Fleuristes de famille

Fleuristes de famille
31 Juil 2023 par Caroline Décoste
Catégories : Environnement / Famille / MSN / Véro-Article
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Leurs entreprises ont des noms poétiques comme Floramama ou Pastel. Derrière l’image idéalisée de champs fleuris à perte de vue se dévoilent quatre entrepreneures qui plongent leurs pieds dans la boue pour vivre de leur rêve : la floriculture.

Au téléphone (distance oblige), Chloé, Geneviève, Alexandra et Ora-Maggie ont du soleil dans la voix, même si nous sommes encore en mars sous la neige. Je les sens excitées d’amorcer une nouvelle saison. Et chaque fois que je mentionne le nom d’une autre floricultrice, les mêmes bons mots fusent. «On se connaît toutes, mais pas toujours en vrai ! s’exclame en riant Alexandra, de l’atelier floral Alex à la campagne. On s’est réunies dans un groupe Facebook pour se soutenir. On a toutes nos façons de faire différentes, mais on s’entraide énormément.» Cette «sororité florale» est née d’un besoin commun de faire connaître la très jeune industrie de la fleur coupée locale. 

L’appel des champs

À l’image du café et du féminisme, on peut distinguer trois «vagues» dans la floriculture. D’abord celle des pionnières, comme Origine Fleurs, Pivoines Capano et Chloé Roy, de Floramama, qui s’est lancée en 2014, alors qu’il n’y avait aucun modèle du genre au Québec. «Le fait que rien n’existait ici m’a motivée», explique celle qui avait déjà une certaine expérience en culture maraîchère. «L’innovation me stimule, dit-elle. J’étais sûre que ce projet allait être “florissant”!» Puis, il y a cinq ou six ans, une vingtaine de fermes florales ont émergé d’un coup. Et depuis la pandémie, c’est au-delà d’une centaine de fermes qui se sont établies dans plusieurs régions du Québec. Qu’est-ce qui peut bien pousser autant de femmes (très majoritaires) à quitter la ville pour ce retour à la terre nouvelle version ?

Leurs histoires diffèrent, mais le mot «lenteur» revient souvent dans leurs propos. Pour Alexandra et son conjoint, c’est un trop-plein d’ordinateur et l’appel de la nature qui ont motivé leur déménagement à Magog. «J’étais rédactrice depuis presque 10 ans, mais je n’étais pas passionnée par mon travail. Je me suis alors souvenue de mon rêve d’enfance de devenir fleuriste et j’ai suivi un cours de fleuristerie. En achetant une terre dans un but d’autosuffisance, on avait soudainement l’espace nécessaire pour ça.»

Geneviève Robert n’avait pas non plus un profil d’agricultrice avant de fonder Fleurs La Garance avec sa sœur Marie-Hélène. «On travaillait en communication ! s’esclaffe la productrice. J’avais deux enfants à l’époque et je n’en pouvais plus du rythme effréné du travail, de la course à la garderie. Ç’a entraîné beaucoup de discussions sur le sens de la vie.» Depuis, sa marmaille est passée de deux à quatre, et sur son compte Instagram, entre des photos de magnifiques bouquets, on aperçoit ici et là des enfants gambadant dans la nature et mettant parfois la main à la terre.

 

Fleuristes de famille

Geneviève Robert, productrice propriétaire de la ferme florale Fleurs La Garance, à Neuville, avec sa fille.

 

Pour sa part, après une maîtrise en travail social, Ora-Maggie Beaulieu-Pelletier est partie, sur un coup de tête, cueillir des cerises en Colombie-Britannique. Celle qui a grandi dans une grande ferme de culture bio découvre là-bas la floriculture à petite échelle. «Dans ma tête, avoir une ferme, ça voulait dire conduire des machines; ça ne me parlait pas du tout. Mais sur l’île de Salt Spring, j’ai vu l’effet des fleurs locales sur les gens. C’est aussi là que Skot et moi, on est tombés amoureux ! » Son conjoint anglophone, qui parlait déjà assez bien français, l’a convaincue de s’établir à Grand-Métis, près du village natal d’Ora-Maggie. «Pour fonder une famille, ça nous semblait évident qu’on aurait besoin de soutien. On a pris le pari qu’on allait vivre de Ferme Pastel, dans ce climat très nordique.»

