Des jeunes et des aînés sous un même toit

cohabitation-intergenerationnelle
16 Sep 2022 par Annie St-Amour
Catégories : Famille / MSN / Véro-Article
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La situation critique dans les CHSLD durant la première vague de la pandémie en a incité plusieurs à réfléchir sur la façon et l'endroit où ils aimeraient vieillir.

L’une des options qui fait jaser: la cohabitation intergénérationnelle entre aînés et jeunes étudiants.

L’initiative a vu le jour avant que la COVID déferle sur la planète, mais elle a été mise en veilleuse jusqu’à ce que l’autorisation soit donnée pour relancer l’appel de candi­datures. Profil recherché: étudiant de niveau collégial maîtrisant le savoir-­vivre, prêt à s’engager dans une expérience de cohabitation en résidence pour personnes âgées en échange de bénévolat.

La formule n’est pas nouvelle au Québec. Les résidences Les Marronniers, à Trois­-Rivières, et La Roseraie, à Sainte­-Foy, sont des pionnières à cet égard, offrant ce type d’hébergement à des étu­diants depuis 2017. Le logement est gratuit et les repas sont fournis, moyennant de 8 à 10 heures de bénévolat par semaine.

L’importance de bien s’outiller

Ce qui distingue toutefois l’expérience de cohabitation intergénérationnelle que pilote le Centre collégial d’expertise en géronto­logie (CCEG) du Cégep de Drummond­ville, c’est qu’elle sera documentée. Le CCEG est un centre de recherche spé­cialisé ayant pour mandat d’exercer des activités de recherche appliquée, d’aide technique et de formation­-information; il est l’un des 59 centres collégiaux de transfert de technologie (CCTT) en activité au Québec.

Ce projet, qui bénéficie de l’appui financier du Secrétariat de la jeunesse, repose sur un partenariat avec le Centre d’hébergement Saint­-Joseph et le Centre d’hébergement de Nicolet. Nathalie Mercier, la directrice du CCEG­CCTT, souligne qu’il n’existe pas, à l’heure actuelle, de données probantes sur le concept de cohabitation intergénérationnelle dans les résidences pour personnes âgées. Qu’est­-ce qui fonctionne? Qu’est­-ce qui ne fonctionne pas? On ne le sait pas. D’où la nécessité de documenter le processus, de développer des outils et d’évaluer la démarche, pour ensuite les faire rayonner vers d’autres résidences pour personnes âgées.

Ces outils comprennent entre autres un guide d’accueil et d’intégration à l’intention des étudiants un genre de «manuel de la maison» où sont consignées les instructions, comme on en voit dans les Airbnb, ainsi qu’une trousse d’accompagnement destinée aux directeurs de résidences. Dans celle-ci, point de recettes toutes faites. «Le but est plutôt d’amener des pistes de réflexion favorables au développement de projets semblables et de faire en sorte que des outils existent, explique la gérontologue Julie Castonguay, chercheuse au CCEG. Souvent, c’est un incitatif. Les gens se disent : “Pourquoi pas ? ” Il va falloir attendre quelques mois par la suite pour mesurer tous les effets, mais grâce à cette expérience, on va pouvoir vérifier qualitativement les retombées, à la fois pour les jeunes adultes, pour les résidents et les employés de la résidence.»

 

cohabitation-intergenerationnelle-echecBâtir une relation significative

La mixité des générations a du bon, ça, on le sait. Et en considérant la longue liste d’avantages de ce type de cohabitation, on comprend facilement qu’il s’agit d’un choix gagnant-gagnant pour chacun. Du point de vue de l’étudiant, «ça lui enlève la pression financière d’avoir à se loger et à se nourrir, tout en lui offrant un milieu de vie propice aux études, explique Julie Castonguay. Ça permet aussi d’amener de la vie au sein de la résidence, d’y recréer un tissu social et d’en faire un lieu plus inclusif et accueillant pour ceux qui choisissent d’y vivre.»

En plus d’augmenter la persévérance scolaire et de multiplier les occasions d’engagement bénévole pour les étudiants, la cohabitation favorise le dialogue entre les générations, contribuant ainsi à déconstruire les idées préconçues envers les aînés et à mieux faire connaître le milieu dans lequel ils vivent.  «C’est une belle façon de valoriser les formations professionnelles et techniques auprès des aînés et d’aider le secteur qui fait face à une pénurie de main-d’œuvre», ajoute Nathalie Mercier.

