«Tiens-toi droite. Lâche le chat. Arrête de niaiser. Grouille. On finira jamais… Déniaise.»
Notez le «on» (qui m’inclut). C’est passé du «tu», au début de l’année, au «on» quelques semaines plus tard. Pourquoi? Parce que la réussite de ma fille est devenue une affaire personnelle.
Les devoirs bien faits et les leçons bien apprises sont la preuve que je suis une bonne mère. Si mon enfant remet un devoir gribouillé ou si elle ne connaît pas par cœur ses mots de dictée, j’ai l’impression que la DPJ va débarquer, que le prof va me juger, pis que mon enfant va lâcher l’école avant de savoir écrire.
Je vous jure, les devoirs sont devenus une obsession. Toute la journée s’organise en fonction des %)&%$ de devoirs. Je rêve la nuit que j’ai oublié un mot de dictée ou que j’ai mal compris les consignes sur la feuille de leçons. Je me réveille en sueur, le matin de la dictée. C’est l’enfer!
Moi, je ne veux pas qu’elle passe à 60 %. J’ai toujours eu 85-90 %, alors, c’est pas vrai qu’«on» va avoir 60 %. On va passer cette année-là avec au moins 75 %, sinon «on» s’entend que je ne vaux pas grand-chose comme mère, hein? «On» vaut plus que 60 %, non? Comme si mes compétences de mère étaient directement proportionnelles aux notes de bulletin de ma fille…
Pis ma fille, quand elle buck sur le mot TO-MA-TE, je capote. Pas au début, là. Non, non. Au commencement de la période de devoirs, je suis calme. J’explique calmement T et O, M et A, T et E, ça fait TOMATE. C’est juste qu’après le lui avoir répété 25 fois, après lui avoir dit d’arrêter de niaiser avec ses mains pendant que je m’occupe de son frère qui gosse autour et du bébé qui braille, le mot TOMATE, je commence à le dire avec le sang qui me coule du nez.
Faut que je me CAL-ME. Mais c’est difficile. Quand ma fille a de la misère avec des affaires faciles, j’imagine une moyenne de 55 %, le décrochage à 14 ans, une job dans un bar et un mariage avec un gangster. Oui, j’imagine des affaires de même.
Quand la prof me dit que mon enfant parle ou dérange en classe, je deviens anxieuse. Et si c’était un trouble? Et si elle ne pouvait pas suivre les règles? Et si ça prend une évaluation neuro? Il faut peut-être lui donner des omégas 3…? Pis là, mon chum dédramatise en me disant: «Et si c’était juste une enfant?»
Ouin…
Je le sais que je devrais être une bonne mère, que je ne devrais jamais perdre patience, qu’il me faudrait répéter le mot TOMATE jusqu’à ce que mon enfant comprenne bien, que je devrais accorder moins d’importance à la note et plus aux efforts, et que je devrais moins capoter avec les devoirs.
Je sais que je devrais ne pas devenir folle avec la réussite scolaire de ma fille. Que la vie ce n’est pas de savoir parfaitement toutes ses leçons ni de tout connaître par cœur, mais j’ai peur. Je veux le meilleur pour ma fille, pour mes enfants. On m’a tellement fait croire que le bonheur réside dans la réussite, au travail comme à l’école, que je donne cette impression à ma fille. Je lui transmets cette maudite fausse croyance des grands qu’on a besoin d’être parfait pour être heureux.
En y réfléchissant bien, je devrais être plus zen. Qu’est ce que ça change, avoir 75 % ou 90 %? Qu’est-ce qui rendrait ma fille plus heureuse: avoir 80 % avec une mère complètement folle ou 65 % avec une mère zen et fière des efforts qu’elle fait?
J’ai trouvé la réponse: ce soir, on skip les devoirs, pis on va passer du temps de qualité ensemble. Parce que ça, oui, ça nous rend plus heureux.
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