 

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Les bottes dans la bouette

Voilà un portrait plutôt romantique, non ? Ora-Maggie pouffe de rire, car derrière les photos léchées des comptes Instagram, la réalité des fermes florales est celle de n’importe quelle ferme maraîchère. «On ne parsème pas de la poussière de fée, vêtues de jupes en lin ! On a des bottes de rubber, de la terre dans la face, pis on soulève des pelles pendant 12 heures ! La beauté de ça, c’est qu’on porte tous les chapeaux: celui de la plomberie le matin, des semis l’après-midi et des réseaux sociaux durant la pause.» Même son de cloche chez Chloé la pionnière, établie à Frelighsburg: «Oui, ça demande un peu plus physiquement, mais y a-t-il un emploi qui n’est pas difficile ? À mes yeux, ce n’est pas plus exigeant, peut-être parce que j’aime beaucoup mon travail !» Si la tentation est forte de partir en road trip pour admirer leurs champs fleuris, là encore, on aurait une surprise. «Les gens nous disent: “Ah, les tulipes, ça doit être tellement beau !” Mais les tulipes, on les coupe avant la floraison !» explique Geneviève. Tannée de refuser des visites («Je leur disais d’aller voir les Jardins de Métis, à côté !»), Ora-Maggie a lancé l’idée d’un bar à fleurs. Pendant deux heures, le vendredi, les visiteurs sont invités à créer leur propre bouquet avec des fleurs cueillies le matin même et qui s’amoncellent sur le comptoir. «Les enfants jouent dans le carré de sable, il y a de la musique, les gens jasent. On nous dit qu’à ce moment-là, le temps s’arrête…» 

Dans ma tête, avoir une ferme, ça voulait dire conduire des machines ; ça ne me parlait pas du tout. Mais sur l’île de Salt Spring, j’ai vu l’effet des fleurs locales sur les gens. C’est aussi là que Skot et moi, on est tombés amoureux !

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Ora-Maggie Beaulieu-Pelletier et son conjoint Skot, producteurs propriétaires de la ferme florale Ferme Pastel, à Grand-Métis.

La politique du slow flower

Lisianthus, craspédia, narcisses, renoncules et même eucalyptus: les variétés, vivaces ou annuelles, cultivées ici vont de la plus connue à la plus surprenante. «J’adore les pavots pour leur poésie; ils poussent un peu tout croche et ça me fait craquer !» avoue Chloé. Cela dit, l’idéal pour assurer une certaine rentabilité toute l’année, c’est de miser sur les fleurs séchées. Comme Fleurs La Garance, qui offre de beaux bouquets séchés à l’automne et durant l’hiver, histoire de patienter jusqu’à la floraison suivante. «Quand les fleurs fraîches reviennent, ça ferme la boucle, comme quand on attend les fraises en été!»

Pour les floricultrices, comme on l’a fait pour privilégier les fruits et légumes du Québec, on doit désormais appliquer le même principe aux fleurs. «C’est aberrant de penser qu’une fleur peut arriver par avion et être pleine de produits chimiques», affirme Alexandra. S’il y a une chose que la pandémie a améliorée dans ce domaine, c’est quand le bris dans la chaîne d’approvisionnement a mis en lumière l’incroyable trajet des fleurs importées: la plupart parcourent autour de 6000 km avant d’atterrir dans un vase sur notre table de cuisine ! Et c’est sans compter les dizaines de pesticides dont elles sont arrosées, un péril autant pour la biodiversité que pour la santé des travailleurs et travailleuses qui entrent en contact avec ces produits chimiques.

Toutes les floricultrices qui témoignent dans cet article s’accordent pour dire que les clients et les fleuristes sont de plus en plus conscientisés à l’existence des fleurs locales et à leurs moindres impacts sur l’environnement. «Je suis contente de savoir qu’on s’intéresse au vivant, parce que la nature, ça fait partie de nous !», se réjouit Chloé. Le commerce des fleurs a cependant ses exigences et ses méthodes qu’il peut être ardu de révolutionner d’un coup. «Je me concentre sur les fleuristes et les clients qui veulent faire partie du changement, je crois qu’il y a un marché pour les deux», estime Geneviève.

 

Fleuristes de famille

Ora-Maggie Beaulieu-Pelletier, de la Ferme Pastel.

 

Maintenant, il reste à appuyer politiquement cette nouvelle industrie. «On a lancé le mouvement “Des fleurs qui changent le monde” parce qu’on voudrait que l’agriculture soutenue par la communauté (ASC) le soit vraiment, surtout quand on pense à tous les bienfaits que les fleurs locales ont sur nous et sur l’environnement, déclare Ora-Maggie sur un ton passionné. La réalité, c’est que l’agriculture est soutenue par la communauté proche qui en a les moyens. Même si on fait ce qu’on aime, on veut en vivre dignement.» De quoi nous convaincre que nous avons le pouvoir de faire bouger les choses, un bouquet floral à la fois. 

Fleuristes de famille

Alexandra Truchot, productrice propriétaire de l’atelier et de la ferme florale Alex à la campagne, à Magog.

Où trouver des fleurs locales ?

À Montréal

À Québec

À Trois-Rivières

OUTIL UTILE

Première ressource en français sur la floriculture de petite surface, ce nouveau livre donne de façon accessible des conseils de pro, qu’on peut appliquer autant sur son balcon en ville que sur une ferme florale. Floramama – Du jardin au bouquet: tout sur la culture des fleurs, de Chloé Roy, Éditions Cardinal.

Photos : Kim Gaudreau (Alex à la campagne) ; Nancy Guignard (Ferme Pastel) ; Stéphane Cocke (Floramama)

 

 

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