Les couleurs de l’amour

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05 Juil 2021 par Christelle Saint-Julien
Catégories : Famille / MSN / Véro-Article
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Si, dans votre entourage, vous remarquez de plus en plus d’amoureux issus de différentes cultures, vous avez vu juste: ici comme chez nos voisins du Sud, les couples interraciaux connaissent une forte hausse. Coup d’œil sur leur réalité.

Aux États-Unis, jusqu’en 1967, les unions interraciales pouvaient être reconnues comme un crime. Après 10 ans de procédures judiciaires menées par Mildred Jeter, une femme noire, et Richard Loving, un homme blanc, la loi interdisant leur mariage est jugée anticonstitutionnelle à la suite d’une décision de la Cour suprême. Heureusement, le Canada n’a jamais adopté de telle législation, malgré la discrimination néanmoins présente. Magalie Lefebvre Jean, sociologue de formation et étudiante à la maîtrise à l’Université d’Ottawa, indique que le recensement de Statistique Canada de 2011 démontre que les unions interraciales ont connu une augmentation importante de 4,6 % par rapport au recensement de 2009. Toujours en 2011, la dernière année où ces données ont été recueillies, ces couples mixtes constituaient un peu moins de 5 % des unions civiles au pays, soit une augmentation de 18 % par rapport à 2006 et de 77 % par rapport à 1991.

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Cela dit, la sociologue déplore le fait que ces couples puissent souvent être perçus comme des porte-étendards du multiculturalisme national, voire une façon d’enrayer le racisme: «On considère souvent que les unions mixtes sont le résultat d’un progrès social… C’est attrayant de croire que le racisme puisse disparaître d’une manière qui exigerait peu d’effort de la part de notre collectivité. Mais penser ainsi invisibilise tous les rapports de pouvoir et les problèmes liés aux tensions raciales. Parce qu’avant d’être un couple, il y a une personne issue d’une communauté racisée qui vit avec cette oppression, et une personne blanche qui vit avec ses privilèges au quotidien.»

Un amour commun, des réalités différentes

Tout comme les couples monoraciaux, les couples mixtes se composent de deux individus qui veulent s’unir parce qu’ils partagent les mêmes valeurs ou un bagage commun. Esther-Annie Joseph, thérapeute auprès des individus, des couples et des familles, constate pour sa part que les problèmes qu’éprouvent les couples mixtes au quotidien ne sont pas particulièrement différents de ceux des couples qui affichent la même couleur de peau. Pour augmenter les chances d’avoir une relation équilibrée, la clé est la même pour tous: la communication.

Dans le cas d’une relation interraciale, cet aspect s’avère d’une importance capitale pour que les conjoints puissent se comprendre. «Il faut rapidement parler du fait que vous n’avez pas la même couleur de peau au tout début de la relation, dit-elle. Une fois que le sujet est abordé, ça élimine les barrières… et l’éléphant dans la pièce.» Et pourquoi est-ce donc si important de discuter d’un élément aussi évident? «Parce que la société nous a conditionnés à percevoir différemment celui ou celle dont la couleur, le pays d’origine, la nationalité ou la culture sont différents des nôtres», répond la thérapeute.

Au sein d’une relation mixte, la personne issue d’une communauté racisée est presque toujours celle qui doit «éduquer» son ou sa partenaire: il le faut afin qu’il ou elle puisse comprendre une réalité qui n’est pas la sienne. Dans le cas des femmes, cette charge mentale s’ajoute à celle qui nous incite depuis toujours à prendre soin des autres. «Il existe une charge mentale quotidienne, à laquelle s’ajoutent les enjeux raciaux, ce qui superpose plus d’éléments. Ça entre dans le concept d’intersectionnalité», note Magalie Lefebvre Jean, qui croit également que les femmes ont tendance à faire plus d’efforts pour intégrer la culture de leur partenaire, par exemple en apprenant sa langue. Les femmes racisées doivent aussi faire preuve de patience lorsqu’elles expliquent certaines choses à leur partenaire masculin: «Le plus souvent, ce n’est pas le fait d’éduquer qui pose problème, mais le fait de devoir répéter. C’est facile d’oublier, pour celui qui n’a pas à subir certaines réalités. On peut alors penser que le conjoint n’est pas sensible à la culture de sa partenaire, ce qui n’est pas nécessairement le cas», affirme-t-elle.

couleurs-amour-couples-interraciauxLa bonne personne

Sabrina*, une Montréalaise d’origine haïtienne, a tout d’abord hésité lorsque celui qui allait devenir son mari lui a avoué ses sentiments. «Je n’avais jamais imaginé que je puisse être en couple avec un Blanc», raconte-t-elle. Certaines personnes pensaient d’ailleurs que leur couple n’allait pas durer, alors qu’ils font vie commune depuis huit ans. «Avant qu’on soit ensemble, mon mari ne voyait pas le racisme insidieux.» Aujourd’hui, la jeune femme estime qu’elle et son mari se font un peu moins toiser qu’il y a quelques années, tout en admettant se faire davantage observer lorsqu’elle est en compagnie de son bébé, qui a le teint beaucoup plus pâle qu’elle.

