Nourrir bébé: une tâche à partager ?

08 Oct 2020 par Maude Goyer
Catégories : Famille / Véro-Article
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À une époque où l’allaitement maternel est louangé et prôné, des parents choisissent de donner à leur nouveau-né des préparations pour nourrissons au biberon, afin de mieux se partager la tâche.

Et certains pères, fiers de s’investir déjà dans la routine de leur enfant, y voient une kyrielle d’avantages…

Toute les autorités en matière de santé publique, de l’Organisation mondiale de la santé à la Société canadienne de pédiatrie, en passant par Santé Canada et l’Institut national de santé publique du Québec, recommandent l’allaitement exclusif jusqu’à ce que le bébé atteigne l’âge de six mois. Au Québec, selon la plus récente étude de Statistique Canada (2012), 89 % des mères allaitent leur nouveau-né à la sortie de l’hôpital; six mois plus tard, elles sont 19 % à le faire encore.

Dans la littérature scientifique, les bienfaits de l’allaitement sont reconnus, tant chez la mère que chez le bébé. Pour le poupon, l’allaitement réduit les risques d’infection, les maladies inflammatoires et le syndrome de la mort subite, entre autres. À noter que ces résultats sont tirés en grande partie d’études dites «observationnelles», et non d’essais cliniques, qui ne sont pas exemptes de biais. Pas étonnant que les infirmières, sages- femmes, médecins et autres professionnels de la santé incitent – certains diront «fortement» – les mères à allaiter.

Beaucoup de pression

«Il y a encore beaucoup trop de pression sur les femmes pour qu’elles allaitent!» s’exclame Nicolas Chikhani, papa d’un garçon de quatre mois. Pendant deux semaines, sa conjointe a tenté d’allaiter. L’expérience a viré au cauchemar. «On le sait que c’est plus simple, plus naturel et meilleur pour le bébé, mentionne le nouveau papa. Mais à un moment donné, il ne faut pas virer fou non plus! Je préfère une mère qui n’allaite pas mais qui est heureuse, contente, en bonne santé mentale, sans angoisse et plus reposée.»

Chez eux, le lait maternel a été introduit au biberon, pour ensuite graduellement faire place aux préparations pour nourrissons. Nicolas a alors remarqué un changement dans son implication vis-à-vis du bébé. «Au début, quand mon amoureuse allaitait, j’étais en périphérie, raconte-t-il. Il me semble que je gérais juste les affaires plates: les couches, les pleurs… Mon rôle est devenu plus actif quand j’ai commencé à donner le biberon à notre enfant. Ma relation avec lui est devenue plus intime: je le nourrissais, il me regardait, me souriait. On était dans l’échange.»

Benoit Loury et sa conjointe ont vécu la même chose: malgré la désapprobation du milieu hospitalier, ils ont choisi le biberon à la naissance de leurs deux filles, aujourd’hui âgées de 5 ans et de 15 mois. «Notre choix a été complètement respecté par notre entourage, dit le père de 34 ans, mais c’était désolant de voir à quel point le corps médical y était réfractaire.» Pour ce travailleur de la construction, le plus grand avantage du biberon est le partage égalitaire de toutes les tâches, incluant celle de nourrir le bébé. «Nous nous répartissons tout ce qu’il y a à faire, que ce soit donner le bain aux filles, les habiller, les nourrir, les endormir, les réconforter et nous lever la nuit», confie-t-il, en soulignant qu’il apprécie le fait d’être 100 % autonome. «Je sais tout faire et je fais tout!» lance-t-il.

Foyer paritaire

Ce même sentiment d’efficacité et de parité habite Vincent Beaulieu, 31 ans. Papa de deux enfants – une fillette de 3 ans et un garçon de 2 ans –, il leur a donné le biberon dès le départ. «La tâche parentale était donc partagée 50/50, affirme-t-il. Je pense que ç’a influencé notre vie de famille et la façon de gérer les choses à la maison. Je comprends l’enjeu de la charge mentale, et je pense qu’on la partage plus équitablement.»

