Depuis le 25 mai, les images de l’interpellation de George Floyd et des manifestations contre le racisme circulent partout, et les discussions sur les différences ethniques se multiplient. «Comme parent, on a souvent tendance à trop protéger les enfants, mais ils savent beaucoup de choses», croit Boulou Ebanda de B’Béri, professeur au département de communication de l’Université d’Ottawa. Pour amorcer la discussion, il conseille de demander à l’enfant «de mettre des mots sur ce qu’il a vu, ce qu’il a compris, ce qu’il a ressenti», afin d’adapter le contenu de l’échange en fonction de son âge et de sa capacité de compréhension.
Pour Fabrice Vil, coach et entrepreneur social, cofondateur et directeur général de Pour 3 points, «le plus important, avec les plus jeunes enfants, ce n’est pas de parler du décès de George Floyd, mais plutôt de parler de l’appréciation des différences entre humains et des injustices.». Il insiste sur l’importance de savoir comment l’enfant vit avec ces différences, qu’elles soient liées au genre, à la grandeur, à la couleur de la peau ou aux origines. «Si le jeune restitue un stéréotype entendu à l’école, à la télévision ou même à la maison, le parent aura l’opportunité de déconstruire les préjugés», souligne-t-il, «et avec les plus vieux, on pourra aborder spécifiquement le racisme».
Briser les tabous
«Je ne fais aucune distinction raciale. Je ne vois pas la race et mes enfants non plus», entend-on parfois. Si la tentation du déni peut exister, pourquoi est-il important de la dépasser? «Le but, c’est de se voir les uns les autres et de travailler ensemble dans une perspective commune, sinon on ne sera pas capables de voir les problèmes et de les adresser», répond Fabrice Vil, ajoutant que faute d’aborder clairement les choses, les parents ne pourront pas transmettre leur vision à leurs enfants.
Comment faire si l’on est soi-même ébranlé par ce que l’on voit dans les médias? « Si le sujet vient vous chercher, partagez ce que vous ressentez», encourage Boulou Ebanda de B’Béri. «Mais il faut sortir des sentiers battus, sortir des non-dits», insiste-t-il. Cela semble d’autant plus nécessaire qu’une récente étude menée par Sandra Waxman, boursière associée du CIFAR, démontre que des enfants d’à peine quatre ans peuvent manifester des préjugés racistes et sexistes.
Miser sur l’éducation
C’est à travers l’éducation que l’on peut amener les enfants à faire preuve d’ouverture et d’esprit critique, deux qualités essentielles aux yeux de Fabrice Vil. «Être en mesure de reconnaitre ses émotions, de montrer une ouverture à l’autre, c’est le fondement de la relation à soi et aux autres», détaille-t-il, «et l’esprit critique permet de réfléchir, de poser des questions et de ne pas prendre les stéréotypes comme vérité absolue». Boulou Ebanda de B’Béri insiste sur l’importance de développer l’empathie, c’est-à-dire «la capacité à se mettre dans les chaussures de ceux qui vivent le racisme au quotidien».
Ce devoir d’éducation s’applique aux jeunes, mais aussi aux adultes. «C’est important que le parent lui-même se pose des questions sur sa compréhension des enjeux liés au racisme», affirme Fabrice Vil. Il les encourage à «s’inclure de façon vulnérable», «modéliser le droit à l’erreur», et «se mettre en position d’apprentissage avec les enfants». Ce n’est pas parce qu’on est parent qu’on est omniscient!
Selon Boulou Ebanda de B’Béri, l’éducation c’est aussi «sortir marcher avec nos enfants en solidarité pour ceux qui souffrent, pour la justice sociale». Il rappelle qu’il est essentiel d’assurer «une visibilité de la représentativité dans toutes les sphères de la société, sans jouer le jeu de la reconnaissance symbolique», pour faire tomber les barrières. Le professeur milite aussi pour une réécriture de l’histoire du Canada: «L’histoire est fondamentale pour la continuation de la société. Il faut savoir d’où nous venons, pour déterminer comment construire notre futur».
S’appuyer sur de l’information de qualité
Pour servir de base à la conversation, on peut se procurer des livres proposant des modèles inspirants, sans oublier les histoires qui mettent la diversité de l’avant.
Le chemin de Jada, par Laura Nsafou et Barbara Brun. Jumelles, les héroïnes ont pourtant une couleur de peau différente. Un album sur la sororité, la tolérance et l’acceptation de la différence. Dès 3 ans.
Pain Doré, de Kari-Lynn Winter, illustré par François Thisdale et traduit par Nicolas Aumais. Un album racontant l’histoire d’une petite fille qui s’affirme dans l’adversité, et qui parle de nos différentes couleurs de peau de façon poétique et savoureuse. Dès 4 ans.
De petite à grande – Rosa Parks, par Lisbeth Kaiser, illustré par Marta Antelo et traduit par Françoise Major. Pour en savoir plus sur l’histoire d’une figure de la lutte contre les discriminations raciales. Dès 5 ans.
I have a dream – 52 icônes noires qui ont marqué l’histoire, de Jamia Wilson et Andrea Pippins. Pour découvrir des militants, des scientifiques, des sportifs, des artistes au parcours exceptionnel qui ont marqué l’histoire. Dès 8 ans.
Le racisme expliqué à ma fille – vingt après : ce qui a changé, par Tahar Ben Jelloun. Un question-réponse sans pudeur entre un père et sa fille autour du racisme. Dès 9 ans.
Enfin, avec des enfants de plus de 10 ans, on peut visionner le documentaire Briser le code, qui montre comment les personnes racisées et autochtones ont encore un code à suivre pour éviter le plus possible d’être discriminées, aujourd’hui au Québec.
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Photo: Getty