En avril dernier, juste après s’être mise au lit, Chloé, 7 ans, a timidement annoncé à sa mère qu’une grande de troisième année «l’intiminait» beaucoup. «Comme j’étais moi aussi très fatiguée, je me rappelle avoir éclaté de rire en lui disant que ce verbe n’existait pas, se désole Fabienne, 37 ans. Avec un filet de voix, ma petite Chloé a alors commencé à m’expliquer que cette fille minait sa vie depuis des semaines en la poussant sans raison ou en la qualifiant de noms méchants chaque fois qu’elle la croisait dans les couloirs. Ça m’a profondément choquée.»
Un cas isolé? Hélas non, puisque dans notre belle province, plus du quart des enfants de la maternelle à la deuxième année du primaire* sont régulièrement victimes de comportements déplaisants (moqueries, insultes, coups de pied, bousculades, etc.). Et au secondaire, c’est encore pire: lors d’une enquête réalisée en 2010-2011 par l’Institut de la statistique du Québec, pas moins de 37 % des élèves ont avoué avoir été intimidés à l’école ou sur le chemin de l’école.
Dans ce contexte, pas étonnant que 4 Québécois sur 10** estiment que l’intimidation est en hausse dans les établissements scolaires ou dans leur quartier. «D’après ce que je constate, c’est effectivement un problème en augmentation constante, confirme Nancy Doyon, qui est coach familiale, éducatrice spécialisée, auteure et conférencière. Parmi les raisons qui motivent un tel comportement, je pense que le stress est un facteur important, certains jeunes se servant de l’intimidation comme exutoire. Je pense aussi qu’à la maison, on n’enseigne pas assez l’empathie. Quand un frère picosse sa sœur jusqu’à ce qu’elle se mette à pleurer et qu’on n’intervient pas, on laisse entendre que ce genre de comportement est acceptable, voire normal. Avec les meilleures intentions du monde, des parents ont également tendance à tout faire pour que leur enfant se sente bien ici et maintenant, ce qui ne le sensibilise pas aux besoins des autres. Par exemple, lorsqu’il s’agit de regarder un film, c’est toujours l’enfant qui choisit, et quand ils jouent ensemble à un jeu, les parents le laissent gagner. À l’école, cet enfant qui manque d’empathie sera plus enclin à prioriser ses propres plaisirs, et si l’un de ces plaisirs est de rire des autres, il se moquera d’eux sans tenir compte de ce qu’ils peuvent ressentir…»
Pourquoi ça arrive à mon enfant?
Avant de creuser le sujet, il faudrait d’abord décrire en quoi consiste l’intimidation, au juste. «On va parler d’intimidation quand un enfant se sent malheureux, diminué, blessé, ridiculisé ou stupide parce qu’un autre enfant (ou un groupe) s’en prend occasionnellement ou régulièrement à lui en l’insultant, en le dénigrant, en faisant courir des rumeurs sur son compte, en le menaçant, en le rejetant ou en le frappant, précise Nancy Doyon. En fait, dès qu’il est question d’intimidation, il y a toujours un rapport de pouvoir, un jeu de domination qui peut s’établir à cause de la force physique de l’un ou des particularités de l’autre (son nom, sa taille, la couleur de sa peau, son accent, ses vêtements, ses habitudes alimentaires, etc.). Cela dit, la personnalité de chacun compte aussi pour beaucoup, car un gamin solitaire, timide et intraverti aura nettement plus de mal à se faire respecter dans la cour de récré. Ce qui m’incite à spécifier que moins un enfant a d’amis, plus il risque d’être victime d’intimidation.»
Dans le cas de Mattis, 11 ans, les problèmes ont commencé peu après le déménagement de ses parents à Montréal, alors qu’il entamait sa sixième année. Ne connaissant personne dans le quartier, il s’est retrouvé dans un groupe où presque tous les élèves se côtoyaient depuis le début du primaire. «Vers la mi-septembre, mon fils est revenu chez nous avec une manche de chemise déchirée, raconte Doris, 41 ans. Par la suite, au cours d’un souper, il a mentionné qu’il n’appréciait pas trop sa nouvelle école. Mattis étant aussi fermé qu’une huître, je n’ai pas allumé jusqu’à ce que sa prof m’appelle pour m’annoncer qu’il était probablement persécuté par le gros beef de la classe.»
Ayant parfois affaire à des enfants incapables de se confier ou de définir clairement l’origine de leur malaise, Nancy Doyon souligne que, dans ce type de situation, plusieurs signes parlent souvent d’eux-mêmes: «L’enfant n’a plus vraiment le goût d’aller à l’école et se plaint parfois de maux de ventre ou de maux de tête. Ce à quoi peuvent s’ajouter d’autres symptômes révélateurs: résultats scolaires en baisse [difficulté à se concentrer], troubles du sommeil, cauchemars, irritabilité, tristesse, perte d’appétit et d’intérêt pour les activités qu’il aimait.»
«Parce que je suis passée par là en 2015, je tiens à dire que, pour les parents, le plus difficile reste à venir, signale Anne-Marie, 46 ans. Mon fils, qui a maintenant 14 ans, est un vrai Joe Cool et jamais je ne me serais doutée qu’il serait qu’un jour victime d’intimidation. C’est très dur à comprendre et à accepter. Quand j’ai été aux prises avec cette pénible réalité, je me suis sentie totalement démunie. Je n’avais pas la moindre idée de ce qu’il fallait faire pour y mettre un terme et, sans le savoir, j’ai spontanément opté pour la pire des solutions: appeler la mère du gamin qui intimidait mon fils. Elle a été franchement désagréable. Et elle s’est empressée de rapporter notre conversation à son garçon qui, dès le lendemain, a raconté tout ça à ses amis. Résultat? Mon fils n’avait plus un seul intimidateur sur le dos, mais quatre.»
