Elles réécrivent les règles, redéfinissent le bien-être et prouvent que l’indépendance et l’autonomie sont de puissantes sources d’épanouissement personnel.
L’idée de cet article a germé en moi après avoir lu une publication Facebook apparue sur mon fil le 14 février dernier. Nellie Brière, conférencière et consultante en communications numériques et réseaux sociaux, écrivait qu’il y a plus de 10 ans, au terme d’une longue relation, elle avait fait le choix du célibat. Un choix pleinement assumé. Je me suis beaucoup reconnue dans son texte. Je n’étais pas la seule, d’ailleurs. Plein de femmes ont commenté cette publication où elle expliquait qu’elle ne remettait pas son choix en question même si, économiquement, tout est conçu pour la vie à deux et que, socialement, tout le monde s’inquiète beaucoup du fait qu’une personne soit célibataire.
Il faut dire que les modèles de femmes célibataires qu’on nous présentait jusqu’à récemment n’incitaient guère à plonger dans ce mode de vie. Entre la sorcière laide qui fait peur aux enfants, la folle qui héberge une trâlée de minous et la vieille fille aigrie, pas étonnant que la plupart des femmes choisissent d’embrasser quantité de grenouilles plutôt que d’adopter une portée de chatons !
Mais les choses commencent à changer. En 2019, l’actrice Emma Watson affirmait, dans une entrevue au magazine Vogue, qu’elle était contente d’être célibataire, «en couple avec elle-même». Les médias avaient fait grand cas de cette déclaration. Quoi ? Une fille de 30 ans qui prétend aimer être seule ? C’est louche…
Comme le souligne la créatrice de contenu Eve Martel, elle aussi célibataire par choix: «Oui, il y a encore des jugements par rapport à mon choix de vie. Certaines personnes se disent: “Si elle est seule, c’est parce qu’elle ne pogne pas” ou “Elle est trop difficile”. La vérité est plus simple: je suis mieux toute seule.»
Célibat 2.0: mise à jour
Longtemps, les études sur le sujet suggéraient que les gens en couple étaient plus heureux. De récentes recherches montrent plutôt que les personnes célibataires sont tout aussi heureuses et qu’elles s’accomplissent autrement. On tend maintenant à reconnaître que le célibat peut s’avérer une avenue à long terme.
Il est à peu près temps ! Aux États-Unis, le nombre d’adultes célibataires chez les 25-54 ans a augmenté de 10% au cours des 30 dernières années. Au Canada et au Québec, entre le quart et le tiers de la population serait célibataire. Des tendances similaires se dessinent dans d’autres pays. Selon Marie-Aude Boislard-Pépin, professeure au Département de sexologie et titulaire de la Chaire de recherche en sexologie développementale de l’UQAM, l’accroissement du nombre d’adultes célibataires constitue le plus grand changement démographique depuis le baby-boom.
Les constats de son projet d’étude Célibatisme – Notre rapport au célibat a-t-il changé ?* montrent que les personnes célibataires interrogées valorisent leur célibat. Certaines d’entre elles mentionnent notamment qu’elles se sentent mieux qu’avec une autre personne, qu’elles ont plus de temps pour voir des amis et faire des activités.
Assumer son célibat, c’est aussi revendiquer son droit à la solitude. Une liberté que les femmes n’ont acquise que récemment. Le couple n’est plus une priorité et il devient secondaire pour nombre d’entre elles, car ces célibataires ont d’autres projets. Elles aspirent à créer leur entreprise, à voyager, à profiter de la vie…
Femmes et célibat: un amour grandissant
Les déclarations de personnalités publiques comme Emma Watson favorisent une évolution des perspectives sur le célibat. Le fait d’offrir des modèles de référence différents de Bridget Jones, dont le bonheur dépend uniquement d’une relation amoureuse, permet aussi de remettre en question l’image d’un célibat subi plutôt que choisi.
