L’actuelle génération de parents, bien informée (d’aucuns diraient surinformée) et très consciente (d’aucuns diraient trop) des bénéfices de la stimulation tous azimuts sur le développement de sa progéniture, se tourne souvent vers une multiplicité d’activités et d’interactions sociales afin d’assumer pleinement son rôle… Enfin, tout ça, c’était jusqu’à il y a quelques mois. Avant que la COVID-19 débarque et vienne brouiller les pistes. Parce qu’il y a eu l’école qui a fermé, les séances de jeux entre amis annulées, les cours de karaté et de natation reportés. La routine s’est assouplie, le réveil a arrêté de sonner, les repas n’ont plus systématiquement eu lieu aux mêmes heures. Puis, il y a eu l’ennui, la frustration. Et le temps d’écran… oh, tout ce temps d’écran!
Vive l’enfance libre?
Soudainement, l’enfance de nos enfants a drôlement changé de rythme. Par moments, ça nous a un peu rappelé l’enfance qu’on a nous-même vécue, il y a quelques décennies, avec nos jeux improvisés dans la cour, nos dessins animés regardés pendant des heures et tout ce temps libre à meubler. Quelque chose de plus familier qu’il n’y paraissait, tout compte fait.
Est-ce à dire que, malgré toutes les épreuves que la pandémie a entraînées, la routine familiale a pu, contre toute attente, avoir été bonifiée? La psychologue Nadia Gagnier est de cet avis: «Tout dépend évidemment du contexte, car tout le monde n’a pas vécu la même pandémie. Certaines familles ont connu des deuils et de grands stress. Néanmoins, dans de nombreuses autres familles, il y a eu un ralentissement des activités. Je pense que les adultes qui auparavant entraînaient un peu leurs enfants dans la spirale de la performance ont été forcés de ralentir et de relâcher la pression.»
La psychoéducatrice Stéphanie Deslauriers abonde dans le même sens: «En mai, j’ai demandé à mes abonnés sur Facebook ce qu’ils appréciaient le plus de leur vie familiale en confinement, et la majorité d’entre eux ont répondu être heureux de passer plus de temps avec leurs enfants qu’en temps normal, avec l’école, les activités parascolaires, les horaires chargés…»
Quand on sait que le jeu libre et l’ennui ont des effets bénéfiques sur l’autonomie et l’imagination des jeunes (plusieurs études l’ayant démontré), il est vrai que ces agendas soudainement épurés ont pu leur donner envie de se réjouir… enfin, jusqu’à un certain point.
Selon un sondage de l’Institut Angus Reid mené en mai dernier, 71 % des répondants âgés de 10 à 17 ans ont dit que l’ennui avait été leur émotion dominante durant le confinement. «Quand on parle d’un ennui profond, c’est toutefois plus problématique, souligne Nadia Gagnier. On sait qu’à l’adolescence, c’est super important d’élargir son cercle social, car on a besoin de se sentir aimé par d’autres personnes que nos parents. Résultat: durant le confinement, des parents se sont étonnés de voir leurs ados redevenir soudainement accaparants, leur quémandant de nouveau des câlins et des bisous, afin de pallier une certaine insécurité.»
Et l’école, dans tout ça?
Le fait de ne pas avoir fréquenté l’école pendant presque six mois pourrait-il avoir des répercussions à moyen ou à long terme sur nos jeunes? «Si l’enfant a vécu cette période dans un climat où il se sentait rassuré par ses proches, les choses devraient bien se passer», estime Christine Grou, présidente de l’Ordre des psychologues du Québec. En ce qui concerne les enfants anxieux, dépressifs ou avec des troubles neurodéveloppementaux, plusieurs parents ont sans doute dû choisir leurs combats et prioriser la santé mentale de leur enfant aux dépens de la consolidation des acquis scolaires. «Mais au terme de ces six mois confinés, la santé mentale de l’enfant sera beaucoup plus importante que ses apprentissages, qui pourront se rattraper de toute façon.»
