une vie bien trop chargée. On n’arriverait même pas à suivre ce rythme, mais, pourtant, on l’im-pose à nos jeunes». Éric Lacourse abonde dans ce sens: «Vivre dans un univers compétitif, ça génère du stress. Les enfants inscrits à plusieurs activités n’y échappent pas. En tant que parents, il faut se demander quelles sont nos intentions lorsqu’on fait ce choix. Est-ce leur désir ou le nôtre? Nos enfants s’adaptent-ils bien ou pas?» Selon Claire Leduc, il est important d’aider nos enfants à développer leurs talents, mais il faut user de jugement. «Si notre enfant n’est pas doué pour un sport, il ne faut pas penser en faire un athlète et l’épuiser en lui faisant suivre davantage de cours», dit-elle.
Si on se fie aux experts, le jeu libre, sans écran, est ce dont nos enfants ont le plus besoin. Et si on les laissait jouer un peu, maintenant?
Photo: Stocksy
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