Pour les résidents, ça représente une belle occasion de côtoyer de jeunes adultes, un privilège dont la pandémie les a quelque peu privés. Nul besoin de boule de cristal pour prédire que ces échanges seront les bienvenus. Dans le même ordre d’idées, mentionnons que la cohabitation intergénérationnelle contribue à briser non seulement l’isolement que vivent les personnes âgées, mais aussi les jeunes qui, souvent, débarquent dans un nouveau milieu pour poursuivre leurs études. «Quand on est isolé, on désapprend à interagir avec les gens, observe Julie Castonguay, chercheuse au CCEG. Ça entraîne des effets sur le plan cognitif. Par exemple, ne pas avoir suivi une conversation depuis longtemps ralentit le traitement de l’information. Les bénéfices liés à la participation sociale – entretenir des liens en fait partie – sont prouvés en matière de santé, tant physique que mentale et cognitive.»

Ça permet d’amener de la vie au sein de la résidence, d’y recréer un tissu social et d’en faire un lieu plus inclusif et accueillant pour ceux qui choisissent d’y vivre. - Julie Castonguay, chercheuse au CCEG

Un mur à faire tomber

Faire cohabiter étudiants et aînés est quelque chose qui se pratique depuis un bail en France. Et pas seulement dans les résidences de personnes âgées, mais aussi au domicile du sénior qui choisit de vieillir chez lui. Là-bas, le réseau ensemble2générations, fondé en 2006, répond à des problèmes sociaux dont la solitude et la précarité financière chez les aînés et les étudiants et propose des options de cohabitation et des formules adaptées, sécuritaires et suivies en permanence.  Lorsqu’un jumelage est fait, on parle de binôme. En l’espace de 10 ans, plus de 5000 binômes ont ainsi été créés.

Inspiré de cette association européenne, combo2générations a vu le jour à Montréal en 2017. À sa tête, une belle mère et sa bru, pour qui le partage entre générations est précieux. Cela dit, si le réseau français connaît un réel succès, son pendant québécois, relativement nouveau dans le paysage, tarde à se faire connaître auprès des personnes âgées. Et force est de constater qu’entre eux et les étudiants, le déséquilibre des offres est flagrant. «La demande est forte chez les jeunes, mais on a de la difficulté à recruter des aînés, confie Denise Tessier, cofondatrice de c2g. C’est dommage, parce que j’ai plusieurs étudiants sérieux et pleins de bonne volonté qui sont inscrits et je n’ai pas de place pour les loger.»

Un peu d’aide au quotidien, un complément de revenu pour aider à payer le loyer et de la compagnie: voilà en gros ce que cherchent les gens âgés qui font appel au service de jumelage proposé par combo2générations. «Les aînés qu’on rencontre n’ont pas besoin de beaucoup de services, précise Mme Tessier. Ce qu’ils veulent surtout, c’est pouvoir converser et compter sur une présence le soir et la nuit, si jamais il leur arrivait quelque chose.»

Comment réussir le match parfait? «On regarde plusieurs facteurs, dont la distance qui sépare l’établissement d’enseignement que fréquentera l’étudiant et le quartier où loge la personne aînée. On sonde aussi les intérêts de chacun. J’ai une dame qui m’a demandé de lui trouver quelqu’un aimant la musique comme elle, encore mieux s’il joue du piano! Elle en a un chez elle où la personne pourra s’exercer. Je lui ai trouvé la perle rare…»

Reste maintenant à convaincre les aînés que la colocation avec des étudiants est une option à considérer et qu’il y a beaucoup de plaisir à retirer du dynamisme qu’apporte la jeunesse. Et si on lançait la conversation… et qu’on ouvrait la porte à cette idée?

 

Lecture à l’ordre du jour

livre_vivre_autrementSaviez-vous que seulement 10 % des projets de cohabitation voient le jour? Qu’est-ce qui explique un taux d’échec aussi élevé? Comment démarrer et assurer le succès de l’initiative? Entre l’amitié et les valeurs partagées, que devrait-on privilégier?

Dans Vivre autrement Écovillages, communautés et cohabitats, l’autrice Diana Leafe Christian raconte son expérience et propose des outils pour concrétiser un projet d’habitation partagé.

Les Éditions Écosociété, 32 $

 

Projets existants et en cours 

La cohabitation intergénérationnelle ne se limite pas au seul profil aînés étudiants ; elle concerne aussi les familles, de plus en plus nombreuses à s’intéresser à ce concept né au Danemark à la fin des années 1960.

Cohabitat Québec, qui réunit une quarantaine de ménages, est le premier du genre au Québec, et un modèle d’habitation semblable est en cours de réalisation à Montréal. Ainsi, l’Espace-Co pourrait bien être le premier projet du genre à voir le jour dans la métropole.



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