Les clichés de la célibataire désespérée commencent (trèèèès) tranquillement à être remplacés par des images de femmes indépendantes et épanouies. On peut penser notamment à Samantha, dans Sex and the City, à Cristina Yang, dans Grey’s Anatomy, au film How To Be Single (Célibataire, mode d’emploi), aux livres Vieille fille, de Marie Kock, et The Unexpected Joy of Being Single, de Catherine Gray, au balado Sologamie, de la journaliste française Marie Albert. Même Disney, réputé pour sa vision traditionnelle des femmes, emboîte le pas, comme l’illustre la transformation de Blanche-Neige en une Reine des neiges indépendante. De telles évolutions aident les jeunes filles à s’affranchir du modèle de la «blonde parfaite».
De nombreuses femmes célibataires ne souhaitent pas forcément rester seules pour toujours, mais elles accordent la priorité à leur bien-être et à leurs amis plutôt qu’à la vie conjugale ou familiale. «On observe une évolution des valeurs, déclare Madeleine Pastinelli, professeure titulaire au Département de sociologie de l’Université Laval. La vie à deux implique des compromis et, dans notre société contemporaine, ces compromis sont souvent mal perçus. Nous vivons également dans une société plus centrée sur l’individu.»
Catherine Caron, 40 ans et célibataire depuis cinq ans, confirme cette vision. «Après 25 ans de vie conjugale et deux enfants, j’ai réalisé que je souhaitais me consacrer à moi-même, et ça occupe tout mon temps ! Je n’ai pas de place dans ma vie pour quelqu’un d’autre. J’ai adoré mes années vécues en couple, mais je suis passée à autre chose.» Pour sa part, Karine Caron Benoît, 35 ans, est célibataire depuis deux ans. «Le célibat est quelque chose que j’ai choisi et qui m’apporte une paix d’esprit. Je ne veux pas changer de mode de vie, dit celle qui revient d’un voyage en solo à Cuba. Pour moi, c’est le temps de faire les choses qui me tentent.»
La libération des femmes?
«Avant, j’avais toujours de la broue dans le toupet, j’étais la mère à boutte. Là, je me sens plus stable, plus calme. Même les enfants l’ont remarqué, affirme Catherine Caron. J’ai le temps de jaser autant que je veux avec mes amis. Ils et elles sont devenus ma deuxième famille.» Même son de cloche chez Nellie Brière: «En devenant célibataire, je me suis mise à m’intéresser à plein de sujets dont le féminisme, qui m’a beaucoup aidée à déconstruire les impératifs sociaux liés au couple.»
Quand on interroge les femmes concernées, la liberté semble souvent l’aspect le plus apprécié de leur mode de vie. «Mon célibat m’offre une autonomie complète que je chéris. Je ne suis redevable à personne, j’ai tout le temps nécessaire pour mener à bien mes projets professionnels et passer du temps avec mes amis», déclare Eve Martel.
Catherine Caron fait écho à ce sentiment d’indépendance totale: «Décider seule de ce que je veux manger ou de la déco sur les murs, choisir de ne rien faire durant une journée de congé, ça n’a pas de prix pour moi. Cette liberté que j’ai – même si j’habite dans un condo au lieu d’une maison, que je n’ai plus d’auto et que mon niveau de vie a diminué –, je ne m’en passerais plus.»
Parce que oui, le célibat coûte cher. En y adhérant, on est seule à payer les factures, à assumer les suppléments exigés quand on voyage en solo, à devoir habiter dans un plus petit logement et à réduire notre capacité d’épargne. Il y a aussi des moments où la solitude pèse davantage, on ne se le cachera pas. Les femmes interviewées dans le cadre de cet article affirment toutefois que lorsque ça leur arrive, elles se disent qu’il n’y a pas tellement de couples qu’elles envient et que, si chaque situation a ses moins bons côtés, elles préfèrent ceux du célibat.