Selon la psychologue Julie Leclerc, professeure au département de psychologie de l’UQAM, qui dirige une étude sur les effets du confinement sur la santé mentale des jeunes Québécois de 6 à 17 ans (grandirpendantlapandemie.ca), «l’annulation des rituels de fin d’année scolaire et le fait de ne pas avoir pu dire au revoir à son enseignante en bonne et due forme pourrait peut-être avoir un impact sur le rapport des enfants avec l’école… Par ailleurs, chez les enfants qui présentent un trouble d’anxiété, il est possible que des stratégies d’évitement aient été mises en place pendant la pandémie pour leur éviter des stress inutiles. Le cercle vicieux, ici, c’est que le retour à l’école pourrait s’avérer particulièrement anxiogène pour eux.»
À l’approche de la rentrée, la chercheuse sonde des élèves de toutes les régions de la province pour savoir comment ils traversent cette période. «Ce qu’on veut notamment mesurer à long terme, c’est si les jeunes vivront – ou non – un désengagement par rapport à l’école et si une hausse du décrochage pourrait être observable. Parce que si une telle situation se présentait à nouveau, même si on ne le souhaite pas, on serait en mesure de formuler des recommandations précises pour le bien-être des enfants.»
Les satanés écrans
Dans les familles où les deux parents ont dû continuer à travailler sans relâche (parfois même en milieu à risque), tout ce temps nouvellement libre ne s’est, hélas, pas forcément traduit en temps de qualité passé à humer les fleurs et à courir pieds nus dans l’herbe avec leurs bambins dans les prés. Il s’est parfois accompagné d’une incessante culpabilité de devoir laisser les enfants devant la télé, la tablette ou les jeux vidéo pour meubler leurs journées. Cela dit, pas de panique! On n’a pas pour autant bousillé nos petits en dépassant les recommandations de temps d’écran, estime Stéphanie Deslauriers: «Gardons en tête qu’il s’agissait d’une situation temporaire et transitoire! C’est important de se le rappeler pour éviter de dramatiser ou de culpabiliser.»
«Avant la crise, on a beaucoup diabolisé les écrans, déplore Nadia Gagnier. Et puis soudain, c’est drôle mais ils nous ont été d’un grand secours! On les a utilisés pendant la pandémie pour se divertir, maintenir nos liens sociaux, travailler, poursuivre les apprentissages… Je pense que ce n’est pas une mauvaise chose qu’on apprenne maintenant à développer un regard plus nuancé par rapport à ces outils-là.»
En fait, s’il y a une chose que les parents devraient retenir de cette crise, c’est d’avoir de la compassion pour eux- mêmes, croit Christine Grou: «Non seulement ce n’est pas grave d’avoir parfois laissé les petits quelques heures devant la télé pour réussir à traverser certaines journées plus difficiles, mais c’est par ailleurs impossible de ne jamais avoir perdu patience pour quiconque a jonglé à la fois avec l’école à la maison, le travail et les enfants! Alors, pardonnez- vous. Et si vous expliquez aux enfants que vous avez parfois perdu patience non pas à cause d’eux, mais bien à cause de la situation, ils seront indulgents à leur tour et n’en seront pas affectés.» Peut-être même que le canal de communication se sera élargi au passage et qu’on aura appris à mieux exister les uns avec les autres, à s’exprimer plus adéquatement…
«Le psychiatre Carl Gustav Jung écrivait: “Les crises, les bouleversements et la maladie ne surgissent pas par hasard. Ils nous servent d’indicateurs pour rectifier une trajectoire, explorer de nouvelles orientations, expérimenter un autre chemin de vie.” Alors si les derniers mois ont été difficiles pour les familles, je pense sincèrement qu’on saura en tirer du bon et apprendre de tout ça», conclut Christine Grou.
Des ressources pour parents et enfants
Ligneparents
1 800 361-5085 ligneparents.com
Tel-aide
514 935-1101 telaide.org
Tel-jeunes
1 800 263-2266 teljeunes.com
Jeunesse, j’écoute
1 800 668-6868 jeunessejecoute.ca
«On n’oublie pas non plus les programmes d’aide aux employés, trop souvent sous-utilisés, qui donnent accès à un accompagnement entièrement confidentiel; les cliniques de psychologie universitaires, qui offrent leurs services à prix modique; et aussi le service Info-Social, au 811», rappelle la psychologue Nadia Gagnier.
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Photos: Ketut Subiyanto / Pexels