L’héritière a maintenant quatre ans. Depuis ses trois ans et demi, il est impossible de choisir ses vêtements pour elle. C’est non négociable! Elle fait ses propres choix vestimentaires. Donc, chaque matin, ma blonde et moi avons droit à ce que nous appelons la loterie du «look du jour»!
Il y a des jours où tout est parfait, mais il y a bien sûr les autres jours, ceux où ma blonde et moi, nous nous regardons en essayant de ne pas éclater de rire. Il y a aussi ceux où nous avons envie de l’envoyer à la garderie avec une pancarte au cou portant l’inscription: «Notre fille a choisi elle-même son habillement. Nous n’avons rien à voir là-dedans. SVP, n’appelez pas les services sociaux!»
Depuis quelques semaines, l’héritière a commencé à nous demander si nous aimions ce qu’elle portait. Au début, on lui répondait toujours. Puis, un matin, j’ai arrêté de lui donner mon avis. Je lui ai plutôt demandé: «Toi ma belle, aimes-tu ça?» Elle a dû être déçue de ma réponse, puisqu’elle a alors arrêté de me poser la question. Et c’est parfait comme ça! Je veux qu’elle choisisse sa tenue parce qu’elle l’aime, pas parce qu’elle pense que c’est ce que nous aimerions qu’elle porte.
J’ai remarqué quelque chose d’extrêmement beau chez mes enfants: ils agissent souvent comme s’ils étaient sur une île déserte. Ils ont l’air d’être seuls au monde et se comportent comme s’il n’y avait aucun regard posé sur eux. Comme s’il n’y avait que leurs goûts, leurs envies, leurs rêves qui importaient. Dans ces moments-là, je les regarde avec un mélange d’admiration et de jalousie. Si seulement ils savaient à quel point ils ont raison!
Mon gars joue avec des poupées parce qu’on n’a jamais souhaité lui «apprendre» que les camions sont faits pour les gars, et les poupées, pour les filles. Il m’arrive aussi de faire des commissions avec ma fille habillée d’un tutu de danse parce que c’est ce qu’elle avait envie de porter ce jour-là.
L’espace d’un instant, je les vois et je les observe sur leur île. Une île pleine de couleurs, d’air frais, de liberté, où rien n’est encore catalogué ni étiqueté.
Pour moi, c’est exactement ça, oser être soi-même: agir comme on le ferait si nous étions à l’abri du regard et des jugements des autres. J’en suis le premier conscient. Parfois, elle est bien loin notre île! Et le chemin pour s’y rendre est parsemé d’orages, de turbulences, de doutes, de questions, de peurs, d’angoisse.
Je regarde mes enfants et je sais que c’est inévitable. Un jour, en vieillissant et en jouant avec leurs amis, ils quitteront de plus en plus souvent leur île pour tenter de plaire aux autres, pour ne pas faire rire d’eux ou simplement par peur des réactions des gens. Et je sais, plus que jamais, en quoi consiste mon travail de papa: protéger leur île de toutes mes forces!
C’est le travail d’une vie. Notre île va changer en fonction du temps qui passe, de nos rencontres, de nos épreuves. C’est justement pour ça que c’est important de choisir les gens qui y auront accès. Cette île est précieuse. Invitez-y seulement ceux et celles qui veulent en prendre soin et vous accompagner. Refusez l’accès à ceux qui veulent la modeler, la transformer ou la changer. Ils sont souvent animés par leurs propres peurs et leurs propres insécurités. Et, bien honnêtement, on a bien assez des nôtres.
Mon île, je n’y séjourne pas aussi souvent ou longtemps que je le voudrais, mais j’en suis de plus en plus conscient et j’y travaille de plus en plus fort.
Et vous, elle est comment, votre île déserte?
Pierre Hébert est un humoriste, auteur et acteur québécois. Pour plus d’information, on visite le site pierrehebert.ca.
Photo: Martin Girard
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