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Comment faut-il donc réagir si l’un de nos enfants se fait intimider? Stéphane Paradis, conférencier, auteur et président de Gustave & Compagnie, une entreprise visant à démystifier et à combattre l’intimidation dans les écoles primaires, recommande d’abord de l’encourager à nous en parler. Car briser le silence est le premier grand pas à franchir. «Bien des enfants sont toutefois réticents à le faire parce qu’ils ont l’impression de stooler, note M. Paradis. Mais comme je le répète sans cesse dans mes ateliers, stooler n’a rien à voir avec dénoncer. Stooler, c’est rapporter quelque chose par indiscrétion ou par malice, tandis que dénoncer, c’est attirer l’attention sur quelque chose de malsain dans le but d’aider ou d’être aidé. Dans “dénoncer”, il y a le mot “non”. Pour dire non à la violence, pour dire arrêtons d’être témoin et de ne rien faire parce qu’on a peur. Garder le silence est la plus mauvaise des options, parce que si tout le monde osait dénoncer, il y aurait beaucoup moins de violence.»
Après avoir écouté notre enfant avec empathie – sans toutefois avoir l’air anéantie, ce qui ne ferait qu’accroître sa propre angoisse! –, la deuxième étape consiste à établir avec lui un solide plan de match en fonction de ce qu’il a déjà fait ou essayé de faire jusqu’à présent. L’impliquer dans la façon de gérer son problème d’intimidation nous permet à la fois de lui redonner un certain pouvoir, de respecter son rythme et de l’accompagner dans sa démarche.
«Les parents lions vont tenter de protéger leur enfant en prenant aussitôt rendez-vous avec la direction de l’école, remarque Nancy Doyon. Mais ce faisant, ils sous-entendent que leur enfant est vulnérable, qu’il ne peut rien faire. Autrement dit, ils le victimisent encore plus. Le parent doit doser la place qu’il prend en fonction de l’âge de l’enfant. S’il s’agit d’un petit de première année qui se fait achaler par un grand de sixième année, c’est correct de le protéger. Mais si leur fille est une adolescente rejetée par une amie du secondaire, elle est capable de gérer ça toute seule.»
Comme l’une des principales conséquences de l’intimidation est une perte d’estime de soi, on sera en revanche presque systématiquement appelée à intervenir de ce côté-là. «Il faut que l’enfant sache qu’on est là pour lui, ajoute Stéphane Paradis. Il y a un truc fantastique que je suggère aux parents: chaque soir, souligner une qualité ou une action constructive que vous avez remarquée chez votre garçon ou votre fille. Quand un enfant se dénigre, il faut le ramener à ce qu’il a de merveilleux. Mais il faut le faire de façon réaliste, sans mettre de pression.»
«L’intimidation, surtout au primaire, peut s’avérer une formidable opportunité pour l’enfant, estime Nancy Doyon. S’il est bien encadré, cette dure expérience lui permettra en effet d’améliorer son estime de soi et de développer l’aptitude à se protéger des gens toxiques. Deux atouts qui lui serviront toute sa vie. Car pour qu’il y ait intimidation, il faut un intimidateur et un intimidé. Si la personne est assez forte pour répliquer, il n’y a plus d’intimidation possible!»
* La victimisation par les pairs de la maternelle à la deuxième année du primaire, collectif, Institut de la statistique du Québec, 2011.
** D’après le sondage L’intimidation au Québec, réalisé en novembre 2012 par Léger Marketing.
Et la cyberintimidation dans tout ça?
Textos blessants, photos humiliantes diffusées sur le Web, rumeurs calomnieuses circulant sur les réseaux sociaux… Même derrière un écran, les jeunes ne sont pas à l’abri! «On a un énorme travail d’éducation à faire avec nos enfants en ce qui a trait aux médias sociaux, car tout ce qui s’y publie est permanent», explique Stéphane Paradis, conférencier, auteur et président de Gustave & Compagnie. La prévention étant le moyen le plus simple de les protéger de la cyberintimidation, il recommande trois mesures:
• limiter le temps d’écran et ne pas laisser les jeunes accéder aux réseaux sociaux sans supervision jusqu’à ce qu’ils arrivent au secondaire;
• les encourager à bloquer toute personne qui n’est pas respectueuse à leur égard;
• avoir accès à leurs comptes pour pouvoir régulièrement s’assurer qu’ils évoluent dans un cadre sécuritaire.
«Si un de nos enfants est victime de cyberintimidation, il ne faut pas réagir ni répliquer, souligne M. Paradis. On prend en note les dates des actes répréhensibles, on fait des captures d’écran, on bloque l’intimidateur et on le dénonce à la direction de l’école, au site Internet où le geste a été posé, au fournisseur de services de téléphonie cellulaire ou, ultimement, aux autorités compétentes qui sauront si des actions doivent être prises contre la personne fautive. Dans tous les cas de figure, il faut se rappeler que le silence demeure la pire des solutions.»
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Cet article est tiré du magazine Véro d’automne 2018. Abonnez-vous maintenant!
Photo: Stocksy