J’ai passé trop de temps à tenter de satisfaire des hommes, m’efforçant d’être la blonde idéale, toujours prête à faire des compromis pour donner et recevoir de l’amour. - Nellie Brière
Le mythe du bonheur à deux
Aujourd’hui encore, assumer son célibat dans une société régie par des normes établies depuis fort longtemps n’est pas une mince affaire. On nous a inculqué très tôt le modèle traditionnel: faire des études, obtenir un emploi, rencontrer l’âme sœur vers 25 ans, se marier ensuite, puis avoir un premier enfant et acheter une maison avant 30 ans. Ceux – et surtout celles – qui dévient de ce parcours linéaire sont parfois jugés comme ayant vécu un échec. «Depuis notre plus tendre enfance, on nous a appris que les femmes rêvent du prince charmant. Or, le célibat s’oppose à cette image archaïque, ce qui peut déranger», souligne Carl Rodrigue, docteur en sexologie et professeur adjoint au programme Sexuality, Marriage and Family Studies à la St. Jerome’s University, en Ontario.
Les célibataires se heurtent souvent au «célibatisme», une forme de discrimination à l’égard de ces personnes, toujours perçues comme instables, narcissiques, égoïstes, voire indésirables. Notre société se montre plus indulgente envers ceux et celles qui ont vécu un divorce, une séparation ou un deuil. Mais même dans de tels cas, la question revient toujours: «Et toi, as-tu retrouvé quelqu’un?», comme si la seule manière de «refaire sa vie» était de reformer un couple.
«L’importance des liens non romantiques est souvent minimisée, ajoute Carl Rodrigue. Lorsqu’on parle des célibataires, on emploie souvent le terme “être seul”. Pour les couples, on dit plutôt “être en relation”. Comme si l’existence sociale était intrinsèquement liée à la vie de couple. On a tendance à penser qu’une personne célibataire est isolée, incomplète, en quête de sa “moitié manquante”.»
Un spectre de possibilités
Les personnes célibataires ne vivent pourtant pas d’emblée dans l’isolement. Elles ont souvent une famille, des amies, des copains, des connaissances (et plein de chats !). Pourquoi «avoir quelqu’un dans sa vie» devrait-il automatiquement signifier «être en couple romantique et sexuel»?
«Les amis fournissent un soutien social et émotionnel significatif, et les relations amicales profondes offrent une variété d’avantages pour la santé des femmes, surtout à mesure qu’elles vieillissent, signale Maude Painchaud Major, diplômée en sexologie et fondatrice de Sexplicite. Cependant, l’amitié est souvent perçue comme inférieure aux relations romantiques et au mariage, ou comme moins importante une fois qu’une relation amoureuse stable est établie.»
«Il existe peu de schémas qui offrent aux individus la possibilité de profiter d’une certaine intimité sans subir les contraintes et les attentes du couple, mentionne la sexologue Estelle Cazelais. Il serait utile de considérer le couple comme un continuum, avec le couple fusionnel à une extrémité et le célibat à l’autre. Les individus pourraient se déplacer le long de ce continuum et découvrir ce qui leur convient: mariage, cohabitation, couple vivant séparément, relation moins engagée, polyamour, célibataire avec ou sans liaisons, célibataire en colocation, amis et amies choisissant la coparentalité, etc.»
«J’ai passé trop de temps à tenter de satisfaire des hommes, m’efforçant d’être la blonde idéale, toujours prête à faire des compromis pour donner et recevoir de l’amour, raconte Nellie Brière. Et puis un jour, j’ai commencé à m’affranchir de ce pattern: pourquoi m’efforcer de rendre un partenaire heureux alors qu’il y a déjà tant de personnes autour de moi qui me tiennent à cœur et qui méritent toute mon attention, à commencer par moi ?»
Après tout, la relation qui devrait prioritairement importer dans notre vie, c’est celle que nous entretenons avec nous-même. C’est de là que provient le véritable bonheur… qu’on choisisse de rester célibataire ou de vivre en couple.
* Célibatisme – Notre rapport au célibat a-t-il changé ? Boislard, M.-A., Laplante, S., Millette, M., Roy, M. M. et Dussault, E., 2023.
Photo: Tabitha Turner/Unsplash
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