Je lui ai tendu un chocolat chaud dans un gobelet de carton. Il m’a fait un large sourire, visiblement ravi. J’avais enfilé mon pantalon de neige et mes grosses bottes pour aller jaser avec le brigadier scolaire posté devant l’école de mon fils.
Depuis deux ans, jour après jour, Stéphane Gauthier veille sur les enfants. Sur nos enfants. Tous les jours, peu importe les bassesses du mercure, Stéphane est là, sifflet et pancarte en main, son dossard jaune fluo scotché à son manteau. « Aujourd’hui, j’ai mis tout le kit, un chandail de laine, un polar, un manteau bien chaud », me dit celui qui travaillait comme poseur de revêtement de sol avant de devenir brigadier.
Certains jours d’hiver, le thermomètre indique -20. Avec le facteur éolien et l’humidité, cela descend parfois à -30. « Je n’ai pas froid, lance Stéphane en me voyant sautiller sur place. Le secret, c’est de s’habiller en pelures… » Trois couches en bas. Trois couches en haut. Une cagoule, un bon chapeau, des gants de motoneigistes. Et un sourire.
Surtout, un sourire.
« 98% des enfants sont aimables, ils ne sont pas de trouble pantoute », dit celui qui en voit entre soixante et quatre-vingt passer devant lui, trois fois par jour (le matin pour le début de la journée scolaire, le midi pour l’heure du dîner et l’après-midi pour la fin des classes). Il en connaît plusieurs par leurs prénoms – pas tous, mais presque. « Que fais-tu là, Jack ? lâche-t-il à un garçon qui traîne sur le trottoir. Allez, va dîner ! » Trois fillettes se pointent, elles regardent par terre, timides. Elles attendent le signal du brigadier. « Bon dîner mesdames » dit le gentleman, père d’une « grande » de 21 ans.
Ce qui le fâche le plus, ce ne sont pas les enfants et leurs bêtises. Ce qui le dérange, ce sont les automobilistes, les parents qui se garent n’importe où et débarquent leurs enfants n’importe comment. « Ils sont stressés et pressés, surtout le matin, raconte Stéphane. Ils ne font pas attention. » Le brigadier, je le sens, ne parle pas seulement de sécurité mais… d’attitude. Comment passer une bonne journée lorsqu’on se fait larguer à une intersection par un parent débordé ?
Un peu plus loin, Albert Beauchamp, un brigadier de 70 ans, partage les réflexions de son collègue. « Le problème, c’est le parent, pas l’enfant, s’exclame-t-il. Il me semble qu’ils sont de plus en plus nombreux à être en retard le matin. Ils courent, ils courent et au passage, ils bousculent leurs enfants… »
Sur l’autre coin de rue, Roger Roch, 62 ans, me décrit ses protégés. Il en a trente-six. À l’entendre, ce sont les plus fins de toute l’école. « Il y en a qui me disent ‘merci’, souligne-t-il en souriant. D’autres me confient leurs problèmes… » Malgré le froid polaire, ce père et grand-père m’avoue qu’il ne changerait pas d’emploi : « Mon bureau, c’est l’intersection ici. Je ne changerais pas avec un job entre quatre murs, croyez-moi ! »
Je retourne à mon clavier non sans avoir remercié Stéphane, Albert et Roger. Grâce à eux, nos enfants se baladent en toute sécurité. Cela vaut cher.
Note: Les brigadiers solaires de Montréal gagnent 16,14$/heure et font entre 12 et 20 heures par semaine.
Photo: Stéphane Gauthier (crédit Maude Goyer)
Article rédigé par Maude Goyer alias Maman 24/7
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