À la naissance des enfants, c’est Vincent qui a pris un congé parental plus long, une décision rare mais pas forcément exceptionnelle. Au Québec, 83 % des pères profitent de leur congé de paternité, selon les données révélées par le Régime québécois d’assurance parentale en 2016, au 10e anniversaire du programme. Cela dit, seulement le tiers des pères pigent dans la banque du congé parental et, lorsqu’ils le font, ils prennent moins de semaines de congé que les mères (13,3 semaines en moyenne, comparativement à 28,9 semaines). Bref, le choix de Vincent a pu faire sourciller: «Des personnes au mode de vie plus traditionnel m’ont fait de petites blagues, mais plusieurs trouvaient que notre organisation était géniale. Certains nous ont peut-être enviés… et je crois que d’autres ont été inspirés par notre façon de faire!»

Est-ce que le fait de passer beaucoup de temps avec ses enfants durant leurs premiers mois de vie a changé quelque chose dans sa relation avec eux? «Je pense que l’attachement s’est manifesté plus rapidement», note-t-il.

Pour sa part, Charles Ouellette, papa de deux garçons, est catégorique: «Le fait d’être resté seul à la maison avec chacun des enfants pendant les quatre premiers mois m’a permis de mieux les connaître et de détecter tous leurs petits signes de faim, de sommeil, d’ennui, d’insécurité, d’inconfort…» Il ajoute qu’apprendre à donner les soins – que ce soit le bain ou le biberon – en même temps que sa conjointe lui a donné l’impression de partir sur un pied d’égalité, «même si elle les a d’abord portés durant neuf mois»!

Pas garant d’une égalité

De là à conclure que les pères qui donnent le biberon en font plus à la maison, il y a un pas… à ne pas franchir, affirme Francine de Montigny. Cette professeure en sciences infirmières à l’Université du Québec en Outaouais mène depuis 12 ans des recherches sur les pères et l’allaitement. «Nos recherches ont démontré que l’implication du père est plus diversifiée lorsque la mère allaite, dit-elle. Il va faire des tâches ménagères, préparer des repas, s’occuper du bébé et de sa conjointe, etc. Nous avons été surpris par ces résultats, mais il s’avère qu’un père qui donne le biberon, bien souvent, ne fera que ça.»

Quant à l’engagement paternel, la chercheuse a tenté de mieux comprendre la relation père-enfant en évaluant les papas dont l’enfant avait été soit nourri au biberon, soit allaité exclusivement pendant six mois, soit sevré durant le premier mois de vie: «Il n’y a pas de différence entre les trois groupes», souligne-t-elle. Mme de Montigny estime ainsi qu’il faut se méfier du mythe selon lequel un père qui donne le biberon est forcément un père qui s’investit. «Oui, ça favorise certains échanges, dit-elle, mais la mère peut allaiter et le père peut faire du portage, des massages, du “peau à peau”, il peut bercer et réconforter son enfant… À chaque individu de trouver sa manière de s’impliquer. Le plus important, c’est d’être satisfait de la décision qu’on prend!»

Charles Ouellette est heureux d’avoir fait tout ça (portage, massage, «peau à peau», etc.) tout en offrant quelque chose de précieux à sa conjointe: des heures de sommeil. «Comme j’ai donné le biberon dès la naissance, je me suis levé autant qu’elle la nuit, peut-être même plus qu’elle, car j’ai une meilleure résistance au manque de sommeil, dit-il. Elle a mieux récupéré après l’accouchement et n’a pas eu à traverser seule les premiers mois pénibles sans dormir. Elle était plus posée, plus sereine… et, par le fait même, les garçons et moi aussi!»

L’alimentation des bébés

  • À la naissance de l’enfant; 89 % des mères québécoises allaitent.
  • Lorsque bébé a 6 mois; 19 % des mères allaitent encore exclusivement; au Canada, le taux atteint 26 %.
  • Aliments solides; 11 % des bébés en reçoivent avant l’âge de 3 mois, et 57 % à l’âge de 6 mois et plus, tel que recommandé.
  • Biberon; Le guide Mieux vivre avec notre enfant de la grossesse à deux ans, de l’Institut national de santé publique du Québec, comporte une section sur l’alimentation au biberon. De 2006 à 2009, cette section avait été fortement réduite, puis réaugmentée dans l’édition 2010.

Sources: Statistique Canada (2012) et Institut national de santé publique du Québec

 

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Photos: Stocksy



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