Bénédicte*, elle, a vécu en France et au Sénégal avant de s’installer au Québec. Elle vient d’une famille multiculturelle où les unions mixtes sont chose commune. Avant de trouver son fiancé sur une application de rencontres, elle voulait surtout éviter d’y croiser des individus malveillants et racistes: «Je voulais que les gens sachent d’emblée que je suis Noire», se souvient-elle. Si la plupart des commentaires qu’elle a reçus étaient respectueux, certains interlocuteurs lui ont avoué qu’ils voulaient «essayer avec une fille noire». Aujourd’hui, Bénédicte est l’heureuse belle-mère de trois enfants et jouit d’une belle complicité avec la famille de son conjoint, qu’elle décrit comme un homme très ouvert, réceptif et curieux. Après avoir été lui-même témoin de micro-agressions à son égard (commentaires et comportements qui peuvent sembler anodins mais qui, en réalité, sont insultants), il est désormais prêt à l’épauler advenant que d’autres incidents du même genre surviennent.

Quant à Eddie*, un Noir non-binaire, il a trouvé la perle rare en Ariane, sa partenaire des deux dernières années: «C’est quelqu’un qui est très woke [éveillée], qui éduque beaucoup par rapport aux enjeux de genre et raciaux.» À ce propos, il mentionne faire très attention aux personnes qu’il fréquente, afin de ne pas s’épuiser à toujours discuter de ces questions. «Dans le passé, par volonté d’être aimé, j’ai laissé passer beaucoup de choses», dit-il. Des commentaires extrêmement blessants, parfois exprimés par des gens qui affirmaient eux-mêmes être bien informés sur les questions raciales.

Tout comme Eddie, Hyejin* reste sur ses gardes lorsqu’il s’agit de nouvelles rencontres. «Je trouve que nous sommes souvent fétichisées, observe-t-elle. Quand quelqu’un me manifeste de l’intérêt, je me demande si cette personne est attirée par moi parce que je suis Asiatique ou si son intérêt est bien réel.» Voilà pourquoi Hyejin a pris le temps de bien connaître son conjoint, rencontré auprès d’amis communs, avant de s’investir dans leur relation, qui dure depuis maintenant sept ans. «Il a pris l’initiative de s’éduquer et de devenir antiraciste», souligne-t-elle.

En attendant que le monde soit tel qu’on nous le présente dans les émojis – qui, depuis leur dernière mise à jour en 2019, proposent 65 différentes combinaisons de sexe et de couleur de peau –, «viser une meilleure représentation des femmes issues de communautés racisées et des couples interraciaux non stéréotypés sur tous nos écrans contribuerait à leur faire, par extension, une place réelle dans notre société», estime Magalie Lefebvre Jean.

Force est d’admettre qu’il en serait plus que temps, non?

Des controverses qui en disent long…

D’un point de vue de personne blanche privilégiée, le concept d’un couple interracial peut nous sembler pas du tout dérangeant, voire carrément banal. Tant mieux, c’est signe que les choses bougent! Or, on ne peut pas pour autant en conclure que la question est réglée. Il suffit de penser à la campagne publicitaire de Cheerios qui s’est attirée les foudres du public étatsunien en lui présentant une famille mixte composée d’un père noir, d’une mère blanche et d’une fillette métissée, en 2013. Les réactions en ligne étaient si virulentes que la marque a dû interdire les commentaires sous la vidéo publiée sur YouTube. Mentionnons également la publicité en ligne d’Old Navy, en 2016, qui avait causé un tollé semblable. Et il ne s’agirait malheureusement pas de cas isolés, si on en croit différentes études menées au cours des dernières années qui démontrent qu’une grande partie de la population américaine continue d’avoir un inconfort, voire du dédain, à la vue d’un couple mixte. Pire: des actes haineux sont encore commis à leur égard et sont même carrément à la hausse dans certains États.

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Photos: Stocksy et Getty Images



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